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Ensablement des barrages : “Tempête” de sable dans les eaux

Publié le mardi 24 juin 2008 à 11h06min

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A l’orée du XXIe siècle, les barrages hydroagricoles et hydroélectriques sont menacés par leur mal du siècle : l’ensablement. De Mogtedo à Kompienga en passant par Bagré, les retenues d’eau cherchent leur « souffle ». Le constat est frappant et l’urgence s’impose pour donner à ces « usines » à ciel ouvert, l’espoir d’avoir une vie durable et pérenne.

Ensablement, érosion des berges, évaporation sur fond de changements climatiques, le cocktail molotov est réuni pour que d’ici à 50 ans, les barrages hydroagricoles et hydroélectriques de Mogtédo, Bagré et Kompienga voient leur exploitation menacée. Selon le directeur général des Ressources halieutiques, Idrissa Zampaligré, depuis la mise en exploitation du barrage de Kompienga (1989) environ 3 m de hauteur de sable sont entassés dans ce lac. Cela semble infime apparemment.

Mais en m3, la note est salée : 450 millions de m3. Cependant, étant un barrage hydroélectrique, sa production d’électricité est fonction de la chute d’eau sur les turbines. Cette chute d’eau, selon les explications du chef de service production de la centrale électrique, Youssouf Zougouri, est la dénivellation entre l’amont et l’aval du barrage. Or, en aval du lac, de façon empirique, la hauteur de l’ensablement atteint au moins 1 m aujourd’hui. La côte maximale étant de 180 m et minimale de 165 m pour être capable de produire l’électricité, sur une profondeur du lac de 41 m, la Kompienga a frôlé en 2007, l’arrêt de la centrale. En effet, la côte était descendue jusqu’à 167,32 le 30 juin 2007.

En-dessous de 2 m de cette barre, la centrale s’arrêtait net. Si en 20 ans, 3 m de sable se sont accumulés au fond du lac, il est à prévoir qu’en moins d’un demi-siècle, le fonctionnement des turbines soit durablement perturbé. Ainsi, la centrale ne pourra plus fournir les 14 Megawatts pour soutenir la demande en électricité de Ouagadougou.
Dans le second plus grand barrage hydroélectrique du Burkina Faso, Bagré, le phénomène ne fait pas de cadeau, même s’il est à un degré moindre par rapport à la Kompienga. La Maîtrise d’ouvrage de Bagré (MOB) tente de colmater les brèches. Mais, le constat est là, selon le directeur général, Boké Drabo : « les dépôts solides ne sont pas visibles à l’œil nu. Lorsqu’on voit les barrages se remplir d’eau, il n’y a pas de souci. Pourtant, de multiples dépôts sont stockés sous les barrages. » Pour le barrage de Bagré, la MOB n’a pas encore quantifié la hauteur de sable stocké. Ce n’est pas pour autant qu’elle n’est pas consciente du phénomène : « ces dépôts sont lents mais peuvent mettre à rude épreuve la vie du barrage parce que, selon lui, c’est un phénomène progressif ».

En tant qu’ingénieur de génie rural de formation, M. Drabo prévient : « lorsque les gens se rendent compte de la menace réelle de l’ensablement, il est tard car le barrage, avec une capacité de 1 milliard 700 millions de m3 (Bagré) peut se retrouver au bout de 50 ans avec une capacité réduite ». Si 450 millions de m3 s’encastrent dans cette capacité, elle est fortement menacée. Le cas du lac Bam est encore vivace dans les esprits et doit servir d’exemple lorsque l’on pense que les cours d’eau « interconnectés » ne peuvent se voir menacés. Mieux, que les grandes retenues d’eau sont à l’abri de ce cancer qu’est l’ensablement. La surexploitation est aussi le nid de l’ensablement. Le barrage de Mogtedo s’y est couvé. S’il est vrai que l’ensablement de ce barrage a été l’un des facteurs de son assèchement en mars 2008, sa surexploitation agricole lui a porté préjudice. Exploité concomitamment par les départements de Mogtédo et de Zam, les 110 hectares initialement prévus pour la culture ont crû pour atteindre un millier d’hectares en 2007.

Les causes d’un déclin programmé et…

Le non-respect des réglementations en matière culturale est la principale cause de ce déclin programmé. A Bagré, la MOB a pris des dispositions en collaboration avec la direction provinciale de l’Agriculture du Boulgou afin que les cultures se fassent à 100 m des berges et au-delà de la côte maximale. Cette mesure a l’avantage, même en tant de crue, de laisser les cultures intactes et de ne pas charrier la boue sous l’eau. Malheureusement, au fur et à mesure que l’eau recule, que ce soit à Bagré, Mogtédo et Kompienga, « des agriculteurs récalcitrants » prennent d’assaut les lits et les bassins des lacs. « En 2007, des aménagements maraîchers ont été faits dans la cuvette du lac de Kompienga », explique le chef technique du Périmètre aquacole d’intérêt économique (PAIE), Yacouba Ouédraogo. Mieux, « avec des communes (dont il ne cite pas les noms), des maraîchers ont barré des bras du lacs pour en faire de mini-retenues à aménager », soutient-il avant d’interroger : « comment expliquer cela ? ».

Il pose la conditionnalité : « si l’on barre l’entrée de l’eau dans le barrage, il ne faut pas s’attendre à avoir un bon niveau d’eau, ni du poisson, encore moins de l’électricité dans les années à venir ». Cette situation sera préjudiciable au lac car « les fortes pluies de l’année dernière ont englouti tous ces aménagements, donnant du relief à la quantité de déchets solides sous l’eau. Quel gâchis ! », lance M. Ouédraogo dans un soupir. Le directeur du centre écotouristique de Bagré, Maxime Ouedraogo avec une vision plus large de l’ensablement explique : « tous les déchets rejetés par le fleuve Massili en connexion avec le canal du CHU Yalgado Ouédraogo, les déchets liquides générés par la tannerie Tan Aliz qui ne sont pas traités, sont transportés jusqu’à Bagré ». Cela crée selon lui, un phénomène d’« eutrophisation ». Terme technique qui est le mélange de l’eau boueuse à des plantes pour créer un milieu solide. Et, « petit à petit, l’eau se transforme en boue et finalement en terre donnant lieu au développement de grands végétaux à la faveur de nutriments rejetés par les différents canaux ».

… comment sauver ces richesses naturelles

Bagré et Kompienga constituent des richesses nationales. Des « industries » à ciel ouvert. Le riz, le poisson, l’écotourisme, les unités industrielles génèrent chaque année des revenus incommensurables pour les populations et l’Etat. Le cri du cœur du directeur général de la MOB, Boké Drabo retentit : « il y a urgence pour nous de sensibiliser au maximum tous ceux qui sont installés dans les bassins, le long des cours d’eau et sur les berges ». Il propose la stabilisation des berges car « à la longue, si une portion de terre a été aménagée en tenant compte de la capacité initiale, il y a des risques qu’il n’y ait plus de possibilité d’irriguer ces terres parce qu’il n’y aura pas suffisamment d’eau, du fait du comblement du lac. Et le barrage de Bagré n’échappe pas à cette règle », insiste M. Drabo.

Le directeur de la mise en valeur de Bagré, Désiré Tapsoba, soutient le directeur général en relevant la mise en place des Comités locaux de l’eau (CLE), structures chargées de la gestion des lacs. Mais, voilà : « ces structures n’ont pas les moyens (financiers et matériels) pour mener à bien cette mission ». Moumouni Ouédraogo est le président de la coopérative de Mogtédo et en même temps du CLE. En tant qu’agriculteur, il est tenaillé par le dilemme entre le respect de la protection du cours d’eau et celui d’interdire l’accès de certains périmètres à des agriculteurs. Dans une formule gustative, il explique : « les gens ont goûté à l’exploitation des terres agricoles, ils ont vu que c’est doux. Il est difficile de les amener à la raison si l’Etat ne s’y implique pas ».

A Kompienga, un comité de gestion, regroupant les services techniques, les responsables des villages riverains, les différents groupes socioprofessionnels, les chefs coutumiers a été mis en place. Cependant, force est de constater que ce comité peine à mettre en œuvre le plan d’aménagement et le cahier de charges, deux outils majeurs, constituant la feuille de route pour la bonne gestion du barrage. Cette feuille de route dort dans les tiroirs. « Tous les jours, on chante qu’il faut protéger les berges au niveau national, qu’il faut lutter contre la déforestation. Ce sont des discours politiquement beau mais dans la pratique, comparé à la vitesse de l’ensablement, la lutte est très très insignifiante », affirme le directeur général des ressources halieutiques. M. Zampaligré fulmine : « les comités de gestion ne sont pas opérationnels. Chaque fois qu’ils (les membres) se rencontrent, la réunion terminée, chacun empoche ses perdiems. Pendant ce temps, les recommandations et conclusions dorment dans les tiroirs. Il n’y a pas de suivi ». Il passe sous silence le fait que les productions aquacoles de la Kompienga et de Bagré ont baissé respectivement d’environ 2000 t de poisson par an en 1998 à 650 t aujourd’hui et, de 1600t/an (Bagré) à 800 t de nos jours.

Guéguerre entre « pro » et « anti » curage

A Kompienga comme à Bagré, le Projet de gestion des ressources forestières (PROGEREF) essaie tant bien que mal de rattraper ce qui peut l’être pour protéger des berges par des reboisements. Hélas ! « Des bandes de protection ont été délimitées autour des lacs, mais qui le respecte ? », interroge M. Ouédraogo, le responsable du PAIE.

La menace de l’ensablement grandissante a suscité la problématique du curage des barrages. A ce niveau, une guéguerre semble s’installer entre les « pro » et les « anti » curage. Les thèses fusent. Elles se valent. Les « pro » se fondent sur la fiabilité et la durabilité de cette action avec la topographie. « Il faut curer les barrages » lance M. Zampaligré sans sourciller. « En curant, il y a risque de percer la couche imperméable créée par le dépôt. En ce moment, l’eau, au lieu d’être stockée, s’infiltre », rétorque le chef de service planification et suivi à la direction générale du génie rural, Abdoulaye Koudakigda. « Il faut le curer de telle sorte à ne pas dépasser la couche de la vase imperméable car, dans la plupart des barrages ayant au moins 15 ans, pas moins d’un mètre cinquante à deux mètres de sable s’y trouvent enfoui » argumente M. Zampaligré. Quant à M. Koudakigda,, il avance aussi le coût du curage : « au bas mot, pour les petits barrages, le curage se fait à 4 000 F CFA TTC par m3 de sable. Ce coût est revu à la hausse pour les grandes retenues d’eau ». Ce coût ne nous sera pas communiqué. En lieu et place du curage, M. Koudakigda encourage les solutions déjà mises en œuvre dans ces genres de situation. « Deux solutions se présentent : soit on réhausse la hauteur de la digue, soit on abaisse le déversoir du barrage » a-t-il précisé. Dans la plupart des cas, « c’est le réhaussement de la digue qui est géné ralement conseillé » selon lui. En attendant qu’une autorité tranche entre les « pro » et les « anti » curage, la MOB, le PROGEREF, veulent prendre le taureau par les cornes.

Restaurer l’autorité de l’Etat

La MOB préconise de rapprocher l’eau des agriculteurs et des superficies réglementaires cultivables par le biais d’un système approprié. Cela consiste à créer un « bassin relais » qui permettra aux producteurs maraîchers d’avoir de l’eau « à portée de main ». Quant à la direction générale des Ressources halieutiques, elle essaie de développer un système de curage à petite échelle. « Cela demande aux populations de curer en faisant des bassins dans les barrages. Si un jour, ce système était massivement adopté, il peut contribuer à réduire un tant soit peu le comblement du lac », espère M. Zampaligré. Face au désordre, le responsable du PAIE ne passe pas par quatre chemins pour affirmer qu’il faut restaurer l’autorité de l’Etat : « il faut appliquer la violence républicaine. Non ! il faut situer les responsabilités car, le lac de Kompienga est une richesse nationale. L’Etat et les bailleurs de fonds y ont investi des milliards », clame M. Ouédraogo. Quant au directeur général de la MOB, Boké Drabo, il est plus diplomate : « il faut développer une synergie d’action des différents acteurs (ministères de l’Energie, de l’Agriculture, de l’Elevage, de l’Environnement) afin de mieux protéger les barrages ». A l’endroit de tous ceux qui vivent et cultivent dans les bassins, M. Drabo interpelle : « ils doivent comprendre et savoir que chaque acte posé peut avoir un impact négatif sur la vie du barrage ». D’où, pour M Zampaligré, à défaut de trouver des concessionnaires pour les barrages, il faut engager des vigiles pour surveiller les berges car, dit-il, « si l’on ne trouve pas de systèmes fiables et rigoureux pour protéger ces barrages, tôt ou tard, ils sont appelés à disparaître. Un à un ». Et cela sera une catastrophe pour le Burkina Faso.

Daouda Emile OUEDRAOGO (daouda.ouedraogo@sidwaya.bf)


Faits saillants

* Pour photographier, il faut l’autorisation de la hiérarchie

Les barrages hydroélectriques constituent des zones de haute sécurité. Normal, lorsqu’on sait que chacune des centrales de ces lacs produit en moyenne par an, 44 GWh/an.
C’est pourquoi, le chef de service production de la centrale électrique de Bagré, Roch Compaoré a exigé d’abord qu’il ait l’autorisation de la hiérarchie à Ouagadougou avant de permettre la photographie des installations. Joignant l’acte à la parole, il passe un coup de fil. Deux minutes plus tard, il revient et lance "y a pas de problème, vous pouvez faire des photos".

* Pour visiter, il faut une autorisation signée de la SONABEL

La Société nationale d’électricité du Burkina Faso (SONABEL) est le gestionnaire attitré des barrages hydroélectriques. A ce titre, elle est la seule habilité à donner son "feu vert" aux visiteurs potentiels. Pour cela, il faut remplir une fiche disponible à la SONABEL au minimum 48 h avant le départ et la visite ne doit excéder 24 h. En outre, la demande est unique pour chaque barrage hydroélectrique. Dont act ! Puisque la capacité des barrages est énorme. Kompienga fait 2 milliards 50 millions de m3 lorsque Bagré fait 1 milliard 700 millions de m3. En superficie maximale et minimale, ils font 21 000 et 15 000 hectares (Kompienga) et 24 000 et 12 000 (Bagré).

* Et le véhicule s’enfonça dans la berge de Bagré

Dans notre périple à la chasse de l’information, nous avons fait un tour auprès des pêcheurs qui sortaient du lac de Bagré.
Après les entretiens, avant d’embarquer pour une autre étape, le chauffeur lance "ya’s ti yel be ka". Littéralement, "attend y a un problème ici". Sans préciser ce problème, on monte dans le véhicule. Lorsque le chauffeur démarre et tourne le volant, le véhicule s’enfonce par le pneu arrière droit comme un couteau dans du beurre. Il a fallu le soutien des pêcheurs et quelques agents de la MOB pour éviter le pire. Ouf ! Car à moins de quelques centimètres de plus, le cadran du véhicule serait touché. Et, selon le chauffeur, dans cette situation, il aurait fallu un engin tracteur pour résoudre le problème.

* 1 200 km de route en trois jours

Pour rallier Mogtédo, Bagré et Kompienga au départ de Ouagadougou, il a fallu parcourir près de 1 200 km en aller-retour en trois jours. Et lorsqu’il fallait souvent serrer les dents par manque de station "Shell" dans certaines villes telles Fada et Koupèla et négocier un échange de bons avec d’autres stations, ce n’était pas la mer à boire.

Rassemblés par DEO

Sidwaya

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