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Fautes de langues : le regard d’un spécialiste

Publié le vendredi 18 juin 2004 à 08h22min

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Dans l’épreuve de dictée du BEPC de cette année, des notes de
bas de page invitent les correcteurs à tolérer un certain nombre
de fautes, ce qui à priori, paraît incompréhensible. On n’est
tenter de se demander comment on peut tolérer des fautes
dans une dictée. Cela ne trahit-il pas l’esprit même de la dictée
 ? Pour répondre à la question, nous avons rencontré Youssouf
Ouédraogo, enseignant de grammaire française à l’Université
de Ouagadougou. Il explique ici les raisons possibles d’une
telle tolérance.

Le Pays : Comment peut-on expliquer une tolérance de faute
dans une dictée à un examen ?

Youssouf Ouédraogo : La première chose qu’il faut faire
observer c’est qu’en matière d’orthographe, il y a deux types
d’orthographes. Il y a l’orthographe d’usage et il y a l’orthographe
grammaticale, c’est-à-dire l’orthographe de règle. L’orthographe
d’usage porte sur la forme graphique des mots sans qu’on ne
puisse justifier synchroniquement, c’est-à-dire à l’état actuel de
la langue, cette forme.

Si l’on veut retrouver une explication de la
forme du mot, il faut remonter à son histoire. Par contre, dans
l’orthographe de règle, la forme graphique du mot s’explique par
le contexte. Il s’agit, dans la plupart des cas, de questions
d’accord.
Quand on doit apprécier l’orthographe, on doit tenir compte des
deux aspects que comporte l’orthographe. Pour ce qui concerne
l’orthographe, comme il y a un certain nombre de cours qui sont
donnés aux élèves, on est plus exigeant pour cet aspect.

Par
contre, en ce qui concerne les questions d’orthographe d’usage,
on peut, et très souvent c’est le cas, être tolérant si l’apprenant
écrit un mot déjà existant et qui, dans le contexte, est
compréhensible. Dans le cas d’espèce, si l’apprenant écrit
"temps" en lieu et place de "tant" dans l’expression "tant
attendu", même si la phrase se comprend difficilement pour
quelqu’un qui a un certain niveau de compétence, elle reste
relativement sensée.

Mais ce qu’il faut ajouter aussi, normalement, si la dictée est
correctement faite par l’examinateur, il y a une liaison qui lève
tout équivoque et qui fait que forcément le candidat va se dire
qu’il y a un "t" à la fin du mot "tant" et ça ne peut pas être "temps".
Si l’on regarde la dictée telle que les organisateurs de l’examen
l’ont proposée, tout le monde reste conscient qu’il y a
incorrection à écrire "temps".

Mais il est demandé aux
correcteurs d’être tolérant si des candidats écrivent "temps".
Une chose qu’il faut préciser, c’est qu’il y a, dans le domaine de
l’apprentissage, des aspects à prendre en compte quand on est
dans une situation d’évaluation. Il y a la notion de grammaticalité
et il y a la notion d’acceptabilité.

La notion de grammaticalité se
réfère à une norme qui prend en compte les questions de
règles et d’usages. La notion d’acceptabilité, quant à elle,
consiste à nuancer un jugement de grammaticalité par des
éléments du contexte. Ici, le contexte qui est un contexte
d’apprentissage veut qu’on ne cherche pas forcément à
sanctionner mais aussi à récompenser certains candidats qui
font un minimum d’efforts.

Ici, l’analyse consistant à écrire
"temps" peut être considéré comme étant un effort par les
candidats qui l ’écrive ainsi. La partie de la phrase qui précède
permet d’analyser le mot comme se référant au moment, à la
période, attendu surtout que l’élément est encadré par une paire
de virgules. On peut l’envisager comme une apposition. Dans ce
cas, le mot pourrait être analysé comme une mise en apposition
à "un jour important".

Ça peut se comprendre dans une certaine
mesure. Moi, en tant qu’évaluateur, je comprends la tolérance. Il
y a des cas où moi-même, dans une situation de production
d’élèves, je vois que ce qu’ils écrivent n’est pas correct mais je
ne leur donne pas forcément zéro. Si on procédait ainsi, je
pense que les résultats à tous les examens, qu’il s’agisse du
primaire, du secondaire ou du supérieur, les résultats seraient
catastrophiques. S’il faut tout trouver pour avoir un point, ce
serait extrêmement difficile.

N’est-ce pas là une reconnaissance de fait de la baisse du
niveau ? Dans le temps ça ce passait ainsi.

Je pense que de tout temps, quand on propose un sujet, on
donne des indications. Même pour des candidats d’un excellent
niveau, on envisage que certains fassent des choix qui ne sont
pas certes justes mais qui présentent une logique. Dans le cas
d’espèce, il y a d’autres possibilités d’envisager "tant".
Pourtant,
on n’a toléré que la forme "temps". D’autres formes ne seraient
pas du tout compréhensibles à ce niveau.

Ne peut-on pas affirmer que le niveau de connaissance et de
pratique du français dans les écoles burkinabè ont baissé ?

Oui, on peut le dire. Mais il faut faire attention à ce genre de
jugement. Le français, comme toutes les langues, évolue. On
ne s’exprime pas aujourd’hui de la même manière que l’on
s’exprimait au début du siècle passé. Du point de vue des mots
mêmes qui sont utilisés, je parle de l’aspect lexical, ce ne sont
pas les mêmes.

L’autre aspect qu’il faut prendre en compte est l’augmentation
des effectifs. On ne peut pas comparer le dernier d’une classe
de trente personnes et le dernier d’une classe de cent élèves.
Le niveau ne peut pas être le même en tenant compte des
contextes qui sont différents. La conséquence, c’est qu’il y a un
effet de chaîne qui fait que les choses évoluent dans un sens
pas souhaité.

Même les éducateurs qui se retrouvent à
l’enseignement actuellement n’ont peut-être pas le niveau
souhaité. Mais il ne suffit pas, à chaque fois, de le dire et de le
redire. Il faut chercher les solutions qui peuvent être de voir par
exemple, non pas dans le sens de la réduction des effectifs
parce qu’on a tendance à incriminer cet aspect, mais comment
réfléchir sur des méthodes de formation des enseignants dans
le contexte qui est le nôtre et comment former efficacement les
enseignants pour une bonne pratique pédagogique et
didactique de grands groupes.

Propos recueillis par Mamadou OUATTARA


Dictée : L’instant de vérité

"Sont déclarés définitivement admis, les candidats dont les
noms suivent..."
Cette phrase traditionnelle, lâchée par la voix monotone,
mécanique et impersonnelle du proviseur (1), venait de produire
un effet magique sur ce monde bigarré dont regorgeait le lycée.
Tous les bruits s’étaient brusquement arrêtés. D’un même élan,
les candidats pour la plupart incertains, avaient resserré le
cercle...
Ce jour-là était un jour important, tant (2) attendu, et la fièvre de
cette attente avait laissé des symptômes sur plus d’un visage.
Juché sur l’estrade, Monsieur (1) le proviseur égrenait (3) les
noms des heureux admis, avec la plus parfaite emphase.

Lézin Didier ZONGO, Amertume souvenir, 1989

* Ecrire au tableau :

(1) Tolérer la majuscule ou la minuscule
(2) Tolérer ; temps
(3) Tolérer : égrainait

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