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Assises nationales sénégalaises : De quoi a peur Wade ?

Publié le mardi 3 juin 2008 à 11h26min

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Les assises nationales sénégalaises dérangent sérieusement le président Abdoulaye Wade. Parce qu’il s’est toujours voulu démocrate bon teint, le chef de l’Etat sénégalais fait preuve aujourd’hui d’une susceptibilité mal placée par son refus du débat contradictoire. Non seulement l’homme du « Sopi » a balayé du revers de la main l’invitation que lui ont adressée les organisateurs, mais encore, il s’est offert le luxe de menacer ces derniers, les accusant de vouloir chercher à le renverser.

Pourtant, ces assises polarisent bien l’opinion, par la pertinence des débats qui portent sur des problématiques en rapport avec les intérêts du peuple sénégalais. Mais aussi par la personnalité de celui-là même que les organisateurs ont porté à la tête de ce dialogue sénégalo-sénégalais.

Les assises sont en effet présidées par Amadou Mahtar M’Bow, ancien ministre du président Senghor mais surtout ancien patron de l’UNESCO. Personnalité dotée d’une forte crédibilité, le moins qu’on puisse dire de lui, est qu’il a bien du répondant. D’autant qu’il appartient, comme Me Wade, à cette génération d’Africains pour qui la famille, la patrie, l’honneur et la dignité ne se marchandent pas comme de nos jours.

Octogénaire d’envergure, M. Mbow a su jusque-là préserver le respect de sa personne en se mettant en retrait de toute activité susceptible de nuire à sa réputation. Les organisateurs des assises nationales ont dû déployer des mois d’efforts soutenus pour parvenir à le sortir de 30 ans d’hibernation. L’importance des problèmes, mais aussi son amour insatiable pour le pays de la Teranga, ont sans doute fini par avoir raison de la tenacité du vieux battant. C’est d’ailleurs pourquoi il faut déplorer les défections du camp Wade dont la présence à ces débats aurait permis au navire Sénégal de sortir des marécages pour mettre définitivement le cap sur des horizons prometteurs. Hélas !

Bien étranges et vraiment très décevants que ce refus du débat contradictoire, ces menaces à peine voilées du chef de l’Etat sénégalais. Cela est déconcertant de la part d’un dirigeant comme Me Wade qui sait aussi tracer sa voie. Il n’empêche, à la pratique, il se confirme chaque fois qu’il est illusoire d’attendre de grandes choses de certains types d’opposants, fussent-ils populaires. Une fois installés au palais de la République, ils dépassent les anciens maîtres du pouvoir en malgouvernance après les avoir longtemps décriés sur ce chapitre. Rien d’étonnant que le pouvoir sénégalais redoute que ces assises nationales ne fassent un bilan de sa gestion, et ne tournent en dérision sa gouvernance.

Cette frilosité traduit dans les faits une peur de la critique et de l’autocritique. C’est franchement anti-démocratique de la part de celui qui a toujours été prompt à critiquer la gestion des autres. On se rappelle encore les prises de position tranchées des dirigeants sénégalais à l’égard de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique (ASECNA) et du Fonds des Nations unies pour l’agriculture (FAO).

Est-il possible d’oublier que Me Wade est un avocat rompu à l’art de la plaidoirie et donc du débat contradictoire ? Encore moins qu’il s’agit d’un ancien opposant, lequel a longuement attendu qu’arrive son heure. Les intimidations à l’égard de ceux qui se sont mobilisés pour la tenue effective des assises nationales, n’honorent pas ce vieux lutteur.

Qui ne se souvient en effet de ses nombreuses prises de position publiques, ses critiques acerbes lors des meetings, des slogans accusateurs de partisans farouches lors des marches organisées notamment à travers les rues de Dakar alors que ses adversaires socialistes étaient au pouvoir ? L’homme du "Sopi" a longtemps défrayé la chronique quand ses prédecesseurs étaient au gouvernail : le président Senghor, et Abdou Diouf qui lui a dignement cédé le pouvoir ont subi ses foudres dans la rue et dans les médias.

C’est pourquoi il déçoit aujourd’hui par ses propres pratiques. Lui qui a toujours bénéficié, non sans mal bien entendu, des largesses des pouvoirs auxquels il assénait sans pitié des coups de cornes et de sabots qui font vraiment mal. On aurait voulu l’accuser sur d’autres terrains mais pas sur celui des débats démocratiques qui doivent faire avancer l’Afrique. C’est de l’intolérance, et cela n’est pas négociable.

Le pouvoir sénégalais, en agissant de la sorte, ne rend service ni au Sénégal, ni à la démocratie en Afrique. Bien au contraire, il participe du renforcement de ces pouvoirs autocratiques des républiques bananières, dont la caractéristique principale est la mégalomanie sur fond de prévarication. Dans leur aveuglement, ils n’ont du débat démocratique que l’image d’une alternance sous contrôle.

Depuis l’époque senghorienne, le Sénégal a trop habitué les opinions africaine et internationale, aux joutes oratoires et à un climat d’échange. Pour avoir lui-même longtemps profité de telles ouvertures d’esprit sous les précédents régimes sénégalais, Me Wade aurait dû envoyer ne serait-ce qu’un observateur à ces assises nationales. En s’y refusant, il ne fait honneur ni à la démocratie, ni à son propre parti.

Finalement, on en arrive à se demander de quoi a vraiment peur Me Wade.

Lui et son équipe gouvernementale auraient-ils mauvaise conscience ? Les assises auraient même pu servir d’exutoire si tel était vraiment le cas. Quoi qu’il en soit, la conception que le chef de l’Etat sénégalais a de la démocratie est à revoir. Car de telles assises nationales interpellent toute la nation. A commencer par les dirigeants.

Ce type de rencontres a l’avantage de mobiliser toutes les énergies autour de sujets controversés et qui intéressent au plus haut point le présent et l’avenir du pays. Me Wade aurait bien pu être le premier à profiter des conclusions de ces travaux.

Aurait-il oublié les prodiges de l’agora de l’antiquité grecque ? Aurait-il oublié qu’il tient son pouvoir de la coalition de l’opposition qui, aujourd’hui, apparaît comme une menace à ses yeux ? Serait-ce vraiment la peur de la critique publique qui le met ainsi à mal ? Les organisateurs des assises nationales disent pourtant ne vouloir aucunement viser son pouvoir. L’opposition, elle, ne conteste plus la légitimité du chef de l’Etat sénégalais. Même si ses alliés d’hier, opposants d’aujourd’hui, ont toujours dénoncé sa manière de gérer et de conserver le pouvoir.

"Le Pays"

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