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Faure, l’"opposant" de son père

Publié le vendredi 30 mai 2008 à 12h07min

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Le dimanche 27 avril 2008, la nation togolaise fêtait ses 48 ans d’indépendance. A Lomé la capitale de l’ancienne Suisse de l’Afrique de l’Ouest, la célébration, faite de décorations, de parade militaire et civile et de réjouissances populaires, a été présidée par Faure Gnassingbé, le chef de l’Etat. Ce n’était cependant qu’une fête de plus qui visiblement n’a rien changé dans le quotidien du peuple togolais. Le Togo, ce concentré de difficultés.

27 avril 1960 - 27 avril 2008. Cela faisait 48 ans exactement que le Togo a acquis son indépendance, à l’instar de nombre d’Etats voisins qui l’entourent. 48 ans, presqu’un demi siècle, c’est loin d’être incongru dans la vie d’une nation. Raison pour laquelle les festivités au menu de cette commémoration étaient plus que justifiées. Seulement, lorsque nous quittions notre hôtel vers 8h, ce dimanche 27 avril 2008, pour nous rendre aux manifestations commémoratives des 48 ans d’indépendance du Togo, rien autour de nous n’indiquait que l’heure était à la fête. En dehors de la télévision locale qui diffusait les séquences d’un imposant défilé militaire. Mais dans les rues plus ou moins désertes. Ce n’était pas la grande effervescence. Il ne fallait pas trop s’en étonner. Assou - c’est le prénom que portent les jumeaux de son ethnie-jeune "zémidjan" (conducteur de taxi-moto), ignorait même qu’il y avait une fête, a fortiori, l’endroit où elle se déroulait. Nous l’informons donc que c’était vers la nouvelle présidence, c’est-à-dire non loin de la résidence de Faure Gnassingbé, le chef de l’Etat.

Nous voilà donc embarqué sur un "zémidjan" astiqué comme une Rolls Royce, et qui faisait la fierté de son propriétaire. Sur un parcours sécurisé par des hommes de tenue, doigt sur la gâchette, nous avons rencontré des hommes et femmes endimanchés qui se pressaient pour assister à l’événement. Assou, lui, avait d’autres soucis. "Nous, les jeunes, on souffre trop", nous a-t-il révélé dans un français qui laisse deviner aisément que son cursus scolaire a dû se limiter au cours primaire. "Et si je passe toute ma matinée ici, qu’est-ce que je vais manger ?" nous a demandé Assou qui a aussitôt démarré sa moto après avoir encaissé son dû.

Nostalgiques des années Eyadéma

"Avec Faure, le Togo reprend sa place dans le concert des nations", affichait une des banderoles tendues à la tribune officielle. Et le défilé, militaire d’abord et civil ensuite, se poursuivait au rythme très cadencé de la fanfare. Le jeune chef de l’Etat togolais, debout et comme esseulé au milieu d’un monde bigarré, saluait invariablement les paradeurs. Seul, Faure l’est assurément, lui dont certains membres de la propre famille considèrent comme un opposant à leur père feu le général Gnassingbé Eyadéma. Des irréductibles de l’ancien régime du père, dépouillés de tous les avantages qui faisaient d’eux les hommes forts du Togo, défendent également cette acception, extériorisant ainsi toute leur nostalgie des années Eyadéma.

Certes, après le décès du Vieux, tout ce monde a soutenu l’arrivée du fils prodigue. Ils ignoraient sans doute que ce dernier n’allait pas marcher dans les sillons du père sous le règne duquel le Togo n’a pas connu que le bonheur, tant sur les plans social, politique qu’économique. Les crimes de sang, la privation de liberté d’expression, le clientélisme, la malgouvernance, la corruption, les détournements de deniers publics, etc., étaient des pratiques presque légalisées.

Le Togo était devenu une nation peu, voire pas du tout fréquentable par les vertueux, les amoureux de la démocratie. Ce n’est pas l’Union européenne qui avait suspendu ses relations avec l’ancienne Suisse de l’Afrique de l’Ouest qui dira le contraire. Encore moins les institutions de Bretton Woods qui, à l’instar de Bruxelles, viennent de rétablir la passerelle avec Lomé, suite aux dernières législatives togolaises qui ont connu la participation de toute la classe politique, notamment l’UFC de l’opposant historique Gilchrist Olympio. Depuis les résultats de ces scrutins qui ont matérialisé le début d’un véritable processus démocratique au Togo, le pays de Faure Gnassingbé retrouve peu à peu la confiance des bailleurs de fonds, des partenaires financiers et de bien des pays occidentaux.

Démocratie et paix

Optant visiblement pour la démocratie et pour la paix des coeurs, Faure, dans la foulée, lance des consultations pour une commission "Vérité et réconciliation". Ce qui est loin de plaire à tout le monde, notamment les anciens "hommes forts". Compte tenu de la brièveté de notre séjour, et ladite structure n’ayant pas encore été mise en place, aucune "voix autorisée" n’a été en mesure de nous en parler davantage. Sauf qu’à voix très basse, certains se sont énergiquement opposés à cette idée. "Où est-ce qu’il est allé trouver cela ? Du temps du Général, on n’aurait jamais vu ça", a affirmé avec amertume un thuriféraire de l’ère Eyadéma.

En face, le langage est tout autre. A l’instar des autres pays côtiers où l’appartenance ethnique ou régionale est un facteur incontournable en politique, Faure Essozimna Gnassingbé est considéré presque comme un messie. Pour les tenants de cette acception, cela ne tient pas du hasard, car Faure est un "métis ethnique", son père étant du Nord et sa mère du Sud. Autrement, il n’aurait pas pu engager cette ouverture qui, il faut le reconnaître, a été largement favorisée par l’Accord politique global (APG) auquel sont parvenus les Togolais sous l’égide du chef de l’Etat burkinabè Blaise Compaoré. D’ailleurs, dès son entrée fracassante et contestée sur la scène politique togolaise par le sommet, Faure a été considéré, à tort ou à raison, comme le protégé du président du Faso. Et comme s’il avait reçu une mission divine, à moins que ce soit la dernière volonté du Général au soir de sa vie, le doyen des chefs d’Etat en exercice de la sous-région a assisté le jeune Faure qui n’était pas encore assez fort pour faire face aux orages venant de partout.

Querelle familiale

Si Blaise Compaoré, avec sa triple casquette de voisin, de président de la CEDEAO et de l’UEMOA, a pu accompagner jusque-là Faure dans ses premiers pas de chef d’Etat, aura-t-il pour autant les ressources nécessaires pour réconcilier les enfants Gnassingbé dans une querelle qui pourrait à tout moment remettre en cause le fragile processus de paix au Togo ? La cassure entre les enfants du Général a été une fois de plus perceptible lors de la célébration du 48e anniversaire de l’indépendance du Togo. Kpatcha Gnassingbé, frère consanguin de Faure, ancien ministre de la Défense, élu député sous l’actuelle législature, a brillé par son absence à la fête de l’indépndance. Le divorce entre les deux frères n’est pas resté sans influence sur le microcosme politique togolais. Même l’armée, composée en majorité de natifs du Nord, est loin de faire bloc derrière le chef de l’Etat. Tout ou presque reste donc à faire au Togo qui ressemble à un volcan en sommeil, attendant tranquillement son heure pour entrer en éruption. Ce serait dommage pour le Togo qui, pour le bonheur d’un peuple longtemps opprimé et asservi, est en train de chercher la bonne voie.

En tout cas, l’atmosphère est lourde de suspicion au Togo, et des bruits font état d’attentats qui viseraient le chef de l’Etat et auraient été désamorcés à plusieurs reprises. Vrai ou faux ? Nous n’avons pas pu avoir la réponse sur les bords de la lagune Bè. Est-ce encore par crainte de "togolaiseries" que la soirée de gala de la fête de l’indépendance a été organisée dans les jardins d’un grand hôtel de la capitale ? C’était une première, a révélé quelqu’un. Petite anecdote : dans l’entourage familial du chef de l’Etat, certains ont boycotté la fête de l’indépendance pour la simple raison que pour eux, la vraie date qui mérite commémoration est celle du 13 janvier. En effet, pour ceux-ci, plus que l’anniversaire de l’accession du Togo à la souveraineté nationale, seul compte le souvenir du 13 janvier 1967, le fameux jour où Etienne Eyadéma s’est installé au pouvoir pour 38 ans de règne sans partage. Seule la mort aura eu raison de l’homme de Kara. Ainsi va la vie au Togo.

Par Morin YAMONGBE

Le Pays

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