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Soungalo Koné, fondateur de "Bomba Techno" : "Le Burkina Faso fait partie des précurseurs du biocarburant"

Publié le vendredi 30 mai 2008 à 12h25min

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Retraité de la Société de production d’alcools (SOPAL), Soungalo Koné consacre ses vieux jours à la science, à la technologie et à l’innovation à Banfora. A la tête de sa structure, "Bomba Techno", il a réussi à stabiliser le bangui (la sève du rônier) et à mettre au point différents processus de fabrication pour des entreprises. Ces œuvres lui ont valu plusieurs prix au Forum de la recherche scientifique et de l’innovation technologique (FRSIT). Fort de son expérience dans les chantiers navals, la construction de centrale atomique en France et la fabrication d’alcools, ce constructeur métallique et dessinateur industriel formé à Nantes dans les années 1970 parle de son domaine de prédilection avec passion.

Sidwaya (S.) : D’où est venue l’idée de stabiliser la sève du rônier, le fameux bangui ?

Soungalo Koné (S. K.) : Après plusieurs années de carrière à la Société de production d’alcools (SOPAL), j’ai décidé de consacrer ma retraite aux travaux d’innovation.

L’acquisition des outils de fabrication étant très difficile dans ce pays, il faut développer une technologie adaptée aux besoins de transformation. C’est ainsi que j’ai réussi à construire un alambic pour le docteur Zéphyrin Dakuyo, pharmacien très connu au Burkina Faso et en Afrique pour ses travaux de pharmacologie dans son laboratoire "Phytofla". Mais mon domaine de prédilection reste l’agroalimentaire à travers la fabrication de processus de transformation des produits locaux, notamment les céréales. Cela m’a conduit dans de nombreuses villes du pays où mes services ont été sollicités comme à Léo pour initier des membres d’une organisation non - gouvernementale (ONG) à la fabrication de la pâte alimentaire à base de maïs. Toutefois, c’est la transformation du bangui (sève de rônier) qui m’a révélé au public. Je me suis intéressé à cette boisson par souci de santé publique.
Le bangui est certes une boisson très prisée et très riche en nutriments divers, mais elle peut se révéler très dangereuse. C’est une boisson qui se fermente très vite. Quand elle est mal conservée, il y a une production d’alcool supérieur. Le bangui devient alors comme un bouillon de culture de germes très favorable à la propagation de maladies diverses. En cherchant donc à résoudre ce problème de santé publique, j’ai réussi à stabiliser le bangui sans produits chimiques car je suis contre les conservateurs. "Bomba Techno" est arrivée à stabiliser et à conserver le bangui sur un long temps.

S. : Comment avez-vous procédé concrètement ?

S. K. : Tout a commencé par une sensibilisation des extracteurs de bangui sur les règles élémentaires d’hygiène à observer. Je leur achète tous les matins le bangui très doux et sucré. Si les tests physico-chimiques (surtout organoleptiques) prouvent que la boisson est de bonne qualité, elle est soumise à la stabilisation. L’unité créée à cet effet emploie une dizaine de personnes et traite en moyenne 300 litres de bangui par jour. La quantité journalière a même franchi les 980 litres l’année dernière. Les clients sont issus de toutes les couches sociales car le bangui est une boisson très nutritive en dehors de toute autre considération. Mes produits s’exportent dans la sous-région (au Mali par exemple), au Canada, aux Etats-Unis, en France, en Belgique. . .

S. : Que répondez-vous alors au préjugé selon lequel le bangui donnerait la hernie ?

S. K. : C’est un faux problème. Ce sont les parents à plaisanterie du Sud - Ouest qui soutiennent cela parce qu’il n’y a ni rônier ni bangui chez eux. Ce préjugé sur le bangui m’a conduit à une réflexion sur la hernie. Elle est essentiellement due aux méthodes culturales et à la manière de s’habiller dans la région où poussent les rôniers. Car autrefois, il n’y avait pas de slip et le fait de cultiver à reculons, cela fait balancer les bourses et finit par provoquer une sorte de hernie.

S. : Qu’est-ce qui est entrepris pour que "Bomba Techno" soit un véritable creuset technologique ?

S. K. : Mon ambition est de valoriser au maximum les ressources naturelles du pays par la mise au point d’une réelle structure scientifique qui servirait de miroir aux promoteurs et de vitrine aux décideurs dans leurs options de développement. Il est difficile pour un pays de se développer sans un tissu industriel bien étoffé. Il faut encourager les initiatives de transformer en comblant les besoins en équipement. Si cette volonté existe et s’affirme, les matières premières vont être exploitées sur place à bon escient. La consommation prendra de l’ampleur et des richesses naîtront des plus-values pour tous les intervenants dans le processus industriel. L’industrie a un effet efficace d’entraînement des autres secteurs. Elle crée des valeurs ajoutées à plusieurs niveaux. Cette chaîne implique au premier chef le paysan. Parce que dans un pays à 80% agricole comme le nôtre, l’agriculture s’avère un puissant levier de développement si elle est supportée par une industrie locale performante. Elle doit quitter son stade actuel de subsistance pour un caractère intensif. Pour être radieux, notre avenir doit être bâti à partir de ce secteur. Des institutions financières ont compris cela et sont prêtes à soutenir la recherche, l’innovation. La Banque régionale de solidarité (BRS) a accepté financer la construction de ma nouvelle usine. Les pays africains ne parviendront à la prospérité que lorsqu’ils seront capables de s’appuyer sur la science pour fabriquer à partir de leurs ressources agricoles, minières, forestières des produits finis consommables à grande échelle sur place.

S. : Une telle conviction n’est-elle pas à relativiser pour un habitant d’une ville dont la principale unité industrielle, la SOSUCO, connaît une mévente de ses produits ?

S. K. : La mévente du sucre local menace l’économie locale et nationale. Cette situation invite à une réflexion globale sur l’industrie burkinabè. Elle est confrontée à la fois à des problèmes de vétusté des outils de production, de coût élevé des facteurs de production et à une difficulté d’option de filière de production. "Le Burkina Faso veut-il être un pays industriel ou une nation qui importe tout ?". Il faut savoir se choisir une juste voie pour pouvoir se construire une économie réellement émergente. Les pays africains semblent se plaire dans leur rôle d’exportateurs de matières premières à l’état brut. Ils préfèrent importer tous leurs produits de grande consommation. Une telle situation ne peut pas favoriser un décollage économique. Aucun développement ne peut être soutenu et durable si l’environnement économique dépend fortement de l’extérieur. Le sucre de canne produit par la SOSUCO est différent du sucre de betterave importé. Il fut un moment où cette société a exporté jusqu’à 7 000 tonnes de sa production vers l’Europe. Pourquoi donc ne pas promouvoir cette production biologique très recherchée sur le marché international ? L’on pourrait également envisager la création d’un pôle sucrier sous régional en unissant les efforts des sucreries du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali... pour faire face aux grands complexes mondiaux. Car si l’on n’y prend garde, le problème du sucre local ira de mal en pis. Il manque une volonté politique affichée pour bâtir une industrie nationale compétitive en Afrique. Les coûts de production empiètent énormément sur la rentabilité.

Le sucre de la SOSUCO ne pourra jamais être compétitif sur le marché si des préalables ne sont pas résolus : modernisation des moyens de production, réduction des coûts, accroissement des capacités, volonté politique de protéger le marché. . . En somme, un code d’investissement industriel attractif. Les industriels et les pouvoirs publics doivent être animés des mêmes objectifs et parvenir à forger ensemble un cadre propice à la production et à la commercialisation. Les règles de jeu doivent être les mêmes pour tous les acteurs économiques. Si les conditions ne sont pas réunies, aucun processus d’industrialisation n’est possible. La fraude et la mondialisation ne sont que de faux prétextes, voire des fuites en avant uniquement valables dans des pays africains. Avec un peu de courage politique, l’on peut les combattre ou atténuer leurs effets pervers sur les affaires. Les clauses du commerce international n’interdisent pas le protectionnisme. Il faut souvent avoir le courage de se replier sur soi - même pour opérer des choix intégrés, internes et endogènes pour son économie et son développement. Sinon, il serait difficile pour des pays africains comme le Burkina Faso de se frayer le chemin d’un progrès véritable. Parce qu’à force de vouloir imiter son colonisateur, on ne peut que retourner à son passé.

L’Afrique semble toujours s’enfermer et se contenter dans son carcan de sous-développement. Plus les produits de grande consommation proviennent de l’extérieur, plus la dépendance est grande. Il est temps d’apprendre à consommer local et même de penser à exporter. Et cela passe nécessairement par la valorisation des ressources naturelles et humaines que seule une industrie nationale bien réfléchie et bien menée peut susciter. Dans un pays respectable, les importations ne doivent pas être privilégiées par rapport à la production locale. Les pays de l’Asie du Sud-Est (les fameux dragons) qui avaient le même niveau de développement que de nombreux Etats africains dans les années 1960 ont accompli ce miracle de bâtir eux-mêmes des industries et des services très compétitifs.

S. : Il y a pourtant une innovation qui semble jouer des tours à l’humanité, les biocarburants. La planète manque en partie de céréales pour son alimentation à cause de cette technologie. Qu’en pensez-vous ?

S. K. : Le biocarburant n’est pas un mystère. Le Burkina Faso en est même un des précurseurs dans le monde. La SOPAL a beaucoup œuvré dans cette technologie. Dans les années 1980, elle a mis au point de l’alcool de 99 degrés qui pourrait être utilisé comme du carburant face à la montée vertigineuse du cours du pétrole à cette époque. Des essais ont même eu lieu à la Direction du développement industriel (DDI). Il suffisait d’un mélange à 4% avec un produit pétrolier classique pour espérer faire marcher un moteur. Quand le coût du baril a baissé, le projet a été rangé aux oubliettes. Si l’on avait continué le processus, le Burkina Faso serait aujourd’hui très en avance dans le domaine du biocarburant. Maintenant, la problématique se pose dans un pays pauvre dont les céréales n’arrivent même pas à nourrir sa population. Pour ne pas paraître ridicule face à une telle innovation, il faut soit réfléchir à des alternatives comme le jatropha, soit intégrer le biocarburant dans les systèmes de production agricoles. Par exemple, la graine de coton peut servir aussi bien à la production de l’huile alimentaire que pour celle du biocarburant. Il faut trouver le juste milieu : l’on a besoin de l’énergie pour la transformation et la transformation pour se nourrir. Si l’on escamote l’aspect alimentaire pour celui du biocarburant, ce serait irresponsable. Autant le biocarburant est une aubaine pour les économies africaines disposant d’une biomasse bien fournie, autant il faut apprendre à gérer l’énergie pour garantir la sécurité alimentaire.

S. : Quelle explication peut-on donner au retard accusé par l’Afrique dans son développement ?

S. K. : En dehors de toutes les considérations et autres jugements, le développement du continent n’est pas retardé. Il est simplement freiné. Un processus ne peut être retardé que lorsqu’il a commencé. L’option politique a énormément manqué dans le développement de l’Afrique. Il faut opérer des choix raisonnables et amener les acteurs de tout horizon à s’y investir. Je vais peut-être paraître ridicule. Mais pour lutter par exemple contre le désert, je conseillerais de planter d’abord des arbres là où il y en a et attaquer ensuite le désert. Le développement dans les pays africains doit partir des zones favorisées par la nature de sorte à ce que les bénéfices générés soient utilisés pour le financement des zones défavorisées. Il n’existe pas un pays au monde dont toutes les parties du territoire national sont totalement pourvues ou dépourvues de richesses. Chaque région a ses potentialités dont les investissements sont variables. Il faut savoir amorcer le développement là où cela sied le plus et par le biais de la bonne répartition des richesses engager le processus à l’échelle nationale. L’Afrique dispose de toutes les opportunités du progrès. Le problème réside au niveau des choix politique, économique et social pour créer un cadre serein et incitatif du développement.

S. : A un niveau régional, qu’est-ce qui entrave le progrès de Banfora, localité pourtant favorisée par la nature ?

S. K. : Banfora et son hinterland ont eu cette chance d’être considérablement nantis par la nature. La région des Cascades peut à elle seule nourrir tout le Burkina Faso. A juste titre, le colonisateur l’a désignée "Cité du paysan noir" pour signifier que c’est le grenier de la nation. Il y a l’eau, les terres et les hommes. Banfora et son hinterland devraient constituer le terroir du développement car le progrès est aussi possible avec les spéculations sylvo-agropastorales. J’ironise souvent en disant qu’à Banfora, les gens meurent de soif, les pieds dans l’eau. La région a tout et ses habitants ont faim. C’est quelque chose d’incompréhensible. Il suffit de fournir l’effort de s’accroupir pour boire. L’on devrait songer à valoriser les potentialités que la nature a offertes gratuitement pour se donner les moyens de créer d’autres richesses. Cet engagement entraînera une sortie de la pauvreté relative. Pour booster le développement, il faut mettre en exergue ce qui est et doit être. Cet élan prend obligatoirement son appui sur la valorisation des ressources agrosylvopastorales. La problématique même du développement de l’Afrique révèle une absence de transformation des richesses. Le cas du coton explique tout. Le Burkina Faso a beau être le premier producteur africain, il ne profite pas suffisamment des retombées de sa production car le pays ne dispose pas d’une industrie textile conséquente. Le développement sera toujours freiné si les matières premières sont toujours exploitées et vendues en l’état. Les filles et les fils de la région de Banfora devraient se départir de toute considération ethnique et politique pour conduire le développement local dans une convergence d’idées, une unité d’action.
Les potentialités ne suffisent pas à elles seules à créer le progrès. La part des hommes est déterminante. Les projets ne tiennent que par la bonne volonté de leurs initiateurs.

S. : Quels conseils donnez-vous aux jeunes promoteurs qui bénéficient de divers financements pour réaliser des projets et sortir de l’engrenage du chômage ?

S. K. : La jeunesse burkinabè ne doit pas se laisser emporter par le découragement. Le gouvernement est conscient de sa force dans le développement du pays. Pour ce faire, l’Etat consent des efforts pour l’épanouissement des jeunes. Seulement, les jeunes doivent savoir compter sur eux-mêmes et ne rien attendre. Ils doivent se battre sans cesse. Le souci de l’innovation doit conduire la jeunesse à créer des entreprises pérennes. Il ne s’agit plus de copier pour réussir dans l’entreprenariat. Il faut sortir de l’ordinaire, monter des projets innovants, créateurs de richesses et d’emplois. Contrairement à ce que l’on croit, les Burkinabè ne sont pas aussi nombreux et leur pays est en chantier. Logiquement, on ne devrait pas parler de chômage. Il y a assez d’activités à mener dans ce pays. La plus grande pauvreté est d’abord celle de l’esprit. Si les jeunes occupent activement leur place et s’engagent pleinement dans le développement, le Burkina Faso peut être l’avenir de la sous-région. Ceux qui postulent aux fonds de financement doivent savoir se limiter au strict minimum nécessaire au démarrage de leurs affaires. S’ils se montrent très gourmands au départ, c’est le gouffre.

Interview réalisée par
Jolivet Emmaüs
joliv_et@yahoo.fr

Sidwaya

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