LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Limogeage du Premier ministre guinéen : Des luttes et des morts pour rien

Publié le jeudi 22 mai 2008 à 11h19min

PARTAGER :                          

Le président Lansana Conté n’aura pas beaucoup de temps pour refermer la parenthèse des concessions qu’il avait, contraint et forcé, faites à ses concitoyens au terme d’une crise sociale particulièrement dure puisqu’il y eut de la violence. Il a donc renvoyé le Premier ministre qu’il s’était vu imposer. Le motif ? Insuffisance de résultats.

On ne manquera pas de voir dans cet épilogue, un échec personnel du déjà ancien Premier ministre Lansana Kouyaté. Venu aux affaires sous la pression de la rue, il était apparu aux yeux des populations guinéennes comme un homme providentiel, sur lequel elles comptaient pour sortir le pays du marasme politique et économique dans lequel des décennies de régime Conté l’avait enfoncé. Cela signifiait que, sur le plan économique et social, il y avait des attentes connues, qu’il avait, par l’acceptation du poste qui lui était proposé, promis de satisfaire : améliorer les conditions de vie de ses concitoyens. Cela signifiait aussi, sur le plan politique, un certain nombre d’actions visant la promotion de la démocratie. Il devait, dans cette perspective, tenir face à un président autocrate, et réaliser des réformes qui donnent la parole au peuple, et engagent la transparence dans la gouvernance du pays.

Que cette feuille de route ait été rédigée en bonne et due forme ou pas, il ne fait aucun doute que l’arrivée aux affaires, dans les circonstances que l’on sait, d’un homme qui n’avait pas de mouvement politique derrière lui, impliquait de tels engagements de sa part. Dans ces conditions, Lansana Kouyaté devait montrer beaucoup de caractère et de fermeté pour réaliser des actions précises et significatives dans des échéances suffisamment brèves pour rassurer des populations à l’impatience justifiée. Il est clair que son destin politique dépendait de sa capacité à donner rapidement des preuves de sa capacité à gouverner dans le sens de ses engagements implicites ou explicites. Après son accession au poste de Premier ministre, il a fait d’ailleurs des tournées dans le pays, au cours desquelles il n’a pas été sobre en promesses à des populations qui ont pu croire qu’enfin, elles voyaient le bout du tunnel. Il faut insister sur ce point : il devait faire vite, avant que la dynamique qui l’a conduit au sommet de l’Etat ne retombe. Car on pouvait prévoir qu’à long terme, il y aurait du reflux dans la mobilisation populaire qui était la branche sur laquelle il était assis.

Or, les problèmes quotidiens des Guinéens n’ont pas été résolus. On pensait bien que l’ampleur et la gravité de ces problèmes faisaient que l’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’un Premier ministre en vienne à bout en un temps très court. Mais la déception s’est installée rapidement, devant l’inaction et l’impuissance réelles ou supposées du gouvernement. Le président Conté, qui n’était pas résolu à se contenter d’inaugurer des chrysanthèmes, menait la guérilla contre celui qu’à tort ou à raison il considérait comme un adversaire dont il fallait se débarrasser rapidement, comme d’un grand danger pour son fauteuil. Il a fait du blocage, refusant de donner sa signature parfois alors qu’elle était requise, renvoyant un membre du gouvernement de sa seule initiative.

Peut-être, Lansana Kouyaté s’est-il laissé absorber par cette compétition. Peut-être a-t-il voulu peaufiner son statut de présidentiable en livrant au président, le match au sommet dans lequel par expérience, ce dernier se savait vainqueur à l’avance. Le gouvernement, dans ces conditions, ne pouvait pas travailler sereinement. Peut-être a-t-il consacré plus d’énergies à son image à l’extérieur qu’à son action à l’intérieur, commettant, en passant, des erreurs de gestion. Si bien que son renvoi, aujourd’hui, ne suscite dans la population aucun émoi particulier.

En Afrique, les institutions républicaines et la culture démocratique ne sont pas suffisamment bien installées pour que deux hommes puissent, au sommet de l’Etat, gérer durablement les affaires publiques tout en étant des adversaires politiques. En Guinée notamment, le problème, c’est le président Conté lui-même. Tant qu’il sera là, avec le soutien des casernes et la complicité des multinationales, aucune avancée ne pourra être faite dans le sens de la démocratie ni de la bonne gouvernance.

Enfin, on doit méditer sur le grand dommage que provoque le discrédit général sur la classe politique d’un pays. Quand, entre l’opposition et le camp présidentiel, il y a des passerelles incompréhensibles pour le peuple, celui-ci ne peut pas compter sur une alternance dans sa classe politique. Quand l’opposition est constituée d’hommes qui, à un moment ou à un autre, ont été compromis dans la gestion des affaires par le régime en place, le peuple est nécessairement au désespoir dans des moments cruciaux, et obligé parfois de lier son sort à celui d’un homme passablement inconnu, dont le seul mérite est pratiquement de n’être pas lié à une chapelle politique. Pour le meilleur et pour le pire. En Guinée, à l’évidence, ce fut pour le pire : on est obligé de constater que la lutte, les sacrifices et les morts n’ont servi à rien, et que l’on se retrouve à la case départ. Il faut désormais souhaiter que ce grand peuple guinéen ait suffisamment de ressort et de ressources pour ne pas succomber à la tentative de la résignation et du fatalisme.

"Le Pays"

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique