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France-Algérie : Solder les comptes de l’histoire

Publié le mercredi 30 avril 2008 à 13h13min

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L’Elysée envisagerait-elle enfin de tourner la page controversée de ses dérives coloniales en Algérie ? En tout cas, sans aller jusqu’aux excuses officielles attendues par le partenaire algérien, le représentant français à Alger a jeté le week-end dernier un véritable pavé dans la mare. "Aussi durs que soient les faits, la France n’entend pas, n’entend plus les occulter. Le temps de la dénégation est terminé", a soutenu Bernard Bajolet.

L’ambassadeur de France en Algérie faisait ainsi allusion à la répression par les autorités françaises des manifestations d’Algériens en faveur de l’indépendance. Des exécutions sommaires avaient alors entraîné la mort de 15 à 20 000 personnes recensées sur la base d’archives militaires. Le diplomate français avait déclaré à Guelma devant des étudiants de l’université du 8-Mai 45 que "ces massacres ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué l’histoire d’une tache indélébile". Et M. Bajolet de relever "la très lourde responsabilité des autorités françaises de l’époque dans ce déchaînement de folie meurtrière qui a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes".

La presse algérienne, apparemment prise de court, semble pour l’instant avoir pris acte de la déclaration du diplomate français. Mais selon les observateurs, c’est la première fois qu’un responsable français qualifie de « massacre » cet événement douloureux de l’histoire coloniale. La déclaration du diplomate français ne manque assurément pas de courage. S’agirait-il d’une de ces déclarations à l’emporte-pièce dont la diplomatie internationale a le secret ? L’opinion devrait alors s’attendre à des moments encore plus difficiles dans les rapports entre ancien colonisateur français et ex-colonisé algérien.

Qui est véritablement l’inspirateur de tels propos ? Le diplomate lui-même ? Une telle liberté de ton trancherait alors avec tout un pan de l’histoire de la diplomatie française que même la philosophie de la rupture n’a pas encore osé bousculer. L’Elysée ? Fort possible. De quoi alors s’attendre à des développements fort prometteurs.

Selon toute vraisemblance, il y a tout de même comme un nouveau regard du côté des nouvelles autorités françaises. Les derniers éléments en provenance d’Alger semblent donner des indications dans ce sens. Graduellement, le nouvel exécutif en place à Paris cherche à faire le pas vers les attentes exprimées à Alger en vue d’un renforcement des liens de coopération bilatérale.

Les propos de l’ambassadeur Bernard Bajolet, même s’ils vont un peu plus loin, semblent toutefois se situer dans la même perspective que de précédents faits ou déclarations. On se rappelle qu’en 2005 à Sétif, l’ambassadeur Hubert Colin de Verdière avait qualifié la même répression de "tragédie inexcusable". En décembre dernier, le président Sarkozy lui-même avait évoqué à l’université de Constantin "les fautes et les crimes du passé" colonial français en Algérie, crimes qualifiés "d’impardonnables".

Un nouveau pas vient donc d’être franchi. Toutefois, il mérite d’être bien scruté, le passé étant riche d’enseignements. Qui ne se souvient en effet de ce 23 février 2005 lorsque fut promulguée une loi portant reconnaissance de la Nation française à ceux qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, d’Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française ? Cette loi stipulait que "les programmes scolaires (doivent reconnaître) en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord". L’article 4 de la loi avait suscité une telle émotion que face à l’ampleur de la contestation, le pouvoir de Jacques Chirac a dû céder et faire abroger cet alinéa de la loi. Mais le mal avait déjà été fait. A Alger en particulier, jamais les multiples visites de dignitaires français ne seront parvenus à apaiser les tensions.

Il semble qu’en France, le passé colonial demeure encore très tenace et l’on semble encore peu disposé à agir pour effacer certaines traces. Face aux enjeux coloniaux et néo-coloniaux, on devine aisément certains milieux pris en tenailles entre la peur d’avoir à payer des torts et la fierté de ne pas donner l’impression d’abdiquer face à des pays longtemps méprisés et assujettis.

Travail de longue haleine en particulier que celui qui interpelle à la fois Paris et Alger. Dans l’imbroglio franco-algérien, on distingue difficilement la différence des options politiques et diplomatiques entre la France des nationalistes qui éprouvent encore du ressentiment à l’égard d’Alger, et la France de la droite avec son refus de la défaite. Egalement, les nerfs sont toujours à fleur de peau lorsqu’il s’agit d’apprécier la question des Harkis et celle des "Pieds Noirs".

Côté algérien, la ferveur nationaliste exige un minimum de reconnaissance des torts. Dans ce pays, où la victoire sur les forces coloniales françaises a forgé les caractères et donné à l’individu une forte personnalité, l’on vit désormais sans aucun complexe. Un tempéramment qui se transmet d’une génération à l’autre depuis l’indépendance arrachée de haute lutte en 1962, et que l’érection de monuments dédiés aux héros de l’indépendance contribue à fortifier chaque jour. Sans oublier que cette fierté est ragaillardie par l’officialisation de la langue arabe qui l’emporte de loin sur le français comme langue d’enseignement et de travail.

Pourtant, entre Algériens et Français, l’amour n’a jamais paru impossible. Tant du point de vue des affaires que du flux migratoire. Et Sarkozy qui prend prochainement la tête de l’Union européenne, aura bien besoin du coup de main de l’Algérie pour réaliser son programme de développement dans la zone méditerranéenne. Le temps semble bien venu de passer à autre chose. Des relations qui se rechauffent à la faveur du changement d’option à Paris, ne feront que consolider les échanges économiques et les relations commerciales et humaines.

Déjà en 2005, au plan commercial, la France était le premier fournisseur de l’Algérie, et son quatrième client. Les exportations françaises s’élevaient alors à 3,13 milliards d’euros. Les importations tournaient, quant à elles, autour de 2,6 milliards d’euros. L’Algérie, elle, fournissait à la France 22% de son approvisionnement en gaz et 7,5% de son approvisionnement en pétrole.

Après des périodes très difficiles, la relance pourrait n’être qu’une question de temps. Quelques mesures pour briser la glace et faire la paix ne semblent plus si difficiles. Dans cette optique, reconnaître ses torts demeure un impératif. La France doit s’y résoudre. Depuis fort longtemps déjà, les peuples colonisés par elle, attendent qu’elle s’assume courageusement face à ce passif lourd de la période coloniale qu’on ne saurait évacuer d’une chiquenaude.

Le Pays

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