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Tchad : Déby ou l’art de la diversion permanente

Publié le jeudi 3 avril 2008 à 11h27min

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L’accord de paix signé par les présidents tchadien et soudanais à Dakar, en marge du sommet de l’OCI, n’a été qu’une grosse farce. Un de ces moments où les deux voisins se parent du manteau d’hommes de paix et de dialogue pour distraire l’opinion. Mais ces accolades ne peuvent plus tromper car pendant ce temps, Idriss Déby Itno et Omar Hassan El-Béchir ont camouflé chacun une arme dans le dos , prêts à se poignarder à la moindre occasion.

Les dernières accusations tchadiennes contre le pouvoir soudanais viennent nous rappeler ce jeu malsain auquel se livrent N’Djaména et Khartoum. Les deux régimes ont un atout qui fait leur force et leur permet d’entretenir de façon durable un climat de belligérance : le pétrole.

Grâce à l’or noir, ils ont les moyens de lever des armées parallèles pour se déstabiliser mutuellement. Grâce au pétrole aussi, ils bénéficient d’amitiés indéfectibles. Déby a ses Français et El-Béchir ses Chinois. Cependant, le président soudanais semble plus serein depuis que le foyer de la rébellion sudiste s’est éteint en même temps que son leader charismatique John Garang. Aujourd’hui, le pays connaît un boom économique à telle enseigne que certaines de ses entreprises ont une dimension panafricaine, notamment dans le domaine des télécommunications. Tant et si bien qu’en dépit de la campagne internationale sur les atrocités commises au Darfour, le Soudan n’a jamais été vraiment inquiété. Le régime soudanais a réussi à isoler, à marginaliser et à réduire ce problème dans une enclave, loin de Khartoum et de ses lumières.

Ce n’est pas le cas de Déby dont la fébrilité trahit une certaine fragilité face aux hordes rebelles toujours prêtes à fondre sur N’Djaména. Autant le régime soudanais, sous la pression américaine, a consenti à partager le pouvoir avec les Sudistes, autant Déby s’échine à rester seul maître à bord. Pour se maintenir dans un équilibre aussi fragile, il n’a donc d’autre option que de brandir en permanence l’épouvantail de l’agression extérieure. Or, au-delà de la rivalité entre les deux pays, il y a un problème purement interne au Tchad que le pouvoir refuse de reconnaître. Le Soudan alimente certes la rébellion tchadienne, mais Déby ne fait rien pour enlever tout argument à ses opposants armés, de continuer la guerre. Il se refuse à la mise en oeuvre d’un train de mesures devant conduire à l’avènement d’un véritable Etat de droit. Déby, c’est l’art de la diversion permanente. Et la technique paie, puisqu’elle lui a permis de se maintenir au pouvoir, contre vents et marées, depuis 1990.

Le climat de guerre permet ainsi au régime de s’exonérer d’une politique axée sur la bonne gouvernance, avec des élections libres pouvant mener à l’alternance. Médias muselés, opposants embastillés, institutions verrouillées, ressources du pétrole gaspillées, le Tchad offre l’image d’un pays aux antipodes de la démocratie. Dans ces conditions, il ne faut pas rêver d’un avenir apaisé proche pour le Tchad. Déby, surnommé à une certaine époque le "Napoléon africain", tient donc son pays sous sa férule et par les armes, sans qu’aucune perspective d’ouverture démocratique pointe à l’horizon. Le président ne semble d’ailleurs pas le seul à profiter de cet état d’exception. Marchands d’armes, sociétés pétrolières, conseillers occultes et affairistes de tous ordres en profitent pour exercer une prédation sur le pays, sous le contrôle bien sûr du chef de l’Etat et de son clan.

Le soutien de la France est aussi essentiel à la survie politique du régime tchadien. Il rend Déby myope et orgueilleux, assuré qu’il est de pouvoir toujours bénéficier de la protection d’une des premières armées au monde, tant qu’il préservera les intérêts de Paris. D’où la propension du maître de N’Djamena à préférer la mitrailleuse à l’urne. Il s’exempte ainsi de regarder son peuple en face, dont les aspirations sont connues : paix, démocratie et développement. Avec les ressources pétrolières, les Tchadiens devaient enfin connaître le bonheur d’une sécurité socio-économique pleinement garantie, avec l’amélioration de leurs conditions de vie. La Guinée équatoriale est un exemple frappant de ce que le pétrole peut être une chance pour le développement, si les dirigeants le veulent. Mais certains hommes politiques refusent obstinément de supporter le regard de leur peuple , les yeux dans les yeux. Cela reviendrait à assumer les responsabilités qui sont celles dévolues à un dirigeant digne de ce nom. Déby a fait le choix de fuir le regard de son peuple, en dilapidant la manne pétrolière dans une stratégie de la diversion.

"Le Pays"

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