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Flambée des prix : Aller au-delà des mesures d’urgence

Publié le mardi 18 mars 2008 à 11h32min

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Pour venir à bout de la flambée des prix, il faut aller au-delà des mesures d’urgence comme celles prises par le gouvernement. C’est le point de vue de l’auteur des lignes qui suivent.

"Depuis la mi-février, notre pays est en proie à la violence des manifestations contre la vie chère. La vie chère, un sujet sur lequel nous nous sommes déjà exprimés à travers ces mêmes colonnes. Nous y revenons, actualité oblige, avec toujours la même volonté et le même courage d’apporter notre modeste contribution citoyenne. Merci à "L’Observateur Paalga" et au journal "Le Pays" qui nous ont toujours donné la parole.

Maintenant que les esprits semblent s’apaiser, espérons que l’attitude conciliante des autorités permettra un retour définitif au calme et, surtout, de trouver les solutions idoines et durables à cette réalité quotidienne de la vie chère. Notre propos s’inscrit dans cette dynamique.

Depuis les manifestations de rue, plusieurs voix se sont prononcées sur les causes et les solutions envisageables pour juguler la cherté de la vie dans notre pays. A leur suite, nous proposons de revenir sur des aspects qui, à notre avis, n’ont pas été suffisamment pris en compte. Dans le même ordre d’idées, nous proposerons ce qui nous semble aussi des solutions à envisager.

La cherté de la vie dans notre pays se justifie, en partie, par une inflation importée du marché international du fait de notre dépendance de ce marché. Nous n’allons pas nous y attarder parce que nos devanciers l’ont déjà bien fait, et aussi parce qu’épiloguer sur cet aspect des choses est improductif. En effet que pouvons-nous contre les cours mondiaux ? Ces cours sont, pour nous et pour notre économie, une contrainte. Si face à cette conjoncture internationale nous ne pouvons rien, alors c’est au plan intérieur qu’il va falloir être plus créatif et plus imaginatif afin de pouvoir contrecarrer les effets négatifs et engranger les avantages de cette conjoncture qui n’a pas, comme on peut le penser, que des effets pervers pour notre pays. La flambée des cours mondiaux permet, en effet, de valoriser notre production locale en la rendant plus compétitive et plus rentable. C’est le cas du riz local face au riz importé.

Règne des monopoles, oligopoles et du secteur informel

Au plan interne, la structure de nos économies est construite à partir des matériaux imposés par les institutions de Bretton Woods qui, heureusement, ont fini par reconnaître leur échec. L’économie de marché et le libéralisme économique voulus par ces institutions sont restés inachevés dans le contexte de notre pays. La cherté de la vie y trouve des éléments d’explication. En effet, nos marchés locaux sont caractérisés malgré cette tentative de libéralisation, par des monopoles, des oligopoles et un secteur informel toujours dominant. Ces types de marché engendrent, par eux-mêmes, des rigidités de prix. En effet, il y a des tensions inflationnistes sur certains produits qui ne correspondent pas à la logique de l’offre et de la demande sur ces marchés. On y rencontre plutôt des déséquilibres créés parfois artificiellement dans le but de servir les intérêts mercantiles et égoïstes du ou des dominants de ces marchés. L’un des objectifs du libéralisme de faire profiter aux consommateurs les bénéfices des prix résultants de l’exercice de la concurrence, ne peut être atteint dans de telles structures de marchés.

Les monopoles se manifestent sous plusieurs formes dans notre pays : production, représentation ou distribution exclusive de telle ou telle marque de produits, privilèges particuliers concédés ou accordés par l’Etat à des opérateurs privés. A cela s’ajoutent des oligopoles dans certains marchés qui favorisent les pratiques anticoncurrentielles telles que les abus de positions dominantes, les ententes commerciales sur les prix à pratiquer, etc. Quelles que soient les raisons de telles stratégies commerciales, il faut comprendre qu’elles sont anticoncurrentielles et ne manquent pas d’instruire des obstacles au libre jeu du marché sur les prix. Les guéguerres entre grossistes et gérants de supers marchés dont nous avons eu connaissance il y a de cela quelque temps, celles entre fabricants de matériaux de construction, de boissons, entre importateurs et producteurs de sucre, de farine, etc., sont autant d’exemples qui illustrent bien la réalité des dysfonctionnements parfois graves et de la transparence douteuse sur les activités commerciales dans notre pays.

Quand il s’agit des marchés parfaits, au sens néoclassique, c’est le marché lui-même qui assure l’arbitrage des prix et des intérêts. Quand il s’agit par contre de marchés imparfaits comme c’est le cas de la plupart de nos marchés locaux, ce rôle de régulation et d’arbitrage des intérêts échoit à l’Etat. Le libéralisme économique a contraint l’Etat à ne plus intervenir directement sur les marchés. Il lui faudra néanmoins travailler à y assurer les conditions efficientes qui

garantissent les intérêts toujours antagonistes de tous les intervenants sur les marchés.

Une inflation créée par la rareté

En plus de ces dysfonctionnements qui caractérisent nos marchés et qui influent sur les prix, il y a aussi que l’inflation que nous subissons est plus une inflation créée par la rareté que par les coûts. Il s’agit là d’un problème structurel qui va donc s’inscrire dans la durée. Les solutions à envisager doivent alors aller dans le même sens. Dans le registre des solutions, l’une des questions pertinentes posées aux membres du gouvernement lors du point de presse du 27 février sur la TNB était de savoir pourquoi les mesures proposées ne dureront que 3 mois et à quoi on doit s’attendre après cette période d’Etat providence. Les réponses données par le gouvernement ont été, à mon avis, assez insatisfaisantes pour les raisons suivantes :

- le choix temporel n’est calé sur aucune base technique qui pourrait être budgétaire (contrainte) ou commerciale (évolution des cours mondiaux par exemple) ; ou scientifique (court, moyen ou long terme en fonction des délais d’ajustement qu’auraient détectés nos experts planificateurs) ;

- les mesures proposées sont des mesures conservatoires de court terme et ne sauraient donc solutionner durablement la cherté de vie qui est un problème structurel et multidimensionnel ;

- de la question de la pression fiscale, on avance que nous sommes dans une situation de sous pression. Il faut cependant relativiser une telle acceptation.

Dans la réalité, la pression fiscale est disproportionnée et elle met en exergue l’iniquité de l’impôt dans notre pays. En effet, dans ce pays, grâce à la fraude, au favoritisme et à la corruption, certains contribuables (généralement les plus gros) échappent au fisc, rendant ainsi problématique l’appréciation de la pression fiscale suivant les critères des institutions. Paradoxalement la loi de finances 2008 de notre pays a encore consenti des baisses d’impôts aux entreprises et aux plus riches ;

- de ces mesures gouvernementales l’on s’interroge sur la place de telles dérogations dans le contexte du tarif extérieur commun de l’UEMOA.

Ce qu’il y a lieu de faire

Pour notre part, et au regard du contexte de vie chère, l’on pourrait envisager ce qui suit :

D’abord il faut impérativement mettre l’accent sur la transparence des marchés locaux et ce, dans tous les compartiments : production, approvisionnement et distribution, afin de lever toutes les entraves. Ceci est un préalable nécessaire pour que les quelques mesures d’urgence proposées par le gouvernement aient une chance d’être efficaces. Dans le même ordre d’assainir les conditions de marchés, tous les monopoles et assimilés de droit ou de fait, qui ne correspondent pas à des nécessités régaliennes sont à proscrire. On pourrait alors, par la suite, mettre en place des mécanismes de surveillance des prix tels que proposés par le gouvernement.

Pour ce qui est de la pression fiscale, il faut tout simplement rééquilibrer les choses : les plus riches devront payer plus, et c’est là que l’Etat fera jouer, au-delà des conceptions théoriques ou institutionnelles de l’impôt, la solidarité nationale.

Dans le moyen et long termes, l’inflation ayant été diagnostiquée comme une inflation de rareté, la solution est bien connue. Il faut augmenter l’offre nationale ; et pour ce faire, il faut produire et produire plus. Cela ne pourra se faire qu’à travers une bonne politique de production agricole attelée à un renouveau industriel. Des sociétés comme la SN SOSUCO, la SN CITEC et autres pourraient alors, sous réserve d’efforts de productivité, tirer avantage de la conjoncture actuelle.

Pour nous résumer, nous avançons qu’une lutte efficace contre la vie chère au Faso ne peut pas s’isoler du contexte général de la lutte contre la pauvreté qui, elle, passe par une bonne politique des revenus. Comment voulons-nous que la vie ne soit pas chère quand les jeunes sont sans revenus du fait du chômage ? Comment la vie peut-elle ne pas être chère quand les revenus des paysans s’effritent chaque année ? Comment peut-elle ne pas être chère quand notre tissu industriel se meurt à petit feu ? En réalité, ce n’est pas le niveau des prix qui est insoutenable dans ce pays, mais la faiblesse ou l’absence même de pouvoir d’achat.

Ilyinga Antoine

ilyinga@yahoo.fr

Le Pays

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