LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Ousmane Guiro, directeur général des Douanes : « La douane n’est pas responsable de la flambée des prix »

Publié le lundi 25 février 2008 à 11h40min

PARTAGER :                          

Ousmane GuiroLe directeur général de la Douane, Ousmane Guiro, dans cette interview, soutient que la douane n’est pas responsable de la flambée des prix constatée au Burkina Faso. Il invite par ailleurs, les commerçants à se départir de la rumeur et à aller à la recherche de la vraie information.

S. : Qu’est-ce qui explique la flambée des prix des produits constatée actuellement au Burkina Faso ?

Ousmane Guiro (O. G.) directeur général de la douane : Je voudrais d’emblée dire que la flambée des prix doit trouver son origine ailleurs qu’au niveau de la fiscalité appliquée par l’administration des douanes. Depuis le 1er juin 2000, le Burkina Faso applique le Tarif extérieur commun (TEC) de l’UEMOA. Les taux inscrits dans ce tarif n’ont pas changé de juin 2000 à nos jours. Dans tous les pays de l’UEMOA, le même taux est appliqué en ce qui concerne la fiscalité douanière.
La flambée des prix ne peut donc trouver son explication au sein de l’administration des douanes.

S. : L’arrêté ministériel contesté par les commerçants et selon lequel une marchandise qui n’a pas été inspectée au départ doit être inspectée à son arrivée au Burkina Faso contre le payement d’une amende de 20% ne pouvait-il pas justifier la flambée des prix ?

O. G. : L’inspection des marchandises est appliquée au Burkina Faso depuis les années 1990. Beaucoup d’opérateurs économiques sont rompus à cela. L’arrêté dit que les produits d’une valeur de 3 millions de F CFA qui n’ont pas fait l’objet d’inspection au départ doivent être inspectés à destination moyennant le paiement d’une amende de 20% de la FOB (la valeur d’origine de la marchandise).
Depuis que l’inspection à destination a été instituée pour toutes les marchandises, l’amende de 20% n’a pas encore été perçue. Nous sommes présentement dans une phase de sensibilisation des opérateurs économiques sur cette nouvelle mesure. Notre conviction est qu’il faut observer une période transitoire avant l’application de la nouvelle mesure. Jusqu’en fin mars 2008, personne ne se verra coller une pénalité du fait que sa marchandise n’ait pas été inspectée au départ.

Il n’y a pas de raison que certains fassent des inspections au départ ou à destination et que d’autres refusent de s’exécuter. Tous les citoyens burkinabè sont égaux devant la loi. Celui qui n’a rien à se reprocher ne doit pas craindre les inspections. Me fondant sur l’idée que tous les commerçants sont honnêtes, je ne vois pas pourquoi ils ne voudront pas d’une inspection à destination. Celui qui ne veut pas se faire inspecter à destination n’a qu’à le faire au départ.

S. : Les commerçants avec lesquels nous avons échangé soutiennent le contraire de ce que vous avez tantôt dit. Pour eux, il y a eu ces derniers temps, un relèvement des taxes douanières et un durcissement des contrôles douaniers. Où se trouve la vérité ?

O. G. : Je maintiens ce que j’ai dit, à savoir qu’au niveau de la douane il n’y a pas eu de changement sur le plan fiscal depuis l’entrée en vigueur du TEC de l’UEMOA en juin 2000.
Aussi, je n’irai pas jusqu’à parler de durcissement des contrôles douaniers. Je parlerai plutôt d’une amélioration de la qualité des contrôles. La douane contrôle mieux à l’heure actuelle les prix des marchandises. Nous sommes encore plus regardants sur les marchandises sur lesquels planent des soupçons de fraude. Il n’y a pas eu comme vous le dites durcissement des contrôles. Nos services travaillent comme d’habitude.

S. : Il est ressorti également de nos entretiens avec les commerçants qu’il y a de moins en moins des exonérations douanières. Qu’en est-il exactement ?

O. G. : Dans le principe de la réglementation douanière, une marchandise exonérée ne peut être vendue. Les marchandises sont exonérées quand elles doivent être distribuées gratuitement aux populations. Il peut y avoir exonération dans le cadre de l’exécution des travaux publics ou conformément aux prescriptions du code minier… Une marchandise destinée à la vente ne peut en aucun cas bénéficier d’une exonération douanière. Soutenir que c’est parce qu’il y a plus d’exonérations que les prix ont flambé est un non sens car, il n’y a pas d’exonération pour un produit destiné à la vente. Si le contraire se faisait, sachez que ceux qui en bénéficiaient auraient tromper l’administration douanière et assassiner l’Etat.

S. : Que répondez-vous au fait que ces derniers temps, il n’y a plus « d’arrangements » à la douane ?

O. G. : (Rires). Je n’ai pas connaissance « d’arrangements » au niveau de la douane. J’aimerais bien que les opérateurs économiques qui soutiennent de telles allègations viennent me dire très clairement de quoi il s’agit.
Pour moi tout opérateur économique qui exporte des marchandises doit reverser à la douane ce qui revient de droit à l’Etat. C’est cette politique que nous sommes en train de mener. Que chacun donne à l’Etat ce qui lui revient de droit.

S. : Les commerçants détaillants estiment qu’ils sont victimes de surtaxe dans la mesure où de la marchandise dédouanée achetée à Ouagadougou pour être vendue en province, à Koudougou par exemple, est de nouveau taxée par la douane en cours de route .

O.G. : A ce niveau, les gens, quand ils sont de bonne foi, ne prennent pas les précautions qu’il faut.
Quand vous achetez de la marchandise auprès d’un grossiste qui prétend l’avoir régulièrement dédouané, et dispose de tous ces documents en règle, il doit vous délivrer une facture et même une copie de sa déclaration en douane pour vous couvrir. Dans le principe de la réglementation douanière, celui qui a une facture en bonne et due forme délivrée par son fournisseur lors de l’achat de la marchandise est couvert.
Celui-ci ne peut plus faire l’objet de taxation douanière. D’ailleurs, nos agents ont été sensibilisés à cela.
Mais, les contrôles opérés par nos brigades mobiles ont leur raison d’être. Voyez-vous, sur les marchandises figurent des dates de fabrication.

Mais, il arrive qu’un commerçant nous amène une déclaration qui porte une date antérieure à la date de fabrication du produit. Par exemple, une déclaration d’octobre 2007 pour un riz produit en janvier 2008. C’est comme si vous faites le baptême d’un enfant avant sa naissance.
Tout récemment, il y a eu un cas similaire : pour des batteries fabriquées en juin 2007, on nous a présenté des factures datées de janvier 2007.
Ces mauvaises pratiques doivent être bannies.
Ce sont autant de raisons qui justifient les contrôles et qui font que nos agents sont très tatillons sur le terrain. Je précise cependant que la douane burkinabè n’est pas plus chère que celle des autres pays.

S. : Pourquoi alors, les manifestants de Bobo -Dioulasso se sont-ils pris violemment aux installations douanières, étant donné que vous soutenez que la flambée des prix ne tire pas sa source de la douane ?

O.G. : Si je dois vous suivre dans votre raisonnement, cela reviendra à dire que c’est la mairie de Dô qui est la première responsable de la flambée des prix, étant donné que c’est là- bas qu’il y a eu plus de dommages. Ensuite viendra en seconde position, la direction des Impôts et la douane en troisième position. Non ! Il ne faut pas analyser la situation ainsi. L’origine de la flambée des prix n’est pas à rechercher auprès du gouvernement ou des services fiscaux. L’origine est à rechercher ailleurs.
Des pays émergents en Asie sont devenus de grands consommateurs. Pour certains produits, la demande s’est énormément accrue. Et quand la demande est supérieure à l’offre, il s’en suit une flambée des prix. Le prix de la farine de blé dur (le blé qui sert à fabriquer les pâtes alimentaires) a connu une augmentation de 120% depuis le mois d’octobre 2007. La raison est que le blé dur est utilisé désormais pour produire du biocarburant. Du coup, il est très demandé, très recherché.
Le blé ordinaire également dont la farine est utilisée pour la fabrication du pain fait l’objet d’une forte demande. Le prix de ce type de blé a augmenté de 110 %.

Suite à une forte pluviométrie au Ghana, le sel marain était devenu introuvable à un moment donné sur le marché.
Les importateurs de ce sel pouvaient attendre un à deux mois au Ghana sans avoir un seul chargement alors qu’ils pouvaient faire trois chargements en l’espace d’un mois. Comme il pleuvait sans cesse, le sel ne pouvait pas sécher pour qu’on le ramasse... Devenu alors rare sur les marchés, son prix ne pouvait que flamber...

S. : Et le lait ?
O.G. : Le prix du lait a augmenté parce qu’il n’est plus subventionné en Europe...
Si vous faites des recherches sur Internet vous verrez que les prix de tous les produits liés directement ou indirectement à l’agriculture ont monté ces derniers mois. Les Burkinabè doivent se rendre à l’évidence que la flambée des prix est un phénomène mondial.

S. : Peut-ton envisager une révision à la baisse de la fiscalité douanière dans les jours à venir afin de soulager un tant soit peu le consommateur burkinabè ?

O. G. : Le Tarif extérieur commun (TEC) dont je parlais tantôt est commun à tous les pays de l’UEMOA.
Le Burkina Faso ne peut pas à lui tout seul s’arroger le droit de modifier quoi que ce soit dans le TEC. Dans le passé, le Burkina Faso a déjà demandé à l’UEMOA de réviser certains taux. Mais, il n’ y a pas eu de suite favorable.

S. : Vos agents ont-ils arrêté beaucoup de fraudeurs, ces temps-ci ?

O. G. : La douane arrête tout le temps des fraudeurs. On a une direction des enquêtes qui mène des investigations au quotidien. Certaines personnes n’ont pas encore abandonné les mauvaises habitudes. Nous sommes donc là pour les rappeler à l’ordre.
Notre souhait est que les commerçants travaillent selon les règles de l’art afin de ne pas avoir des problèmes avec l’administration des douanes. Nous faisons de la sensibilisation dans ce sens.
Avec la pratique, nous nous sommes rendus compte que des personnes fraudent tout simplement parce qu’elles ne comprennent pas les procédures douanières.
Toujours est-il que tous les jours, la douane examine les dossiers de fraude.

S. : Quelle est la part de responsabilité de la douane dans les retards constatés au niveau de l’inspection des produits ?

O.G : La douane n’est pas responsable des retards dans l’inspection des produits. Ces retards sont imputables à COTECNA. Etant donné que c’est une nouvelle mission qui s’ajoute aux activités de COTECNA, il faut faire preuve d’indulgence et de patience, le temps qu’il fasse les réglages nécessaires à même de lui permettre d’atteindre sa vitesse de croisière. Dans les jours à venir, nous sommes convaincu que cela va s’arranger. Et cela parce que d’ici à la fin du mois de mars, la plupart des opérateurs économiques auront opté pour des inspections au départ. Aussi, entre-temps, COTECNA sera plus rodé et mieux outillé pour faire des inspections à destination. Ces deux phénomènes combinés feront que les retards ne seront plus qu’un souvenir. Par jour, nous rentrons en contact avec COTECNA à plusieurs reprises. Le DG de COTECNA et moi, nous nous appelons mutuellement afin de trouver des solutions aux retards. La douane est préoccupée par les retards car notre souci c’est de faire en sorte qu’il n’ait pas d’entrave aux activités des commerçants respectueux de la législation.

S. : COTECNA est quand même une société d’envergure internationale. On ne comprend pas alors qu’elle ait des difficultés à accomplir une tâche qui fait partie de ses activités normales…

O.G : Voyez-vous, il ya des marchandises importées au Burkina Faso depuis des années qui n’ont jamais fait l’objet d’inspection. C’est un domaine nouveau pour les agents de COTECNA. La société se doit de recueillir le maximum d’informations possibles sur ces marchandises afin de pouvoir faire correctement son travail d’inspection. L’inspection est parfois difficile dans le cas suivant : plusieurs commerçants (40 à 50 personnes) embarquent leurs marchandises dans un même camion-remorque et le confie à l’un d’entre eux. Arrivées à Ouaga inter, les marchandises sont déchargées pour que COTECNA procède à l’inspection. L’inspection de ce type de chargement est très difficile et nécessite beaucoup de temps car on se retrouve avec 40, 50, voire 60 sortes de marchandises à inspecter. Pour chacune de ces marchandises, il faut trouver les valeurs réelles sur le marché. C’est un travail de fourmi que COTECNA doit faire dans ce cas de figure. Mais lorsque les marchandises sont uniformes, l’inspection est plus facile.

S. : Pouvez-vous citer quelques exemples de produits qui n’avaient jamais fait l’objet d’inspection jusqu’à maintenant ?

O.G. : Les articles émaillés (les plats), les habits en provenance de Chine, les postes radios ne faisaient pas l’objet d’inspection systématique par COTECNA. Aujourd’hui, l’inspection de ces produits nécessite du temps pour la recherche de l’information. C’est cela qui explique les retards.

S. : Qu’est-ce qui explique le fait que des produits contrefaits sont importés au Burkina Faso en toute légalité ?

O.G : Les produits contrefaits sont difficiles à détecter lorsque vous n’êtes pas averti. Nos agents ne sont pas formés pour reconnaître les produits contrefaits. Ces derniers temps, j’ai dû inviter les représentants d’une société ivoirienne « Close up » à se rendre à Bitou pour identifier leur produit. Il ya beaucoup de pâtes dentifrices « Close up » contrefaites qui rentrent au Burkina Faso. Dorénavant, j’ai exigé qu’avant de dédouaner les pâtes dentifrices, qu’on m’envoie un échantillon pour que je le fasse examiner par les services compétents. La douane burkinabè n’est pas restée en marge de la lutte contre la contrefaçon. Il est vrai que certains produits contrefaits coûtent relativement moins cher, mais ils représentent des dangers pour la santé des consommateurs.

S. : Quel message avez-vous à l’endroit des commerçants ?

O.G : Je voudrais que les commerçants sachent une fois pour toutes que la douane est avec eux aujourd’hui et qu’elle restera avec eux demain. Nous sommes (les commerçants et la douane) condamnés à travailler ensemble dans la paix. J’invite les commerçants à la prudence, à ne pas prendre pour argent comptant ce qu’on leur raconte çà et là. COTECNA ne peut en aucun cas leur empêcher de faire leur commerce. Qu’ils se mettent à l’idée que la douane suit de près le travail fait par COTECNA. Certains commerçants soutiennent que COTECNA est cher. Je ne suis pas de cet avis. Celui qui n’a rien à se reprocher devrait se réjouir du fait que COTECNA fasse son travail. L’inspection consiste à contrôler la qualité, la quantité et la valeur des marchandises. Le volet qualité de l’inspection est la preuve que l’Etat est regardant sur la santé des consommateurs. Je demande aux opérateurs économiques de cultiver le civisme fiscal. Sans l’Etat, la paix que nous connaissons au Burkina Faso n’existera pas. L’Etat est né le jour où on s’est rendu compte que les affaires de tout le monde ne sont les affaires de personne. Sans l’Etat, les commerçants n’auront pas où s’asseoir pour jouir de l’argent qu’ils poursuivent sans arrêt nuit et jour. Il faut alors que les opérateurs économiques paient les impôts pour soutenir l’Etat dans ses actions de développement. Ceux qui aiment le Burkina Faso doivent œuvrer à ce que la paix y règne. Commerçants et douaniers se doivent de tout mettre en œuvre pour être de très bons collaborateurs. A tout moment, nos portes leurs sont ouvertes... Ils peuvent venir nous voir. Nous ne voulons pas qu’il ait un déficit de communication entre les commerçants et nous. C’est seulement à travers le dialogue et la concertation permanents que nous allons mieux nous comprendre. Ce ne sont pas des actions dans la rue qui vont leur permettre de mieux se faire comprendre.

Interview réalisée par Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)
S. Nadoun COULIBALY

Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)