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Culture de plantes transgéniques au Burkina : Une coalition demande un moratoire de 5 ans

Publié le lundi 25 février 2008 à 11h03min

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Ce n’est pas exagéré de dire que cette semaine a été celle des activistes contre les organismes génétiquement modifiés (OGM). Procession, débat public, conférence de presse ont été quelques-unes des activités menées par ces croisés des OGM. 

D’ailleurs, nous vous proposons ci-dessous la lettre ouverte adressée au Premier ministre à l’issue de la procession par la Coalition des organisations de la société civile pour la protection du patrimoine génétique du Burkina (COPAGEN/BURKINA).

Depuis ces dix dernières années, l’Afrique subit une pression de plus en plus forte des pays du Nord, des institutions internationales (BM, FMI, OMC), et des multinationales qui se soutiennent mutuellement pour introduire les Organismes génétiquement modifiés (OGM) dans les pratiques agricoles du continent sous le couvert de la biotechnologie moderne.

En Afrique de l’Ouest, en particulier, de nombreuses initiatives sont en cours visant toutes la promotion des OGM ou la création de cadres réglementaires propices à la vulgarisation des cultures transgéniques. Ce sont, entre autres, le Programme du CORAF/WECARD sur la biotechnologie et la biosécurité, l’initiative du CILSS en biosécurité, le Plan d’action pour la promotion de la biotechnologie et la biosécurité dans l’espace CEDEAO, le projet régional ouest-africain (Bénin, Burkina Faso, Mali, Sénégal, Togo) de biosécurité, presque tous financés par le même partenaire, I’USAID, les multinationales de semence, CROPLlFE, avec le soutient de la Banque mondiale.

Il est particulièrement préoccupant que ces nombreuses initiatives soient prises par des acteurs tous extérieurs au continent, dans le but de lui imposer de l’extérieur, ce qu’ils ont convenu d’appeler la « révolution génétique », mais qui s’avèrent en réalité de véritables agressions contre les sociétés paysannes ouest- africaines en particulier, et toutes les populations en général.

Le Burkina, premier dans l’aventure de la transgenèse

Notre pays, le Burkina Faso, n’a pas résisté à cette agression ; bien plus, il a été le premier pays en Afrique de l’Ouest à s’engager et, cela depuis 2003, dans cette aventure de la transgenèse par l’introduction des essais de culture de coton transgénique. Les premiers semis dits « en champ isolé » ont été effectués en fin juin 2003 sur deux stations de recherche de l’INERA (l’Institut national de l’environnement et de recherche agricole), à l’Est et à l’Ouest du pays. La restitution des résultats de ces premier essais, menés on le sait de façon non indépendante, ont selon leurs initiateurs, conclu à des résultats probants. Forts donc de ces résultats, et de ceux issus de l’expérimentation en plein champ du coton transgénique Bolgard Il, le gouvernement a affirmé son intention de procéder à partir de 2009 à la généralisation de la culture du coton transgénique et ce, en l’absence d’un débat national sur une question aussi grave.

Lors de la Journée nationale du paysan, il a été annoncé la culture du coton BT sur 15 000 ha au cours de la campagne 2008.

A cet égard, il convient de rappeler que le Burkina a ratifié la Convention sur la diversité biologique, le protocole de Carthagène et adopté de concert avec les autres pays de l’Union africaine les lois modèles africains sur la biosécurité et les droits des communautés adoptées par les chefs d’Etat africains en juillet 2001 à Lusaka. II est également partie prenante du Codex alimentarius de la FAO.

Pour rappel,

- La convention sur la diversité biologique reconnaît le droit de souveraineté des Etats sur leurs ressources biologiques. De ce fait, la collecte de ces ressources est subordonnée à "l’accord préalable donné en connaissance de cause" par l’Etat qui possède ces ressources.

- L’objet du Codex alimentarius (de la FAO) est de protéger le consommateur des effets pervers des produits alimentaires.

- Le protocole de Carthagène reconnaît que les OGM sont porteurs de risques et méritent un traitement spécifique. Il fait part de la nécessité d’une gestion équitable des ressources biologiques et de la prévention liée aux risques biotechnologiques.

- Le principe de précaution est préconisé dans ce protocole, et les pays en acceptant de signer et de ratifier ce protocole adhèrent donc à ce principe.

- La loi-modèle de l’Union africaine sur la sécurité en biotechnologie complète le protocole de Carthagène qui a été signé par notre pays, Elle accorde une importance particulière à l’évaluation et à la gestion des risques (articles 8 et 9). Selon cette loi, « Aucune décision d’importation, d’utilisation confinée, de dissémination ou de mise sur le marché d’un OGM ou dérivé d’OGM ne peut être prise par l’autorité compétente sans évaluation des "risques pour la santé humaine, la diversité biologique et l’environnement, notamment ses conséquences sur l’environnement socio-économique et les normes culturelles.

- La loi-modèle pour la protection des droits des communautés estime que la privatisation des formes de vie à travers le régime des droits de propriété intellectuelle viole le droit fondamental à la vie et va à l’encontre du concept africain du respect de la vie (non brevetabilité du vivant). De solides arguments éthiques justifient l’exclusion des micro-organismes, végétaux ou animaux du système de brevets .

Les populations doivent être largement informées et sensibilisées

Toutes ces conventions et textes que nous avons ratifiés prévoient un mécanisme d’information, de sensibilisation et de participation du public à la prise de décision. C’est dire qu’en matière de sécurité en biotechnologie, la décision ne doit être prise qu’après une large information sensibilisation des populations sur les avantages mais aussi et surtout sur les risques liés à l’utilisation des produits transgéniques, et que le public doit être réellement impliqué à la prise de décision (il ne s’agit pas de ces rencontres auxquelles les participants sont invités un ou deux jours avant sans avoir eu l’occasion d’examiner profondément les documents parfois remis séance tenante comme nous avons coutume de le faire : exemple la validation du projet de loi sur la bio sécurité, ses arrêtés et décrets).

Même le cadre réglementaire conséquent pour protéger les populations et

l’environnement des risques liés aux OGM n’est pas totalement mis en place. A ce jour, nous avons seulement l’Agence nationale de biosécurite qui est mise en place, une loi portant régime de sécurité en matière de biotechnologie qui a été votée en mars 2006, des décrets d’application de cette loi qui sont toujours dans le circuit pour être examinés, la mise en place d’un Comité scientifique national de biosécurité. Il reste encore la mise en place d’un observatoire national de bio surveillance, de comités scientifiques internes de biosécurité, comme le prescrit notre loi en son article 53.

Au regard de tout ce qui précède, la prudence requiert que nous nous abstenions de nous lancer dans cette aventure. Nous savons tous que les produits dérivés du coton sont utilisés dans l’alimentation humaine et animale au Burkina Faso. Or, de plus en plus d’études montrent que les risques liés à la consommation de produits transgéniques sont de plus en plus réels (problèmes d’allergie, perturbations immunitaires). Non seulement la participation du public n’a pas été respectée au moment de la prise de décision d’introduire des OGM sur le territoire burkinabè, mais bien plus l’on veut nous les faire produire et consommer sans requérir notre avis !

Les firmes qui encouragent ce jeu, gardons-le à l’esprit, sont toutes des firmes qui avaient dans le temps produit les pesticides et les engrais de la révolution verte des années 70. Vu les résultats désastreux de leurs produits sur l’environnement, et voyant que pesticides et engrais chimiques sont de plus en plus contestés dans le monde, ils se sont reconvertis dans la production de semences en transgressant les barrières entre les espèces.

Echec du coton Bt en Inde

Il est vrai que les promoteurs des OGM affirment que les produits agricoles transgéniques vont rapporter de larges bénéfices aux paysans et aider à réduire l’utilisation des pesticides. Mais, l’exemple de l’Inde est là pour affirmer le contraire. En effet, les données collectées sur le coton Bt dans les champs des cotonculteurs par plusieurs services gouvernementaux et autres chercheurs indépendants montrent que le coton Bt a échoué. Des études menées également sur le coton Bt au Mexique, en Argentine et en Afrique du Sud ont étés non concluantes. Aux États-Unis, ces études conduites récemment montrent que l’insecte ciblé par le maïs transgénique développe de la résistance.

Aujourd’hui, il est clair que les problèmes du coton dans la sous-région ouest-africaine n’ont rien à voir avec les semences, la productivité, ou les rendements. Tout le monde sait que le coton africain est compétitif. Mais que les problèmes qu’il rencontre résident dans les subventions que les Etats-Unis et l’Europe octroient à leurs propres producteurs de coton en violation des règles de l’OMC qu’ils ont eux-mêmes contribué à mettre en place, bloquant ainsi de façon injuste la compétitivité du coton africain sur le marché international. On s’étonne que dans ces conditions, certains pays de la sous-région, notamment le Burkina, investissent des ressources importantes et rares dans la production du coton Bt.

Aussi, Monsieur le Premier ministre,

- Considérant que l’introduction des OGM dans notre pays pose la question centrale du contrôle politique de l’agriculture et de l’alimentation dans le contexte actuel de globalisation de l’économie ;

- Considérant que les OGM posent de sérieux problèmes environnementaux liés à l’agriculture, des problèmes d’ordre économique, politique, culturel, éthique et sanitaire tant pour les hommes que pour les animaux ;

- Considérant que l’imposition des OGM à l’agriculture africaine est contre les droits des communautés locales et contribue à une dépendance plus accrue des paysans et des paysannes vis-à-vis des multinationales semencières et de l’extérieur ;

- Considérant que l’introduction des OGM dans notre pays entraîne des conséquences, non seulement pour lui, mais aussi pour les autres pays environnants ;

Nous, membres de la COPAGEN/BURKINA et l’ensemble des organisations de la société civile du Burkina, attachées à la préservation de notre patrimoine génétique

- exprimons nos plus vives protestations face à la manière dont le coton Bt est introduit au Burkina Faso au mépris des engagements internationaux auxquels notre pays a souscrit, démarrant des expérimentations en champ de coton Bt, sans information publique suivie de débats contradictoires et avant d’avoir mis en place un cadre juridique de biosécurité conséquent dans le pays ;.

- rejetons la décision unilatérale prise par le gouvernement de se lancer dans une production au plan national du coton Bt, sur une superficie de 15.000 ha cette année.

En conséquence de tout cela,

- Appelons au vote d’un moratoire de cinq ans sur l’introduction de plantes transgéniques dans nos systèmes agraires, le temps nécessaire : i) d’informer les populations sur les enjeux réels des organismes génétiquement modifiés afin qu’elles puisent participer à tout débat sur la question et décider en connaissance de cause ; ii) d’instaurer un débat

national sur la problématique des OGM, iii) de renforcer les capacités nationales et de mettre en place toutes les structures administratives nécessaires préconisées en la matière ;iv) de diligenter des études sur les impacts socio-économiques, environnementaux, et au plan de la santé encourus par nos populations.

Ensemble, forts de la conviction qui nous anime, nous affirmons notre détermination à exiger la prise en compte des intérêts des populations productrices et des consommateurs que nous sommes, et à n’avoir de cesse d’agir tant que les multinationales propriétaires des OGM tenteront de nous les imposer et de contrevenir à nos droits.

Ouagadougou, le 19 février 2008

La COPAGEN/BURKINA

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