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Tchad : "La France ne sait plus comment se comporter" dixit Fabrice Territ

Publié le lundi 25 février 2008 à 11h07min

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Un livre blanc France-Afrique qui fait cas d’une politique de la France en Afrique qui soit responsable et transparente vient d’être publié. La rédaction de ce livre a été coordonnée par Fabrice Tarrit, membre de l’ONG Survie. Il était l’invité de RFI le mercredi 20 février dernier, et nous publions l’entretien qu’il a eu avec notre confrère Christophe Boisbouvier.

A la lumière des derniers événements au Tchad, est-ce qu’on peut parler de rupture ou de continuité dans la politique africaine de la France ?

Fabrice Tarrit : Dans la mesure où la France a continué à intervenir militairement au Tchad tant en tirant sur les rebelles qu’en fournissant une logistique importante à l’armée d’Idriss Deby, on peut dire que la France continue cette politique d’ingérence et de défense des régimes en place. Avec en plus les régimes dictatoriaux comme celui d’Idriss Deby. On est toujours dans cette politique de la stabilité qui était celle des prédécesseurs de Nicolas Sarkozy qui consistait à soutenir les dictateurs en place, afin de préserver les intérêts de la France.

Bernard Kouchner affirme que l’on a vécu un moment historique, puisque, dit-il, c’est la première fois que la France ne s’engage pas directement dans un conflit tchadien.

On sait aussi que dans des conflits comme celui que vient de connaître le Tchad, il ne suffit pas d’avoir des soldats français qui bombardent ou tirent avec leurs tanks pour aider à gagner la bataille. Il a suffi que le renseignement français puisse localiser les rebelles et indiquer aux hélicoptères tchadiens où bombarder, ensuite, que la France donne du carburant à l’armée alors que les rebelles n’en avaient plus, pour que la bataille soit gagnée par Idriss Deby.

Pensez-vous que la France a joué aux apprentis sorciers avec le régime d’Idriss Deby ?

Je crois que la France ne sait plus comment se comporter, et ses erreurs stratégiques sont liées à une absence de doctrine efficace. On continue sur la théorie de la stabilité, à ne pas nous rendre compte des possibilités d’alternance démocratique dans ces pays mais on aboutit chaque fois au pire. Au Togo en 2005 où la France a voulu à tout prix préserver le régime du clan Gnassingbè, cela a provoqué une répression féroce avec 800 morts et une élection truquée qui a été contestée. Un peu partout, la position française ne tient plus et elle a un problème d’invention.

A propos des présidents africains qu’ils soutiennent , les décideurs français disent souvent qu’il n’y a l’alternative dans leur pays.

C’est quelque chose qu’on entend souvent et qui est particulièrement choquant.

Le représentant de la société civile tchadienne avec qui nous travaillons depuis quelque temps a été reçu il y a quelques années par l’ambassadeur de France qui lui a demandé : "Qu’avez-vous à nous proposer en échange ?" Cette question était complètement scandaleuse. Est-ce que c’est la France qui doit choisir l’alternance ? C’est aux populations, à l’issue de processus démocratique d’élection, de choisir elles-mêmes un président.

Est-ce que la France a été trop laxiste avec le régime d’Idriss Deby ?

C’est une évidence. Il y a en quelques années des éléments clés qui auraient dû faire changer la politique de la France. Lorsque Idriss Deby a choisi de faire modifier la Constitution pour briguer un 3e mandat, tout le monde savait très bien qu’il était extrêmement contesté et avait été élu en 2001 à l’issue d’élection truquée. La France n’a rien dit et elle a cautionné le processus électoral de 2006 qui était largement boycotté, et voilà aujourd’hui les conséquences.

Nicolas Sarkozy gère-t-il l’héritage de Jacques Chirac ?

Pour quelqu’un qui prônait la rupture, je trouve qu’il s’accommode à cet air d’héritage. La rupture, on ne la voit pas arriver mais on constate que Nicolas Sarkozy a multiplié les gestes d’amitié vis-à-vis des caciques de la Françafrique tels que Omar Bongo, Denis Sassou Nguesso et quelques autres. On voit qu’il est toujours dans une logique de défense des intérêts économiques français, de relations personelles. On l’a vu avec Moammar Kadhafi récemment alors que c’est tout le contraire de ce qu’il avait promis pendant la campagne, puisqu’il avait dit qu’il finirait avec les réseaux.

Voulez-vous dire qu’il n’y a aucune ouverture dans la politique africaine de la France, depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy ?

Il y a eu quelques petits signaux positifs qui auraient pu apparaître comme encourageant notamment dans l’affaire Borel.

Il y a aussi des signaux de collaboration avec le TPIR concernant les présumés génocidaires rwandais qui résident en France. A part ça, on a eu une continuité avérée sur les relations avec les dictateurs, sur la mise en avant des groupes Areva, Bolloré, Bouygues et quelques autres, et, récemment, on a vu le classement sans suite de la plainte pour recel et détournement de biens publics des dictateurs africains qui possèdent des fortunes considérables, notamment des biens immobiliers, en France. Le classement sans suite avec probablement une instruction politique qui a été confiée au parquet sachant bien qu’on ne peut pas remettre en cause ce soutien à ces chefs d’Etat qui sont là pour certains depuis 40 ans, comme Omar Bongo. Ils font partie des paysages pour des personnalités comme Nicolas Sarkozy qui ont appris à connaître les Sassou N’Guesso, Bongo depuis quelques années.

Dans votre plate-forme citoyenne, vous dénoncez le néocolonialisme de la France. Mais les nouvelles puissances qui exploitent l’Afrique ne sont-elles pas plutôt la Chine, les Etats-Unis, et n’êtes-vous pas un peu décalé ?

Il y a des attributs coloniaux que la France maintient en Afrique qui sont très forts et très symboliques. Il y a la présence de 5 bases militaires françaises permanentes. On a beau dire le franc CFA qui peut être perçu par beaucoup d’Africains comme de souveraineté, il y a l’influence culturelle mais aussi très politique de la Francophonie, et ce sont des attributs de souveraineté qui sont entre les mains de la seule France. Evidemment, on ne peut pas nier la progression des intérêts économiques de la Chine, de l’Inde et des puissances émergentes en Afrique, mais ce n’est pas à la société civile française de pouvoir estimer que la Chine fait mieux ou moins bien que la France en Afrique. Ce que nous déplorons, c’est que la France n’ait pas contribué à faire émerger des Etats qui sont en mesure de se défendre face à l’arrivée de nouveaux supposés prédateurs .

Propos recueillis sur RFI

Le Pays

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