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Dirigeants dictateurs : Une notion à géométrie variable

Publié le vendredi 8 février 2008 à 10h34min

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Quand un chef d’Etat devient-il un dictateur ? Qui décide qu’il est ou qu’il est devenu dictateur ? Pourquoi et aux yeux de qui il est un dictateur ? Avant de tenter de donner une réponse à chacune de ces questions, nous vous invitons à revivre un événement qui s’est passé il y a moins d’un mois en Indonésie : la mort de l’ancien président Suharto, l’homme que l’ensemble des médias occidentaux a traité de dictateur.

Ce titre a été éloquemment démenti par l’hommage que l’ensemble du peuple indonésien a rendu à son ancien leader. Un hommage digne d’une idole. On est encore en train de se demander comment tout un peuple a pu oublier toutes les souffrances vécues hier pour aduler tant un homme mort. Cet hommage populaire contraste fortement avec le titre de dictateur que lui a décerné l’ensemble de la presse occidentale. Suharto a été également qualifié d’homme le plus corrompu de son pays, l’Indonésie, qui est en tête du hit-parade des pays les plus corrompus du monde. S’il est corrompu à ce point, il y a certainement de gros corrupteurs, en l’occurrence les multinationales occidentales. On pourrait dire : "Quel acharnement sur cet homme de la part des médias américains et européens, les faiseurs d’opinion par excellence !" A Djakarta, lors des obsèques de l’ancien président, ces grands médias se sont fait une raison sur la popularité de l’homme qu’ils ont passé tout le temps à vilipender. Première évidence : un dirigeant du Sud est dictateur quand il cesse de plaire à l’Occident, quand cet Occident ne veut plus de lui.

Suharto, l’artisan de l’Indonésie moderne, était venu à la tête de son pays à l’issue d’un coup d’Etat fomenté avec l’aide des services secrets occidentaux, notamment américains. Il avait renversé Soekarno, un membre fondateur du Mouvement des Non-alignés créé lors de la conférence de Bandung en juillet 1955. Soekarno était dès lors perçu comme un danger pour les intérêts des grandes puissances. Son remplaçant, le général Suharto, a pactisé pendant un moment avec l’Occident, puis découvrant que les intérêts de celui-ci étaient contraires à ceux de son peuple, il a voulu mener une politique nationaliste. C’est à partir de ce moment qu’il est devenu un dictateur. On peut aussi citer le cas de Saddam Hussein, adoubé par l’Occident tant qu’il était en guerre contre l’Iran des Ayatollah. Deuxième évidence : on devient dictateur dès qu’on cesse d’être un pantin des Occidentaux. Un dirigeant du Sud est dictateur lorsqu’il fait passer les intérêts de son peuple avant ceux des puissances occidentales. Car par nature, les intérêts des puissances occidentales et ceux des pays du Sud sont fondamentalement inconciliables.

Le président zimbabwéen, Robert Mugabe, était un héros, le héros de la lutte pour l’indépendance de son pays. Un fait incontestable. Mugabe est aujourd’hui un dictateur, vu d’Occident. Mugabe a nationalisé les terres dans son pays où naguère 90% des bonnes terres étaient détenues par la petite minorité blanche au détriment de la majorité noire. Pour avoir suivi une politique nationaliste, il est devenu du jour au lendemain un dictateur à qui des dirigeants occidentaux, en l’occurrence britanniques, ont tenté d’interdire le sommet Union européenne-Afrique. Troisième évidence : un dirigeant du Sud devient dictateur dès lors qu’il porte atteinte aux intérêts d’un ou de plusieurs pays du Nord. Dans ce cadre, on peut ranger Hissen Habré qui est devenu dictateur et contraint de s’exiler au Sénégal pour avoir voulu renégocier les accords de coopération qui lient le Tchad et la France, l’ancienne puissance coloniale. Il voulait également demander l’évacuation de la base française du Tchad. On sait ce qui lui est arrivé.

Le premier président de la Guinée-Conakry indépendante, Ahmed Sékou Touré, a été de son vivant peint sous les traits d’un dictateur. Sans l’absoudre des nombreux crimes de sang qui ont fortement caractérisé son long règne, Sékou Touré fut un nationaliste qui s’est opposé au colonialisme français. Si l’on remonte un peu loin dans l’histoire, l’Almamy Samory Touré est peint dans les livres écrits par les historiens français sous les traits d’un "roi nègre sauvage et sanguinaire". Aujourd’hui, il est clair que c’est parce qu’il s’est opposé avec courage et témérité à la pénétration coloniale qu’il a été dépeint sous les traits d’un sanguinaire.

Quand dans un pays du Sud, les puissances occidentales ont des intérêts énormes, ses dirigeants ne sont jamais traités de dictateurs. C’est exactement le cas du guide libyen Mouammar Kadhafi et de Lassana Conté de la Guinée-Conakry. Ni l’un ni l’autre n’a été traité de dictateur. Cependant, dans ces deux pays, les populations ignorent ce que signifient alternance politique et consultation électorale. Quatrième évidence : la démocratie telle que perçue en Occident est à géométrie variable selon que les dirigeants qui sont installés au Sud font l’affaire ou pas des pays du Nord. C’est pourquoi la démocratie ressemble de plus en plus à un jeu de dupes. C’est une comédie qui se joue sur une scène. Mais dans la réalité, il s’agit d’une tragédie pour les peuples africains, en particulier. Les dirigeants africains devraient se garder, dans le futur, de prendre des engagements auprès des puissances occidentales. Ils devraient plutôt prendre des engagements auprès de leur peuple. Dans tous les cas de figure, toute velléité d’indépendance les fait tomber dans le camp des dictateurs. Dans ce cas, n’est-il pas plus productif de prendre des engagements avec son peuple ?

"Le Fou"

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