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Gestion des conflits : Le défi constant des Africains

Publié le mardi 8 juin 2004 à 07h42min

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Le 25 mai 2004, l’organisation continentale africaine a procédé à l’inauguration du Conseil de paix et de sécurité ». A l’image du Conseil de sécurité de l’organisation des Nations unies, le nouvel instrument a pour missions la prévention des conflits, le maintien de la paix et l’intervention, avec l’accord des chefs d’Etat, pour empêcher dans un Etat membre l’exécution de crimes de guerre, de génocide ou de crime contre l’humanité.

Au regard des précédents historiques dans le domaine de la gestion des conflits et de la persistance de certains conflits en Afrique, quelques réflexions méritent d’être faites.

L’histoire de l’Afrique semble se confondre à celle d’une conflictualité permanente depuis la période précoloniale. L’observation de l’histoire guerrière africaine permet de distinguer différentes formes de guerres : de succession, d’annexion, d’invasion et de razzia.

Mais il est intéressant de reconnaître que la paix et la guerre représentent une dynamique dans les relations interétatiques en Afrique comme ailleurs. Alain Plantey, dans son ouvrage intitulé De la politique entre les Etats, Principes de diplomatie, publié à Lyon (France) en 1987, souligne à juste titre : « le milieu international est formé d’une juxtaposition d’Etats, entités autonomes entre lesquelles s’établissent des rapports vivants et changeants.

Harmonieuses, conflictuelles ou anarchiques, ces relations constituent l’essentiel de l’exercice diplomatique ». Avant l’introduction des armes modernes, la guerre avait quand même un visage plus humain et la violence était réduite au minimum, notamment entre les Etats moosé.

Michel Izard, dans son analyse de la politique extérieure du Yaadtenga (1982), note : « On pourrait, à côté du Moogo, paraphraser Jean-Jacques Rousseau et dire qu’à l’intérieur de ce territoire la guerre était partout et les gens vivaient en paix. Car les guerres entre royaumes ne concernaient bien souvent que leurs aristocraties et leurs gens de cour. Ces guerres respectaient scrupuleusement des interdits dont l’effet principal était de protéger les paysans contre les incendies de maisons et de récoltes, les représailles collectives, etc ».

La guerre comme activité favorite des gouvernants n’était pas non plus le monopole des Etats africains. Bossuet confirme cette thèse en chantant les louanges de Louis XIV, roi de France au XVIIe siècle : « Par les soins d’un si grand roi, la France entière n’est plus, pour ainsi dire, qu’une seule forteresse qui montre de tous côtés un front redoutable. Couverte de toutes parts, elle est capable de tenir la paix avec sûreté dans son sein ; mais aussi de porter la guerre partout où il faut, et de frapper de près et de loin avec une égale force » (Bossuet cité par Ruyssen (Théodore), 1958).

Si la guerre était omniprésente dans les différentes parties du monde, sa gestion dans le temps a beaucoup évolué. Sous prétexte de porter la paix aux barbares africains, donc de prévenir leur extinction, les puissances colonisatrices ont exporté la guerre en Afrique.

Ainsi, la colonne Voulet et Chanoine en 1897 a semé la terreur en Afrique occidentale et principalement au Moogo. Après avoir forcé le Moog-naaba Wobgo à s’exiler en Gold Coast (Ghana actuel), elle porta la guerre jusqu’à Maané où « en ayant, encore une fois, eu raison, Voulet, à titre de représailles, rasa Silmidougou (..) » (Georges CHERON, 1924), la capitale de ce kombéré du riungu de Busma.

L’Afrique a connu tous les genres de guerres

Les inextricables intérêts des Africains, d’une part, et des anciennes puissances coloniales, de l’autre, sont à l’origine de certains conflits contemporains. Comme par ironie, ces mêmes gouvernants, africains et européens, se sont préoccupés de la stabilité en Afrique. Cela à travers les institutions internationales, notamment l’ONU et l’OUA pour ce qui est du continent africain. L’Afrique a connu tous les genres de conflits : idéologiques (Angola), frontaliers (Nigeria/Cameroun), d’indépendance (Sahara occidental), de sécession (Biafra au Nigeria), de partage des ressources naturelles (Congo), ethniques (RWanda), etc. Elle a même fait l’expérience des seigneurs de la guerre au Liberia et en Sierra Leone.

Des textes juridiques ont été élaborés lors des rencontres internationales pour venir à bout de cette conflictualité. Au niveau international, la Charte des Nations unies demeure le texte de référence en matière de gestion des conflits.

Le chapitre VI s’intéresse au règlement pacifique des différends, le chapitre VII porte sur l’action à entreprendre par les Nations unies en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression et le chapitre VIII met l’accent sur les accords régionaux comme instruments d’accompagnement de l’action onusienne.

Au niveau africain, la charte de l’OUA de 1963 prévoyait déjà la création d’une commission de médiation, de conciliation et d’arbitrage qui n’a jamais été opérationnel. La déclaration sur le Mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits en Afrique, adoptée au Caire le 29 juin 1993 par la 29e session de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA a ensuite servi de cadre pour l’action. A sa suite, le protocole instituant le conseil de paix et de sécurité est entré en vigueur le 26 décembre 2003 et a remplacé le mécanisme.

Le conseil comprend 15 membres élus. Il est secondé par un groupe de sages composé de cinq personnalités africaines nommées pour trois ans et susceptible de mener des actions de prévention. Il dispose d’une « force africaine prépositionnée » avec des troupes susceptibles d’être mobilisées en cas de crise.

Ce Conseil ressemble au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité de la CEDEAO, dont le protocole a été signé le 10 décembre 1999 à Lomé au Togo. Par des réflexions approfondies, la communauté ouest-africaine a institué ce mécanisme qui comporte les institutions suivantes :

La conférence (des chefs d’Etat et de gouvernement : structure décisionnelle) ;
le Conseil de médiation et de Sécurité (neuf Etats membres élus par la conférence : réunions au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement ; au niveau ministériel ; au niveau des ambassadeurs) ;
le Secrétariat exécutif ;
toute autre institution créée par la conférence.

Le Conseil de médiation et de sécurité du mécanisme est appuyé par trois organes : la Commission de défense et sécurité, le Conseil des sages et le groupe de contrôle du cessez-le-feu de la CEDEAO (ECOMOG), le répondant de la « force africaine prépositionnée » de l’Union africaine.

Il faut parvenir à financier les opérations préventives L’idée du conseil de sages et celle de la force préventive ne sont pas une invention de l’Union africaine, héritière de l’OUA. Malgré la qualité exceptionnelle du mécanisme de la CEDEAO, la guerre continue en Côte d’Ivoire, pays signataire du protocole. Comment l’Union africaine pourrait faire mieux que la CEDEAO, la France (elle a contribué à la signature des Accords de Linas-Marcoussis de janvier 2003 entre les protagonistes de la crise ivoirienne) et l’ONU (casques bleus) ? Le Conseil de paix et de sécurité pourrait-il bénéficier de l’appui et de l’aval des chefs d’Etat pour agir conséquemment ? L’attente de l’autorisation de la conférence pour intervenir au sein d’un Etat membre est aussi un handicap pour sauver des vies en danger, notamment en situation de crimes de guerre, de génocide et de crimes contre l’humanité. Surtout que le seuil de reconnaissance de ces crimes est mouvant selon les intérêts.

Il faut féliciter les gouvernants du continent d’avoir mis sur pied cet instrument de régulation des tensions. Il serait intéressant de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour renforcer l’autonomie de ce conseil pour lui permettre d’agir de façon immédiate pour empêcher l’exécution des crimes de toutes sortes. Il devrait, cependant, rendre compte aux chefs d’Etat des missions accomplies et sera responsable des dérapages en cas d’intervention.

Une donnée fondamentale reste le financement de ces opérations préventives ou de maintien de la paix. La volonté des Etats d’envoyer et de prendre en charge les contingents constitutifs de la « force prépositionnée » de l’Union africaine est un élément indispensable du succès. La disposition du guide libyen à constituer une armée africaine est un atout à exploiter dans cette perspective.

Il faut, si l’Afrique veut gérer efficacement ses conflits, l’émergence et l’acceptation d’Etats leaders. Ceux-ci auront la responsabilité, à l’image des Etats-Unis (ce n’est peut-être pas un exemple séduisant, mais réaliste) et du couple franco-allemand au sein de l’Union européenne, de décider d’intervenir pour éviter une situation critique dans un Etat donné du continent. L’espace euro-américain vit une paix fondée sur la démocratie et le progrès économique.

Les différends y sont réglés pacifiquement. Relever le même défi démocratique devient une condition pour la survie de l’Afrique. A défaut, ce sont les Etats-Unis et les autres leaders de la communauté internationale qui continueront à pacifier l’espace africain. Henry Kissinger, dans son livre intitulé : La nouvelle puissance américaine, 2003, le relève clairement.

Les Etats-Unis se donnent une mission messianique de protéger la personne humaine partout dans le monde. A l’aube du XXe siècle, les Etats-Unis se présentaient déjà comme « une république qui devient progressivement, mais sûrement l’élément moral suprême du progrès du monde et l’arbitre reconnu de ses querelles » (William J. Bryan). Les droits de l’homme sont devenus un intérêt national des Etats-Unis.

Après l’intervention de l’OTAN au Kosovo, le président Bill Clinton lance au monde : « Voici ce que nous pouvons dire aux peuples du monde : que vous viviez en Afrique, en Europe centrale ou ailleurs, si quelqu’un s’en prend à des civils innocents et entreprend de les massacrer en raison de leur race, de leur origine ethnique ou de leur religion, et s’il est en notre pouvoir de l’en empêcher, nous le ferons ».

L’Amérique, en quête de la prospérité et de la sécurité du monde, ne peut rester indifférente à la situation catastrophique de l’Afrique (pauvreté endémique, guerres civiles accompagnées de génocides, corruption, havre pour des groupes terroristes, pour le blanchiment de l’argent, ravages du Sida).

Les Etats-Unis doivent encourager la démocratisation de ce continent. Selon Henry Kissinger, "ils peuvent - et doivent - mettre à l’index les gouvernements qui agissent en violation flagrante des droits de l’homme" (exemple de l’exil forcé de Charles Taylor au Nigeria). Si les Africains ne parviennent pas à gérer les conflits en Afrique, le devoir moral appellera l’Amérique à agir.

Poussi Sawadogo,
Chargé de la Communication et des Relations extérieures
Institut diplomatique et des relations internationales de Ouagadougou (IDRI)

* Les intertitres sont de la rédaction

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