LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

RD Congo : Enterrer les morts ruine les vivants

Publié le mercredi 6 février 2008 à 10h48min

PARTAGER :                          

A Kinshasa, en RD Congo, il est devenu inconcevable d’enterrer ses morts avec simplicité. La mode est aux dépenses somptueuses et ruineuses, même pour des familles aux revenus modestes...

Morgue de l’hôpital général de Kinshasa, en RD Congo. Ce dimanche de janvier. Des femmes en sanglots, terrassées par la douleur, se roulent par terre. D’autres membres de la famille, des fleurs artificielles en mains, essuient les larmes qui leur coulent des yeux. Louise, qui vient de perdre son enfant de 16 ans, est inconsolable. Le regard tourné vers le ciel, elle crie son désespoir. « Ma fille, nous n’avions déjà pas de quoi te faire soigner ! Comment allons-nous faire pour payer la morgue, organiser ton deuil et t’enterrer de façon décente ? » La douleur de cette femme est immense. Elle sait qu’enterrer un mort aujourd’hui à Kinshasa n’est pas une mince affaire. Les premières dépenses commencent ici, au retrait de la dépouille mortelle.

A la morgue, il faut honorer toute une série de frais : 2000 F (3,8$) par jour de conservation du corps au frigo, 10$ pour le certificat de décès, 10$ pour les agents, autant pour laver, le corps, etc., etc. La dépouille doit ensuite être embaumée et habillée de façon aussi chic que possible. Un adjudant de police raconte ainsi avoir dépense 150$ pour acheter un pantalon noir, une chemine blanche, une cravate, des chaussettes et des gants.. Le plus dur reste à faire. Il faut acheter un cercueil, louer un corbillard, payer pour la chapelle ardente, les tentes, les chaises, les fleurs, louer une fanfare voire un orchestre réputé... « Nous fournissons une chapelle quatre piquets, la décoration qui va avec, le catafalque (estrade, Ndlr), plus deux tentes, deux cents chaises et une caméra pour le reportage à 800$ », avance Jean Ekila, propriétaire d’une entreprise de pompes funèbres. Selon un préposé à la morgue de l’Hôpital général, chaque mois, un à deux corps d’indigents, dont les proches ne peuvent supporter les dépenses mortuaires, sont ainsi abandonnés. Le service social de l’Hôtel de ville, avec l’aide de la Croix-Rouge, se charge alors de les porter en terre.

Exhiber sa fortune

A la sortie de l’Hôpital général, des pompes funèbres se disputent la clientèle Selon qu’on veut enterrer son mort dans un cercueil en bois rare, finement travaillé ou pas, il faut débourser entre 180 et 1 000$. Le corbillard, du camion à la limousine, n’est pas donné non plus : entre 50 et 200$. Une chapelle ardente peut, elle, coûter jusqu’à 1 000$...
Dans les quartiers de la capitale où les rues sont étroites et les parcelles peu espacées, le corps est généralement exposé pour les derniers hommages dans une salle des fêtes ou sur un terrain de foot, « loué entre 200 et 350$ », selon Paul, gérant d’une salle dans la commune de Kalamu. Les proches du disparu ont par ailleurs l’habitude de faire confectionner des uniformes en pagne pour être bien mis... Les cérémonies funéraires représentent d’importantes festivités qu’il faut, pour obéir à la mode, « à tout prix réussir ». C’est au début des années 90 qu’enterrer un mort avec autant de faste est devenu presque une tradition à laquelle trop peu de familles se dérobent. Une affaire de gros sous, explique Mathurin Mvuemba, un enseignant natif de Kinshasa, « Avant, le deuil se passait dans le recueillement, se souvient-il. Les morts étaient enterrés un jour ou deux après leur décès. » Louis Ifondo, un septuagénaire, pense que si l’on dépense aujourd’hui tant d’argent, c’est parce que les gens ont fait de la mort une occasion d’exhiber leurs moyens. Exactement comme lors des naissances ou des mariages. « A la place du deuil, on organise des cérémonies jubilatoires. Même des familles pauvres dépensent beaucoup d’argent, alors que 200$ auraient suffi pour soigner cette même personne quand elle était encore en vie ! », regrette cet homme.

Les pauvres s’endettent

En République démocratique du Congo, le revenu moyen des familles ne dépasse pourtant guère 100$ par mois. Se saigner à blanc pour s’offrir des funérailles de luxe a donc de quoi étonner. « Pour les familles fortunées, ces dépenses importent peu. Ils viennent avec leur liste et paient cash », témoigne Jean-Pierre Kanza, gérant d’une entreprise de pompes funèbres. Chez les moins nanties, c’est la solidarité au sein de la famille et des connaissances qui joue. D’autres s’endettent auprès des pompes funèbres ou des usuriers. « Quand ils s’endettent en nature (cercueil, corbillard, croix), c’est de l’argent comptant qu’ils empruntent », explique un usurier qui accorde des prêts à 50% d’intérêts. Les jours qui suivent l’enterrement sont tout aussi difficiles à vivre. Ruinées, les familles éprouvées par la perte d’un des leurs, doivent observer une période de 40 jours de deuil. Des proches restent là pendant quelque temps pour les consoler. Les dépenses se poursuivent, jusqu’au jour où le deuil sera définitivement levé...

Mohamed Mboyo Ey’ekula
Syffia International

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Sénégal : Le premier président de la Cour suprême limogé