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Province du Sanguié : La malédiction de l’or

Publié le jeudi 31 janvier 2008 à 10h49min

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La découverte, dans le Sanguié, de richesses du sous-sol, notamment le zinc et l’or, avait suscité beaucoup d’espoir pour les fils et filles de cette province. Normal, perspectives en termes d’emplois et de revenus étaient des plus heureuses.

Aujourd’hui, à l’épreuve de l’exploitation, ces espoirs se sont vite mués en cauchemars qui hantent quotidiennement nombre d’habitants de cette contrée du Burkina Faso. Dégradation de l’environnement, exacerbation du banditisme, percée de la prostitution, de la débauche et de la drogue, désintégration du socle familial et du tissu social sont, entre autres, des fléaux qui menacent sérieusement les populations. Un séjour au pied du mont Sanguié nous a permis de prendre la mesure de cette situation, que d’aucuns n’hésitent plus à qualifier de malédiction pour la province.

"Si cet or-là pouvait disparaître de la province et nous laisser tranquilles, nous n’en serions que heureux. Nos femmes ne nous appartiennent plus. Nos enfants ne nous appartiennent plus. Nos champs ne nous appartiennent plus. Nos traditions sont menacées, qu’allons devenir ? n’est-ce pas une malédiction, ça ?" Ces lamentations d’un patriarche de Bonyolo, village situé à quelques encablures de Réo, chef-lieu de la province du Sanguié, sont assez illustratives de l’ampleur du dégoût ressenti en ce moment au sujet de l’exploitation artisanale d’or dans cette province. Pourtant, l’annonce, il y a quelques années, de la découverte d’un certain nombre de richesses du sous-sol dans cette partie du territoire burkinabè avec, notamment, l’ouverture de la mine de zinc de Perkouan, avait suscité énormément d’espoir au sein des populations.

Mais comment en est-on arrivé là ? Comme à toute annonce de l’existence d’un métal précieux dans une zone donnée, la province du Sanguié est prise d’assaut, depuis quelque temps, par une nuée d’orpailleurs. Le début du phénomène remonte, à en croire certains témoignages, à environ deux ans. Accourant de toute part, ces "envahisseurs sans foi ni loi" n’épargnent aucun endroit. Collines, points d’eau, ravins, forêts et brousses sont systématiquement et minutieusement "épluchés". De Kyon à Bonyolo, en passant par Sandié, Perkouan, Guido et bien d’autres localités, plus rien n’est épargné par ces "globe-trotters" d’un autre genre, pour qui rien ne doit plus compter que leur quête d’or. Les traditions et patrimoines sacrés des populations autochtones, ils s’en moquent éperdument.

Tension autour de la colline sacrée de Bonyolo

La convoitise des orpailleurs est surtout orientée vers les collines sacrées, qu’ils considèrent comme les lieux les plus gorgés de ressources. Pour cela, les tensions ne manquent jamais avec les populations, notamment les chefs de terre qui veillent au respect des patrimoines traditionnels. Notre passage à Bonyolo a coïncidé avec une de ces tensions qui opposait coutumiers et orpailleurs au sujet de la colline sacrée du village. Les tentatives d’agressions de ce lieu, malgré la farouche opposition des coutumiers, ont fini par dépiter ces derniers. C’est un chef de terre presqu’au bord de la dépression que nous avons rencontré ce jour-là à Bonyolo. Bagnombié N’doh ne comprend pas qu’un lieu aussi important pour le bien-être du village, et jalousement gardé depuis des lustres par ses aïeux, soit objet de telles convoitises. "Cette colline représente beaucoup pour notre village. Depuis nos ancêtres, elle est adorée. Lorsque le village est confronté à certaines catastrophes comme l’absence de pluie, il suffit de l’invoquer pour que la pluie tombe. On n’y cultive pas ; aucun coup de daba n’y est toléré", explique-t-il.

Le vieux Bagnombié dit avoir été consterné lorsqu’un matin il a remarqué des coups de pioche sur la colline. Un conseil des sages fut convoqué, au sortir duquel des communiqués ont été faits dans le village et par radio, sommant les uns et les autres de cesser toute tentative d’agression de "Dapial" ; c’est ainsi que se nomme la colline. Selon le chef de terre, malgré cela, les orpailleurs, convaincus de l’importance de la teneur aurifère de la colline, ont corrompu certains "vieux cupides", avec l’aval desquels ils persistent à entreprendre leurs fouilles. Un jour, le village constate avec amertume des tracées en provenance de la colline et scindant le village en deux. Une ligne d’or est ainsi repérée et son exploitation menace même certaines concessions. Face à tout cela, Bagnombié N’doh dit être déterminé à se battre jusqu’au bout pour préserver "Dapial" de toute agression extérieure. "En tout cas, avant qu’ils ne creusent cette colline, ils devront marcher sur mon cadavre", avertit-il, l’air très sérieux.

Consternation à Sandié

A quelques kilomètres de là, se trouve le village de Sandié. Il fait partie des premiers à être visités par les orpailleurs. Un peu plus d’une année après leur arrivée, que de désolation ! Des champs désaffectés, des collines sacrées profanées, des familles entières disloquées, les enfants ayant préféré aller à la recherche de l’or sans s’imaginer les dangers qui les guettent tels la drogue et les assauts répétés des bandits. Le chef de terre du village, Bedoha Bado, est médusé face au désastre causé. "Vraiment nous ne sommes pas du tout contents de la présence de ces orpailleurs dans nos champs. Leur passage n’a jamais été une bonne chose pour une région. A leur arrivée, nous nous sommes opposés, mais nos efforts ont été vains. Nous n’avons pas été soutenus par les autorités. Le maire par exemple aurait pu nous appuyer, mais hélas ! Il nous ont tous compromis. Quel avenir pour nos enfants dans ces conditions ?" se lamente-t-il. Au sein des populations locales, on ne s’explique pas l’impunité dont jouissent les orpailleurs. Malgré la nocivité de leur activité reconnue de tous, on les laisse faire. "Ils n’ont aucune autorisation d’exploitation, mais ils arrivent et font ce qu’ils veulent dans l’anarchie la plus absolue. S’il y a des réticences, ils usent de corruption, de menaces, voire de la force. Toujours est-il qu’ils finissent par prendre le dessus et atteignent toujours leurs objectifs, au grand dam de l’environnement et du devenir des populations", témoigne un jeune enseignant.

La corruption comme règle de jeu

Pourtant, tout le monde semble déplorer la pratique. Des autorités au plus petit des paysans, tous sont contre le phénomène dont les méfaits, comparés aux avantages, laissent songeur. Seuls les chefs orpailleurs y gagnent et ne laissent derrière eux que désolation. Ces patrons orpailleurs, dit-on, ont un lobby hyperpuissant face auquel rares sont ceux qui peuvent résister. Dans les villages, les résistances sont vite annihilées avec quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Au prix de quelques billets de banque, les paysans, tenaillés qu’ils sont par la misère quotidienne, particulièrement aggravée cette année par une saison agricole catastrophique, n’hésitent pas à céder leurs domaines qui deviennent des champs de ruines après le passage des orpailleurs. "La situation est d’autant plus alarmante que ces miettes que certains acceptent pour laisser détruire leurs champs, ne peuvent les maintenir pendant plus d’un trimestre. Or, ils perdent à jamais leurs champs ; ils ne pourront plus jamais y cultiver. Que vont-ils alors devenir après ?" s’interroge un habitant de Sandié. Mais pourquoi laisse-t-on faire les orpailleurs malgré tant de calamités ? "Ces gens ont la bénédiction des autorités. Elles ont la barbe toute mouillée dans ce business où elles gagnent énormément. C’est pourquoi elles n’osent pas lever le petit doigt", affirme un autre.

Du côté de l’entreprise attributaire du permis d’exploration de la zone, Nantou mining limited, on déplore la situation tout en avouant être impuissant. Adama Barry, représentant national de l’entreprise, ne cache pas sa déception face au phénomène. Il dit être conscient de la responsabilité de sa structure, quant aux conséquences de cette pratique en matière d’environnement et de sécurité. "Nous n’avons pas les moyens coercitifs pour évacuer ces gens qui agissent dans l’illégalité, sans aucune autorisation. Nous allons continuer à solliciter les autorités pour qu’on arrête cette activité qui ne profite, en réalité, à personne", a-t-il laisser entendre.

La drogue comme "paravent"

La descente dans les puits d’orpaillage, souvent profonds d’une trentaine de mètres, n’est pas chose aisée. Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir entreprendre cette aventure qui peut se terminer en drame bien des fois. Les éboulements et autres accidents sont monnaie courante sur les sites. Pour contourner la hantise et l’angoisse, la drogue se présente comme la seule solution. Selon le témoignage d’un orpailleur, il n’est pas possible de descendre dans un puits sans avoir pris la "dose", faisant allusion aux amphétamines. "Si vous voyez un orpailleur qui vous dit qu’il ne prend pas de drogue, sachez qu’il ment. Cela n’existe pas. Tous autant que nous sommes ici, nous en prenons. Peut-être certains orpailleurs d’ethnie mossi ont leur "wak". Mais nous, les autochtones qui n’avons pas une tradition d’orpailleurs, nous ne pouvons pas nous passer de la drogue", témoigne JB, un jeune venu de Réo. Une fois "remonté", plus rien ne semble impossible pour l’orpailleur. Il se croit tout permis et capable de tout. C’est dans un tel contexte que les bagarres sanglantes et autres formes d’agressions physiques ne manquent jamais. Au CSPS de Bonyolo, le médecin-chef, Dieudonné Dabiré, indique que ses services reçoivent quotidiennement de nombreux cas de coups et blessures. Les IST aussi connaissent une recrudescence notable depuis l’arrivée des orpailleurs dans la zone, témoigne-t-il.

Le déclin du maraîcher

Historiquement reconnue comme grenier des légumes, avec un maraîchage très développé, la province du Sanguié est en passe de perdre cette réputation. Et pour cause, la ruée vers l’or a détourné toute la main-d’oeuvre. En effet, la grande majorité de la jeunesse, obsédée par la quête de l’or, qui se présente comme un moyen d’enrichissement plus rapide, a abandonné l’arrosage des jardins maraîchers, une activité qu’elle juge peu rentable. Au marché des légumes de Réo, l’ampleur de l’abandon de cet activité est visible à travers la rareté des légumes. Certains préfèrent même aller se ravitailler sur le marché voisin de Koudougou. Un détour dans certains jardins potagers permet de constater des jeunes pousses desséchés, faute d’arrosage. Le délégué de Guido, Abdoulaye Bayala, qui justifie cet abandon par le manque d’eau, condamne ceux qui pensent que les populations du Sanguié ne veulent plus le travail de la terre et abandonnent leurs champs aux profit des "cailloux".

Et Abdoulaye Bayala de s’insurger contre ceux qui désapprouvent l’orpaillage qui représente à ses yeux un moyen efficace de lutte contre la pauvreté. "Grâce à ce travail, beaucoup de personnes s’en sortent très bien ici au Sanguié. Des gens qui ne rêvaient pas s’acheter un vélo ont pu s’acheter de grosses motos...", se réjouit-il. Une telle vision n’est pas partagée par BB, un jeune du village qui pense que le délégué est de connivence avec les orpailleurs, toute chose qui l’amène à fermer les yeux sur les méfaits de l’orpaillage. Pour lui, le profit éphémère de quelques individus ne saurait justifier le drame auquel l’on prédestine toute une province. "Il faut être d’un esprit vraiment étroit pour approuver ce qui se passe. Des femmes abandonnent leur foyer pour s’installer dans des lieux, avec tous les risques que cela présente. La prostitution, le banditisme et la drogue gagnent du terrain ; les enfants abandonnent les salles de classe pour aller concasser des cailloux. Certains y meurent, d’autres en reviennent avec des maladies incurables ; nos traditions sont dévoyées ; ...", a-t-il martelé d’un air stupéfait.

Par Ladji BAMA


L’or et la saleté

Une idée très ancrée dans l’imaginaire des orpailleurs est que l’or aime la saleté. Ainsi, le chercheur devra être le plus salle possible pour accroître ses chances d’en avoir. C’est pourquoi sur le sites d’orpaillage, on rivalise de saleté. Il faut accumuler des semaines, voire des mois, sans se laver. Certains iraient même jusqu’à se badigeonner du sang des menstruations des femmes avant de descendre dans les puits. Cela serait à la base d’un commerce souterrain de coton que les femmes utilisent en période de menstruations. Certains orpailleurs seraient prêts à débourser souvent jusqu’à 5 000 F CFA pour se les procurer. Certaines jeunes filles n’hésiteraient donc pas à les écouler sur ce marché.


"Les bons payeurs"

Les sites d’orpaillage sont des lieux de prolifération de toutes sortes de commerces et autres petits métiers. Les orpailleurs étant considérés, là-bas comme de "bons payeurs", de nombreuses activités lucratives y prospèrent. La vente d’eau fait partie de celles-ci au Sanguié. Etant donné sa place centrale dans l’activité d’orpaillage (pour le lavage de la terre en vue d’extraire les pépites d’or), les orpailleurs ont constamment besoin d’eau. Femmes, enfants et certains hommes ont fait de la vente d’eau une activité qui leur rapporte énormément. La vente de l’eau de douche est aussi lucrative. Selon qu’il s’agit d’un seau d’eau froide ou chaude, le prix varie de 100 à 300 F CFA. Autre commerce en vogue sur les lieux, celui de la nourriture. De nombreuses femmes ont quitté la ville pour s’y établir en tant que restauratrices et leurs commerces semblent bien marcher, les orpailleurs étant aussi considérés comme de "gros mangeurs".

Cette idée de "bons payeurs" serait, selon certaines indiscrétions, à la base d’une forme de prostitution beaucoup plus discrete, qui amène certaines jeunes filles et mêmes des femmes mariées à aller avec les orpailleurs, en contrepartie de fortes sommes. Une histoire bien connue dans la zone, raconte qu’une dame, après plusieurs mois passés sur un site en tant que vendeuse d’eau, a couché avec un orpailleur. En retour, elle aurait reçu une somme si importante à ses yeux qu’elle s’exclama : "Ah bon ! je ne savais pas que ça aussi (parlant de son sexe), ça pouvait rapporter tant et je souffrais dans la vente d’eau".


L’action salvatrice de l’AJID

Responsable d’une structure intervenant, depuis plusieurs années dans le domaine de la santé (lutte contre le VIH), l’environnement et le social, en l’occurrence l’Association jeunesse initiative développement (AJID-Sanguié), Ange Marie Bationo dit avoir été interpellé à un moment donné par ce qui se passe sur les sites d’orpaillage. Une enquête situationnelle et participative conduite par l’association sur certains sites aurifères a permis de constater, à ses dires, beaucoup de pratiques à risque. "Nous avons recueilli des témoignages selon lesquels sur certains sites, les rapports sexuels se font à 5000 F CFA avec capote et à 10 000 F CFA sans capote.

Aussi, cette enquête nous a permis de nous rendre compte qu’il n’existe pas véritablement de point de vente de préservatifs sur l’ensemble de ces sites. Les rares préservatifs qu’on y trouve, sont exposés au soleil, ce qui rend leur efficacité douteuse. Autant de facteurs qui nous ont amenés à l’élaboration d’un plan d’actions pour 2008, comprenant notamment l’installation d’un comptoir d’animation et d’écoute des jeunes, avec point de vente de préservatifs", a-t-il expliqué, avant de lancer un double appel : aux autorités, de considérer que la situation est suffisamment grave pour qu’elles songent à s’y pencher afin d’y trouver des solutions idoines ; à la jeunesse de se rendre à l’évidence que la gestion des affaires publiques la concerne, et que la lutte contre le VIH passe par le bon comportement de chacun.

Le Pays

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