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Français de Côte d’Ivoire : Ces disparitions qui inquiètent

Publié le vendredi 11 janvier 2008 à 11h22min

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Guy-André Kieffer

Un chef d’entreprise qui disparaît sans laisser de traces, cela ne donne pas une bonne image d’un pays. Les autorités ivoiriennes doivent sans doute se faire des cheveux blancs au sujet de la disparition, depuis fin décembre, à Abidjan, de l’homme d’affaires français Alain Massoulier. Comment convaincre la communauté des investisseurs étrangers, et en particulier français, que le pays est à nouveau prêt à les accueillir, comme il le fut jadis, quand un des leurs peut être victime d’enlèvement ou même de meurtre ?

Cette affaire constitue un triple test à la fois sécuritaire, économique et politique, que le pouvoir ivoirien doit réussir. On sait que la plupart des chefs d’entreprises qui faisaient la vigueur économique d’Abidjan ont fui en raison du climat d’insécurité consécutif à la crise de 2002. Leur retour, qui est également conditionné par le rétablissement de la sécurité pour eux et leurs biens, offrira une bouffée d’oxygène à la capitale économique plongée depuis lors dans un marasme sans précédent. Par ricochet, le régime du président Gbagbo gagne en stabilité puisque la relance de l’économie signifie moins de chômage et donc moins de soucis pour les gouvernants.

Politiquement, Laurent Gbagbo pourra se vanter d’avoir réconcilié la Côte d’Ivoire avec les investisseurs, et donc se positionner non seulement en homme de la paix, mais aussi en celui de la reconstruction nationale. Le président Gbagbo devrait donc, en principe, être le plus pressé d’entre les Ivoiriens de voir son pays repartir sur de bonnes bases, car il y va de sa survie politique, à quelques mois d’une élection présidentielle tant attendue. En outre, un processus de rapprochement politique entre Yamoussoukro et Paris est en marche, ainsi que Gbagbo l’a lui-même laissé entendre, en révélant que depuis le départ de Jacques Chirac, il dort mieux. Ce qui veut dire donc qu’avec Sarkozy, il a moins d’insomnies. Dans ce contexte, a-t-il un quelconque intérêt à faire disparaître un Français, comme on l’en accuse pour le cas de Guy-André Kieffer ?

Par contre, il n’est pas exclu que les succès politiques et diplomatiques de Gbagbo, avec notamment l’Accord de Ouagadougou, ne fasse pas plaisir à certains Ivoiriens, y compris dans ses propres rangs. Il est de notoriété publique que des faucons du FPI (Front populaire ivoirien) demeurent réfractaires au processus de paix dans sa formule actuelle. Dans une Côte d’Ivoire où escadrons de la mort et milices de toutes sortes pullulent, Laurent Gbagbo peut ne pas avoir le contrôle de certaines forces obscures qui, pour lui mettre des bâtons dans les roues, pourraient s’adonner à ce jeu dangereux des enlèvements d’étrangers. Comme les terroristes, ses opposants savent aussi que la question de la sécurité des Occidentaux est très sensible. Touchez à un cheveu d’un Européen ou d’un Américain, et vous en payez d’une façon ou d’une autre le prix fort. La dernière illustration nous vient de Mauritanie où les conséquences de l’assassinat de quatre touristes français sont incalculables pour l’économie de ce pays.

Si l’enlèvement du Français était le fait d’éléments incontrôlés de son entourage, cela n’absoudrait pas pour autant le président Gbagbo. Il révélerait des dissensions sérieuses entre clans au pouvoir qui peuvent déboucher sur une instabilité des institutions. Toutes choses, là aussi, négatives pour le pays.

Et même si l’on émet l’hypothèse d’un enlèvement crapuleux, cela veut dire aussi que les autorités ivoiriennes ne sont pas parvenues à éradiquer le grand banditisme, autre facteur d’instabilité. En tout état de cause, il est impératif que l’affaire Alain Massoulier soit tirée au clair. Il y va de la crédibilité du régime ivoirien, qui a déjà sur le dos une affaire similaire non réglée, le cas Kieffer. De même, l’assassinat du journaliste de RFI, Jean Hélène, reste encore vivace dans les mémoires et constitue une autre ombre au tableau du régime ivoirien. D’autant que dans les geôles de la police criminelle croupit, en ce moment même, un journaliste français, accusé d’espionnage par les services secrets ivoiriens. Cela fait beaucoup, en matière de dossiers de sécurité et de droits de l’homme, pour la Côte d’Ivoire. Certes, ce dernier cas relève de la sécurité d’Etat et le lieu de détention du journaliste est connu de même que les charges qui pèsent contre lui. Mais il n’empêche qu’il est de nature à ternir la réputation de Gbagbo qui a juré de ne jamais jeter un journaliste en prison et dont le pays vient d’abriter les 39e assises de l’Union internationale de la presse francophone (UPF).

La disparition du chef d’entreprise français ne freinera sans doute pas l’élan de réconciliation nationale pris par la Côte d’Ivoire. Mais elle peut avoir des conséquences fâcheuses sur la reprise des affaires dans le pays. Elle mérite donc une grande attention de la part des autorités, au même titre que les efforts qu’elles déploient pour la réunification du pays. Car la paix ne peut se consolider dans un climat de terreur pour les opérateurs économiques.

"Le Pays"

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