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Pakistan : Passeport pour l’enfer

Publié le lundi 31 décembre 2007 à 12h06min

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Elle s’appelait Bénazir Bhutto. Assassinée par un Kamikaze le jeudi 27 décembre, elle repose désormais dans le mausolée familial de Garhi Khuda Bakhsh, près de la ville de Larnaka.

Adulée par les uns, vouée aux gémonies par les autres, Bénazir, qui signifie l’unique, ne laissait personne indifférent. En effet, pour ses partisans du Parti du peuple pakistanais, c’était le leader incontesté ; pour l’Amérique, c’était une alliée fidèle ; pour le pouvoir à Islamabad, une menace ; enfin pour les islamistes pakistanais et Al-Qaïda, une ennemie à abattre. Pour toutes ces raisons et certainement pour bien d’autres, elle se savait fortement menacée de mort. Mais par courage ou peut-être par témérité, elle a accepté son destin en mourant en martyr.

Quelques minutes d’ailleurs avant de passer de vie à trépas en ce jeudi fatidique, et comme un signe prémonitoire devant une foule de partisans, elle déclarait en substance : "J’aime ma vie en danger et je suis revenue au Pakistan parce que je sens que ce pays lui-même est en danger". C’est peu dire que d’affirmer que Bénazir était parfaitement consciente du danger qui la guettait dans son pays, car déjà, le 18 octobre, alors qu’elle rentrait au bercail après huit ans d’exil à Londres, et en signe de souhait de "bienvenue", deux Kamikazes voulurent lui enlever toute envie de s’immiscer dans la politique pakistanaise. C’est in extremis qu’elle eut la vie sauve, mais l’attentat a laissé sur le champ 139 tués, en l’occurrence ceux-là qui étaient venus lui témoigner son soutien. Et vraiment si Bénazir Bhutto s’en était tirée à bon compte, c’est parce qu’elle se trouvait à l’intérieur d’un véhicule blindé.

Après le carnage du 18 octobre, elle ne s’était pas embarrassée de gants pour accuser sur des "hauts responsables" proches du pouvoir et des membres des services de renseignements d’être à l’origine de cette lâche attaque. Elle n’avait peut-être pas tort, l’égérie de la scène politique pakistanaise, puisque moins d’un mois après son retour au pays, elle avait tourné le dos au général-président Pervez Musharraf et dirigeait, avec une certaine pointe de succès le principal parti d’opposition au pouvoir à Islamabad.

On se souvient que la fille de Zulfikar Ali Bhutto avait négocié, dans un premier temps, un accord de partage du pouvoir, qui lui avait permis de rentrer d’exil grâce à une amnistie mettant un terme à des poursuites pour corruption, du temps où elle dirigeait le pays (1988-1990 et 1993-1996).

Prenant prétexte de la menace terroriste islamiste, l’homme fort du Pakistan, on se souvient, avait instauré le 3 novembre dernier l’état d’urgence. C’est ainsi qu’après quelques jours de négociations avec lui pour un partage du pouvoir dans la perspective des législatives et des provinciales prévues pour le 8 janvier 2008, elle s’était résolue, à son corps défendant, à franchir le Rubicon en se positionnant dans l’opposition. L’assassinat de Bénazir a eu lieu à deux semaines des législatives, à l’issue incertaine car, autant ces élections pouvaient faire basculer le pays dans la violence, autant elles auraient pu sceller un nouveau pacte et faire d’elle, pour la troisième fois de sa vie, un Premier ministre. Pour le moment, le gouvernement pakistanais n’a ni reporté ni annulé ces consultations.

Mais on voit mal comment celles-ci pourraient se tenir encore dans deux semaines. Et pourtant, à entendre certains analystes politiques, respecter le calendrier électoral serait, d’une certaine manière, aller au-delà de l’émotion et affirmer que la démocratie est plus forte que la violence. Mais c’est prendre aussi un risque que d’organiser des scrutins déjà considérés par beaucoup comme illégitimes avec, évidemment, davantage de violences à la clé.

Fragilisé par la talibanisation du pays, fortement discrédité au sein de la société pour son refus de rétablir la démocratie, Musharraf lui-même est un homme en danger. Nous écrivions d’ailleurs dans le Regard sur l’actualité de l’Observateur paaga n°7009 du 12 novembre 2007 que Musharraf allait mal finir. Cela est d’autant plus plausible que les démocrates souhaitent ardemment son départ, les djihadistes sa mort. Et, paradoxalement, l’armée et les puissants services de renseignements sont eux-mêmes minés par l’idéologie des talibans.

Depuis l’assassinat de Mme Bhutto, la situation socio-politique au Pakistan est des plus explosives. Les personnes tuées dans des émeutes se comptent par dizaine. A Lahore, dans la grande ville du Nord-Est et un peu partout dans le pays, des commerces, des autobus et des voitures ont été incendiés. Çà et là, des tirs sporadiques se font entendre et la police tente tant bien que mal de contenir la colère populaire ; et le Pakistan tout entier reste au bord du chaos.

"Si quelque chose m’arrive au Pakistan, j’en rendrai Musharraf responsable", écrivait Bénazir Bhutto le 26 octobre dernier dans un message électronique adressé à son porte-parole, Mark Siegel, aux USA. Alors, est-ce pour autant qu’il faut considérer l’actuel homme fort d’Islamabad comme commanditaire de cet assassinat ? Certes on sait que le président Musharraf n’avait pas accédé à la demande de Bénazir de se voir doter d’une protection rapprochée, pour qu’elle puisse circuler en toute sécurité. Mais de là à accuser le président pakistanais de crime, il y a un pas que beaucoup hésitent pour le moment à franchir et ce, d’autant plus que ces deux personnalités avaient un ennemi commun : l’islam radical. Il est de notoriété publique que Bénazir Bhutto menait campagne contre Musharraf, mais surtout contre les fondamentalistes musulmans, en promettant d’"éliminer la menace islamique" du pays.

Tout naturellement ces menaces n’étaient aucunement du goût des Mollahs, qui ont juré de se venger d’elle. Est-ce donc eux qui ont mis à travers ce kamikaze, leur menace à exécution ce jeudi sanglant ? En attendant, depuis samedi, la controverse sur les circonstances de sa mort prenaient de l’ampleur. La thèse gouvernementale, selon laquelle l’opposante n’a reçu aucune balle, provoque la colère de ses partisans. Le gouvernement s’est dit même prêt à exhumer le corps pour déterminer les causes de sa mort.

L’assassinat de cette grande figure considérée comme l’une des personnalités capables de sortir le Pakistan des affres de la guerre civile et de l’inévitable chaos relance du même coup les risques de tensions, difficilement quantifiables. Détenteur de l’arme atomique (depuis 1997), nid d’Al Qaida, pays en conflit avec son voisin indien (puissance nucléaire aussi) au Cachemine et jouant un rôle trouble en Afghanistan, le Pakistan (pays des purs) reste un danger pour la région, voire le monde. Et cet assassinat semble avoir ouvert les vannes d’un processus qui inspire l’installation d’une mécanique infernale manipulée par des apprentis-sorciers.

En effet, sans pouvoir légitime, sans retour à la démocratie, sans une lutte efficace contre les "grands barbus", sans une politique bien visible en Afghanistan, le Pakistan reste une menace fort redoutable pour le reste du monde. Et si d’aventure, dans ce pays, quelqu’un caressait le secret projet de restaurer l’état d’urgence et de rétablir le contrôle militaire sur la vie politique, aujourd’hui tous les ingrédients semblent réunis pour ce faire.

Boureima Diallo

Observateur Paalga

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