LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Accords de partenariat économique : Une question de développement ou d’exploitation ?

Publié le vendredi 28 décembre 2007 à 13h33min

PARTAGER :                          

Les relations commerciales paternalistes entre l’Europe et les Etats d’Afrique risquent de prendre fin comme s’écroulerait une grande et puissante famille si les Accords de partenariat économique (APE) ne sont pas signés avant leur date butoir, c’est-à-dire avant la fin de l’année.

Il n’y a pas longtemps, le commissaire européen au commerce, Peter Mandelson, a ouvertement taxé les organisations non gouvernementales "d’ignorance et d’attitude préjudiciable", car elles "dénaturent complètement", selon lui, l’objectif de ces nouveaux accords commerciaux.

Les APE sont désespérément vitaux pour les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), a-t-il affirmé, pour qu’ils puissent sortir de la pauvreté. Pourquoi, dès lors, ne pas les aimer ?

Encouragés de manière agressive par l’Union européenne (UE), contraints de respecter ses engagements dans le cadre des règles strictes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais violemment critiqués — ils sont parfois comparés à un cheval de Troie qui détruirait tout progrès économique de l’Afrique et entraverait toute autodétermination politique —, les APE provoqueront vraisemblablement encore des frictions bien au-delà du 1er janvier 2008.

Personne ne remet en cause la nécessité de revoir le système d’accès préférentiel dont bénéficient à l’UE, pour des raisons historiques, les produits des anciennes colonies d’Europe de la zone ACP. Ce qui est mis en doute, c’est la capacité de ces nouveaux accords commerciaux, conclus sous la forme d’APE, d’entraîner de véritables progrès.

Les "questions de Singapour" remises à plus tard

Les retards qui ont marqué les négociations en vue des futurs APE sont largement attribués à l’inclusion par l’UE, dans les pourparlers, des "questions de Singapour", c’est-à-dire une série de thématiques liées à des réformes institutionnelles que l’Europe veut lier à la libéralisation du marché. Elles ont été introduites, pour la première fois, par les pays riches dans le cadre de négociations commerciales, lors d’un sommet de l’OMC qui s’est tenu à Singapour en 1996.

Les "questions de Singapour" ont trait à une "nouvelle génération" de problématiques, qui sortent des limites des réformes de régulation prévues. Il s’agit notamment de la protection des investissements, des politiques en matière de concurrence, des contrats gouvernementaux ou des facilités commerciales. Les pays en voie de développement ont accepté qu’elles soient retirées de l’ordre du jour de l’OMC, pour seulement les voir réintroduites dans les APE négociés de manière bilatérale.

Entre-temps, l’UE a reconnu que le délai fixé pour la signature d’accords de libre-échange avec ses anciennes colonies ne permettrait que de conclure, d’ici à la fin de l’année, que des arrangements concernant le "commerce des marchandises". Les questions de Singapour resteront donc sur la table des discussions et ne seront abordées que plus tard.

Elles impliquent une série de dispositions, dont les implications risquent de ne pas être complètement appréciées par les pays africains", estime Sanoussi Bilal, coordonnateur des programmes de coopération commerciale pour le Centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM). Il était notamment l’un des observateurs des récentes négociations sur les APE.

Bilal émet notamment de profondes réserves sur la viabilité et l’étendue des APE, qui risquent, selon lui, d’être conclus par défaut. Lorsqu’on lui parle de l’Afrique centrale, par exemple, qui est l’une des régions les plus proches d’un accord, il observe : "Je ne sais pas s’ils comprennent réellement ce qu’ils sont sur le point de signer."

Un chèque en blanc pour profiter des économies africaines

Le centre ECDPM n’est pas la seule organisation non gouvernementale (ONG) à considérer que les APE constituent un "chèque en blanc", qui permettra au commerce européen de profiter des économies africaines, sans pouvoir leur garantir en retour un impact positif sur le développement. Pour Bilal, même la signature d’un accord centré uniquement sur le commerce des biens, à ce stade, ferait de certains pays africains des otages de fortune.

Les ONG s’inquiètent notamment du transfert des droits de propriété intellectuelle et des investissements étrangers directs (IED) dans des secteurs aussi variés que les services bancaires, les transports, les communications ou l’énergie. Les organisations sont également préoccupées par la libéralisation des procédures de contrats gouvernementaux, l’une des bêtes noires de l’Europe, considérées souvent comme un paravent pour la corruption.

Les arguments européens mettent en avant le fait que les économies situées en dehors de la zone Afrique, Caraïbes et Pacifique ont une croissance beaucoup plus rapide que celles du bloc, notamment parce qu’elles sont plus attractives pour les investisseurs étrangers. Mais les ONG rétorquent, estimant que les IED peuvent entraîner aussi bien des bénéfices que des coûts.

En effet, certains éléments des APE sont relativement stricts et peuvent limiter les capacités des pays africains à atteindre des objectifs stratégiques. Les opposants aux accords parlent de "manque de politique d’espace", qui empêcherait de poursuivre des objectifs de développement en dehors du régime des APE.

Libertés prises, avec la fraude aux droits de propriété intellectuelle

D’autres détracteurs fustigent l’occasion manquée et les libertés qui ont été prises, notamment en matière de fraude aux droits de propriété intellectuelle. Ils estiment que des mesures positives auraient pu accroître les bénéfices tirés par les pays ACP de la propriété intellectuelle, alors qu’ils sont aujourd’hui absents des accords ou tout même ébranlés.

A titre d’exemple, ils citent les obligations requises pour les contrats de licence de transfert de technologies ou pour la création de joint-ventures. Celles-ci pourraient notamment permettre de prévenir la "bio-piraterie" ou l’appropriation malintentionnée de savoirs traditionnels par des entreprises européennes.

Mais cela implique un niveau de détail qui est loin des ressources réduites dont bénéficient de nombreux négociateurs africains pour pleinement s’engager dans ce sens, explique Dr Mareike Meyn, chercheuse à l’Institut de développement d’Outre-mer, basé à Londres.

"En matière de politique de la concurrence, par exemple, certains pays n’ont pas encore décidé d’une réglementation ou ne l’ont pas encore mise en vigueur. Donc, les engager à créer une autorité régionale de la concurrence est très difficile. Certains dirigeants politiques africains craignent ne pas pouvoir respecter ces engagements", explique Dr Meyn.

Prendre en compte les différents niveaux de développement

En outre, certains documents discutés doivent prendre en compte les différents niveaux de développement des Etats africains, ajoute-t-elle.

"Dans le cas des pays d’Afrique de l’est et d’Afrique australe, nous avons 15 pays très hétérogènes. Certains sont intégrés économiquement, à un niveau sous-régional, mais pour la plupart, l’intégration économique n’est encore qu’à un stade premier. En outre, certains pays sont en situation de conflit ou sortent à peine de conflit", souligne-t-elle. "Si l’UE veut promouvoir le développement à travers les APE, elle devrait prendre en compte ces différents niveaux de développement et non les diversifier".

"Cela n’a aucun sens d’inclure dans les discussions des questions que l’un des partenaires réfute fondamentalement et de soutenir ensuite que ce sera favorable à son développement", explique-t-elle.

Une opinion que partage Bilal. "Pourquoi ne pouvons-nous pas envisager des modèles différents pour chaque pays ? La Commission européenne prétend qu’elle n’impose rien, mais la réalité est que, même lorsque les négociateurs régionaux sont bons, au niveau national, ils ne suivent pas ce qui est en train de se passer, et à la fin de la journée, ces arrangements seront tout de même signés au niveau régional".

Sue Scott

IPS

NB : les intertitres sont du journal

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)