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Houndé : La révolte des cotonculteurs

Publié le mardi 18 décembre 2007 à 08h31min

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Le prix du coton embrase la zone cotonnière du Tuy. Fixé à 145f le kg en début de campagne, le prix est aujourd’hui à la hausse sur le marché international. La société cotonnière Sofitex a décidé, lors du forum des producteurs tenu le 22 novembre dernier, en accord avec l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB), de répercuter cette hausse en mai 2008, après la vente de la production de cette année.

Les producteurs de Houndé ne sont pas d’accord avec cette décision. Ils exigent ici et maintenant, la revalorisation du prix. Ils ne vendront pas leur coton tant que cette revendication n’est pas satisfaite. Pour les faire plier, les forces de l’ordre sont mises à contribution.

Tinie Bahan et Pouého Léravo cultivent le coton depuis une dizaine d’années. Pour cette saison, le premier a exploité 55 ha et le second 5 ha. Depuis fin novembre, ils sont en train de récolter. En ce début décembre, ils n’ont pas encore terminé, mais c’est tout comme. En effet, ce qui reste, ce sont les surfaces semées après le 15 juillet. Et là, ils n’ont pratiquement aucune chance de récolter quelque chose. La fin précoce de l’hivernage a ruiné leur espoir.

Dans leur village de Kari (une dizaine de km de Houndé), plusieurs familles se retrouvent dans leur cas. Le climat n’est pas à la fête comme à l’accoutumée, à chaque fin de récoltes. C’est plutôt l’inquiétude qui se lit sur les visages. Ils ne sont pas sûrs de pouvoir gagner quelque chose quand ils vendront leurs maigres productions à la Sofitex (Société des fibres et textiles). Depuis plusieurs années, le prix du coton ne fait que dégringoler. Cette année, il est à 145f/kg (1ère qualité) et 120 f/kg (2è qualité). Avec ces prix, beaucoup assurent qu’ils ne s’en sortiront pas avec un kopeck de bénéfice.

La société cotonnière qui leur livre les intrants à crédit en début campagne se fait rembourser directement à l’achat au producteur. Face à cette perspective, ils sont nombreux à envisager l’abandon de la culture de l’or blanc. Ils estiment qu’ils ne cultivent que pour rembourser les crédits de la société cotonnière. Pour cette dernière, la perspective n’est pas non plus rose, même si elle arrive à se faire rembourser tant bien que mal ses crédits par le biais des Groupements des producteurs de coton (GPC) mis en place dans chaque village par l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB) dont le président n’est autre que François Traoré, ex-président de la Confédération paysanne du Faso (CPF). Avec ce système, Sofitex arrive à récupérer son argent.

Pour les producteurs, quel que soit l’état de la saison (bonne ou mauvaise), la société gagne, car les crédits non remboursés sont toujours reportés sur la campagne prochaine. Pour eux, c’est un cycle infernal. " L’année dernière, j’ai fait un hectare. A la fin de la campagne, je n’ai pas récolté une tonne. Or, même avec une tonne, tu n’as pas grand-chose. Cette année, j’ai décidé de diminuer de moitié ma surface pour faire du maïs. Heureusement pour moi, le maïs a bien donné. L’année prochaine, je ne ferai que ça. ", confie un jeune agriculteur de Koumbia. Ils sont nombreux à être dans cet état d’esprit d’abandon.

Quand la Sofitex et l’UNPCB ont annoncé lors du forum des producteurs le 22 novembre que le prix du kg avait augmenté sur le marché international (le cours du marché serait actuellement à 650f/kg pour le coton fibre), ils étaient très contents. Mais quelques instants, l’euphorie s’est transformée en amertume. Leur coton sera payé au prix fixé en début campagne (145f/kg contre 165f l’année dernière) et la ristourne additionnelle sera reversée en mai prochain, c’est-à-dire en début de campagne 2007-2008. Pour les producteurs, c’est une manière de les obliger à cultiver encore du coton car, dès février, ils doivent impérativement prendre les intrants avec la Sofitex pour commencer les semis en mai-juin.

La gendarmerie s’en mêle

A la sortie du forum, quelques producteurs se sont vus et ont décidé de bloquer leurs productions tant qu’un prix fixe n’est pas arrêté. Avec le cours actuel, le prix de l’achat au producteur pourrait passer de 145f à au moins 165f, le prix de la saison dernière. " Il faut qu’ils nous disent c’est combien ils vont acheter notre coton. Si à l’international le prix a augmenté, ils doivent pouvoir nous dire c’est combien et revoir dès maintenant le prix au niveau national. Nous ne voulons pas le flou car, il se peut qu’en mai, ils reviennent encore nous dire que le prix a chuté. Nous voulons bien vendre notre coton mais pas à n’importe quelle condition. ", explique Pouého Léravo. Tinie Bahan est de son avis. Avec 17 autres producteurs, ils ont décidé de faire des rencontres dans les villages pour rallier les autres à leur position. Ils ont commencé leurs tournées le 27 novembre.

Le lendemain 28, ils étaient dans le village de Sébédougou quand la gendarmerie est venue les appréhender. Selon les gendarmes, ils n’auraient pas le droit de tenir des réunions. Seules les structures de l’Union seraient habilitées à le faire. Tous les 19 sont conduits à la Brigade territoriale de Houndé.

La gendarmerie considère ces personnes comme les meneurs du mouvement de boycott. Il leur est reproché de mener une campagne de démobilisation des producteurs. Gardées quelques heures dans les locaux de la gendarmerie, elles ont été libérées le même jour. Bien avant, des centaines de cotonculteurs des localités environnantes avaient gagné Houndé pour exiger la libération de leurs camarades. Pour ces producteurs, il n’y a aucun doute que les 19 personnes ont été arrêtées sur instruction de la Sofitex et de l’UNPCB. Sur le champ, ils ont décidé de se retrouver le 3 décembre pour une assemblée générale. Les responsables de l’Union provinciale (une section de l’UNPCB) ont convoqué également les producteurs à une rencontre ce même jour.

L’AG des frondeurs tenue dans le village de Bouéré a enregistré 597 participants, selon les organisateurs. L’assemblée a mis en place un comité dénommé " Varatiebeni " pour suivre leurs revendications résumées en trois points : la révision du prix du coton graine, la réglementation du paiement des prix des intrants vu la pluviométrie, rappeler à l’union nationale, provinciale et départementale des producteurs de coton ses rôles capitaux qui sont de défendre, encadrer les producteurs et promouvoir la production du coton.

Des copies de cette plate-forme ont été acheminées au haut commissariat, à la mairie et à l’Union provinciale des producteurs. Ils ont donné 72 heures aux autorités destinataires de leur lettre " pour trouver une solution à ces préoccupations des producteurs du coton de la province ".

Quant à l’Union provinciale, elle n’a pas pu tenir sa rencontre, faute de participants. Les jours suivants, elle a entrepris avec la Sofitex, de faire des tournées de " sensibilisation " dans les villages pour amener les producteurs à vendre leur coton. Le président de l’Union provinciale, par ailleurs vice-président de l’Union nationale, François Tani ne comprend pas : " Je ne comprends pas pourquoi ils manifestent. Ces producteurs qui disent ne pas être d’accord étaient au forum quand cette formule de reverser la ristourne additionnelle en mai a été décidée.

Personne ne s’était opposé à cela. " Pour lui, beaucoup de producteurs se sont laissés embarquer dans le boycott par ignorance : " Avant, on redistribuait la ristourne sur la campagne suivante, mais désormais, cela se fait sur la même campagne. Je pense que c’est plus avantageux ", soutient-il. Pourquoi Sofitex n’achète-t-elle pas le coton en tenant compte de la hausse du prix au niveau international ? François Tani pense que c’est par mesure de prudence, au regard de la fluctuation des cours du marché. Pourquoi alors avoir annoncé aux producteurs qu’il y a augmentation ? " C’est parce que nous n’avons rien à cacher.

Même si nous ne le faisons pas, avec les nouvelles technologies de l’information, ils peuvent savoir le niveau des prix. Mieux vaut qu’ils l’apprennent par nous que par d’autres sources ", souligne-t-il. Le vice-président de l’UNPCB reconnaît néanmoins que la situation est très difficile pour les producteurs. Malgré une subvention de l’Etat à hauteur de 3 milliards, les intrants restent très chers pour la plupart des producteurs. Pour un ha, il faut dépenser au minimum 82 172 f.

Cette somme représente le crédit des intrants pris avec la Sofitex. Sans oublier les autres dépenses pour le labour et la récolte. Toutes les dépenses avoisinent 100 000 f alors qu’avec le prix actuel, la tonne fait 145 000 f (1er choix) et 120 000 f (2è choix). La marge bénéficiaire reste donc très faible, surtout que la corruption s’est installée dans le conditionnement du coton en premier et deuxième choix ou qualité. Les agents conditionneurs et les représentants de l’UNPCB sur les aires de vente rivaliseraient dans cette pratique. Les producteurs sont pris dans cet engrenage.

La représentation de la Sofitex à Houndé n’a pas eu l’autorisation de sa hiérarchie pour s’exprimer sur le sujet jugé " très sensible ". Dans le milieu de la société et de l’Union, certains voient dans le mouvement des cotonculteurs, la main du SYNTAP (Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral). Son premier responsable, Ousmane Tiendrébéogo réfute cette accusation, même s’il estime que les producteurs ont raison de se révolter. Ce syndicat estime que l’UNPCB ne défend pas les producteurs, mais les firmes internationales, actionnaires dans les sociétés cotonnières du Burkina

Par Idrissa Barry

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