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Calixthe Beyala : " Je vais montrer à Drucker que je ne suis pas une conne "

Publié le mercredi 28 novembre 2007 à 10h13min

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Calixte Beyala et Michel Drucker à Ouaga au FESPACO 2005

Née en 1961 dans une famille pauvre à Douala au Cameroun, Calixthe Beyala a été élevée par sa sœur, qui l’a mise à l’école. A 17 ans, elle gagne la France, s’y marie, passe son bac pour ensuite effectuer des études de gestion et de lettres. A 23 ans, elle écrit son premier livre, « C’est le soleil qui m’a brûlé ». Dès la parution de cet ouvrage, c’est le succès qui commence pour cette dame, laquelle a récolté de nombreuses distinctions et affirme ne vivre que de l’écriture.

Elle s’est également illustrée pour de nombreuses causes : le collectif Egalité pour le droit des minorités visibles en France, la lutte contre le Sida, la promotion de la Francophonie, la Maison des peuples d’Afrique. Elle est également membre du comité de parrainage de la coordination française pour la Décennie de la culture de la paix et de la non-violence. Le dernier fait en date pour ce qui concerne cet écrivain talentueux, c’est sa relation amoureuse orageuse avec le célèbre animateur télé Michel Drucker (1), qui a pris du plomb dans l’aile avec même une action en justice. (Ndlr : Objet de la plainte, l’animateur télé aurait refusé d’honorer un contrat de 200 000 euros portant sur l’écriture d’un bouquin qu’il lui a commandé). En tout cas, les « journaux people », que Calixthe Beyala semble abhorrer, s’en sont fait les choux gras. Si on prête foi à ce qui est dit et à ce qu’elle réaffirme, le gendre idéal des Français aurait refusé de se marier à elle pour « préserver son image ». Ce que l’écrivain ne lui pardonne pas. C’est cette grande dame hyperénergique, qui ne mâche pas ses mots que nous avons rencontrée le dimanche 25 novembre 2007 à son hôtel. Pour un entretien au cours duquel nous avons parfois flirté avec la ligne rouge et qui a failli être écourté.

Qu’est-ce qui vous amène au Burkina Faso ?

• Cette fois-ci, c’est la littérature qui m’y amène. Je tenais à y venir parce qu’il est essentiel de promouvoir la lecture en Afrique et d’aider à l’édition du livre africain. Voilà pourquoi je suis là pour soutenir l’initiative de M. Sawadogo (Ndlr : Filippe Sawadogo, le ministre de la Culture, de la Communication, porte-parole du gouvernement)

On se rappelle que vous étiez ici en 2005. Quels sentiments vous animent à chaque fois que vous foulez le sol du Burkina ?

• Depuis 1997, je suis pratiquement présente à tous les FESPACO. Ça fait donc dix ans que je reviens régulièrement dans votre pays. Je m’y sens comme chez moi. C’est une terre très agréable, avec des hommes travailleurs, accueillants et très gentils. Le Burkina me donne une vision positive de l’Afrique.

Comment avez-vous trouvé cette 14 édition de la Foire internationale du livre de Ouagadougou (FILO) ?

• Très bien. J’ai trouvé qu’il y a beaucoup de gens qui s’intéressent aux livres et qui aiment la lecture. Beaucoup posaient des questions. On sentait un intéressement de part et d’autre et nous espérons et souhaitons que cela continue.

Vous avez sans doute de nombreux amis au Burkina. Dans quel milieu les recrute-t-on ?

• Bien sûr que j’ai des amis ici. C’est le cas de Monique Ilboudo, avec qui j’étais tout à l’heure (Ndlr : avant l’interview, cette dernière est venue lui rendre visite à son hôtel). Il y a aussi le ministre Filippe Sawadogo et bien d’autres personnes. Je ne vais pas tenter de les citer tous, de peur qu’il y en est que je vais oublier et qui en seront jaloux. (Sourire). Toujours est-il que je suis ici chez moi, en terre amie, en terre frère.

Vous vivez en France. Pouvez-vous nous parler de votre petite famille ?

• J’ai deux enfants. L’aîné est banquier et la fille est à 1’université dans une école de droit.

Comment avez-vous apprécié le discours de Sarkozy prononcé à l’université de Dakar ?

• Apprécier veut dire que j’ai aimé. Là, pas du tout ! J’aime la France. Etant Franco-Camerounaise, c’est aussi mon pays, dans lequel, il y a des valeurs républicaines, des valeurs humanistes, un système social efficace, des systèmes judiciaire et scolaire que le monde entier nous envie. C’était l’un des pays les plus en vue dans le monde. Mais depuis l’arrivée de Sarkozy, nous sommes en train de perdre toutes ces valeurs. Cet homme-là a mis à terre tout ce que les autres nous enviaient et que nous apprécions. Si fait qu’il est devenu un danger pour la France elle-même. En Afrique, il est venu avec un discours très hautain, très méprisant, très colonialiste et très racialiste. Ce qu’il dit ne peut que heurter tout Africain digne de ce nom. Le discours à l’université Cheik Anta Diop de Dakar est un passage d’anthologie sur le racisme et le mépris de l’autre.

Le test ADN pour les candidats au regroupement familial, tant décrié, a été finalement adopté. Vos impressions ?

• Ce test est exclusivement destiné aux Noirs. Il a pour but essentiel de nous mettre en accusation comme si nous étions des envahisseurs barbares. Comme si nous voulions occuper la France alors que dans ce pays il n’y a que 450 000 Africains. C’est donc un programme racial. Il est adopté, c’est vrai, mais est-ce que son application sera aisée ? J’en doute fort. Parce que le Conseil constitutionnel français, avant de l’adopter, l’a nettoyé de certains aspects qui risquent de compromettre son application. Il est par exemple interdit de constituer un fichier. Alors qu’avec ce fichier, on aurait pu faire beaucoup de mal aux Noirs. Ensuite, il faudrait que la France demande au pays d’origine du concerné s’il accepte le test ADN. Et je pense bien qu’aucun pays africain ne va dire oui. D’autre part, je n’ai pas du tout apprécié le discours du président français sur l’Arche de Zoé. C’est vrai qu’au début, j’étais très dubitative sur ce qui s’est réellement passé, m’interrogeant sur la volonté humaniste de ces hommes et femmes qui viennent en Afrique pour récupérer des enfants. Et quand j’ai entendu Sarkozy dire que « j’irai les chercher quoi qu’ils aient fait » (Ndlr : les membres de l’association arrêtés au Tchad), j’en ai été outrée. Car cet homme-là veut mener une opération de kidnapping et donner du même coup un blanc-seing, une sorte d’impunité à tout Français qui viendrait à kidnapper un enfant en Afrique. C’est d’ailleurs très méprisant, pas seulement vis-à-vis de l’Etat tchadien, mais à l’égard de tous les Etats africains. Pour qui il se prend, ce président ? Certainement pour le patron d’un Etat supérieur qui peut décider d’aller libérer, quoi qu’il fasse, un Français à l’extérieur. Même s’il a kidnappé, violé ou même tué des enfants. Cela relève, selon moi, du mépris de la souveraineté nationale. Il suffit de suivre l’homme dans l’espace temps. Quand on met bout à bout les discours qu’il tient vis-à-vis de l’Homme noir, on perçoit nettement une attitude racialiste. D’ailleurs au niveau de la France, c’est un homme qui segmente tout. Entre les Noirs, les Arabes, les Blancs, les Juifs, les catholiques. Il monte les communautés les unes contre les autres. Et en permanence ! Et je ne pense pas qu’il puisse s’en sortir avec cette attitude, car la République française mérite mieux que cette espèce d’homme très agité...

A vous entendre, on imagine que vous n’avez pas voté pour lui pendant la dernière présidentielle...

• Jamais. Je n’ai pas voté pour lui. J’avais déjà commencé à voir son vrai visage juste avant les élections. J’aime les valeurs républicaines d’humanisme et de respect et j’avais compris qu’il constituait un danger pour la république. J’aime les lumières et cet homme n’incarne pas les valeurs que j’ai tantôt citées. D’ailleurs j’ai fait un texte qui a paru dans le journal « Marianne », où je disais qu’il est le Français le moins intégré. Il n’a pas intégré lui-même les valeurs de la République française. Il ne les connaît pas, puisqu’il n’y a pas un décret écrit sur ces valeurs à lire.

Vous êtes bien sévère avec lui. Que dites-vous donc des Français qui lui ont accordé leur confiance ?

• Ooh !!! Il y en a beaucoup qui ne savaient pas qui il était. Aujourd’hui, plus d’un Français s’en mord les doigts. La vérité est là : le pays est bloqué depuis 15 jours (Ndlr : allusion à la grève dans les transports à cause de la réforme des régimes spéciaux) à cause de lui. Rien ne marche, puisqu’il s’évertue à monter la société civile contre les fonctionnaires, qui travaillent d’ailleurs beaucoup et qui ne gagnent pas des fortunes. Il fait croire que ce sont des paresseux qui ne foutent pas une ramée et qui sont tout le temps en train de faire des grèves. Il faut tout de même un minimum de respect pour tout le monde, particulièrement pour les faibles ! Par exemple, quand il adopte des mesures dans le style « les franchises judiciaires » ou la suppression des tribunaux prud’homaux, c’est à l’encontre des pauvres ! Il n’y a qu’un ouvrier qui porterait plainte contre son patron devant un tribunal prud’homal. Il a un tel mépris de toute personne qui n’est pas de sa classe sociale. Tout simplement parce qu’il a tout fait pour appartenir au clan des riches et des puissants. Evidemment tous ceux qui n’appartiennent pas à cette dynamique-là, il les méprise ! Ce qui signifie qu’il méprise plus de 90% des Français !

N’est-ce pas là un tableau très sombre du président français que vous êtes en train de peindre ?

• C’est un tableau réaliste. Il se croit tout permis, jusqu’au ridicule. Imaginez qu’il est allé chez des pêcheurs (Ndlr : à Guilvinec dans le Finistère) qui étaient en grève. Il y a eu un qui a lancé un petit poing en l’air. Sarkozy s’est enflammé en disant : « Qui vient de dire ça ? Descend ici qu’on s’explique d’homme à homme » : Et le pêcheur de lui répondre : « Si je descend, je te fous une boule ». Je pense que le costume de président est encore très large pour M. Sarkozy. Il n’arrive pas à entrer dedans. Ça ne lui suffit pas. En France, les communautés ont toujours vécu en paix, les unes à côté des autres. Cet homme est arrivé avec son esprit soi-disant américain avec ses Rolex et ses talonnettes pour casser la société que nous aimons. Je ne parle pas parce que je suis noire, mais parce que je suis Française ; et j’estime que je dois me battre pour que les valeurs républicaines incarnées par le gaullisme, que j’aime, ne puissent pas être totalement brisées.

Vous avez intenté un procès contre votre ancien ami Michel Drucker. Où en êtes-vous ?

• Beeh...Nous serons au tribunal le 6 février prochain. Le dossier suit sa route. J’ai fait un travail qu’il ne m’a pas payé. Il m’a surtout tenu un langage odieux. Pour ne pas me payer, il m’a dit ceci et c’est pour cela que je suis fâchée : « Depuis la nuit des temps, les hommes ont toujours fait des promesses aux femmes, qu’ils n’ont jamais tenues. Donc, je fais comme les autres hommes, Calixthe ».

Est-ce que ce n’est pas à titre privé qu’il a tenu ces propos. Cela l’engage-t-il du point de vue juridique ?

• (L’air outrée) Je suis désolée dans ce cas ! Votre raisonnement est absurde ! Donc quand un homme tue une femme dans sa chambre, c’est tellement privé que l’on ne doit pas juger l’homme qui l’a tuée ? C’est ce que vous voulez me dire ! Il faut arrêter ça ! Il a tenu un discours misogyne... Profondément misogyne. Il veut dire par là que depuis la nuit des temps, les hommes sont des salopards et les femmes des connes. Comme je ne suis pas mise dans la catégorie des femmes connes, de manière automatique, j’ai décidé de ...

Comment allez-vous prouver ces dires au tribunal ?

• Je ne porte pas plainte par rapport à ce que Michel Drucker a proféré. Je porte plainte par rapport à un travail qui a été fait et qui n’a pas été payé. Donc quand je lui ai demandé gentiment de me payer, il m’a sorti cette phrase-là en arguant qu’il ne va jamais me payer. Parce que les hommes ont toujours fait comme ça aux femmes. Mais moi on ne me le fait pas ! Je suis désolée ! Il n’y a pas de privé qui tienne dans ce cas-là ! Je dis non ! (Visiblement emportée). Il est temps que les femmes réagissent. Parce qu’il y a beaucoup de femmes qui connaissent ce genre de situation et qui se taisent ! Moi, je dis non ! J’ai toujours été une militante féministe. J’ai toujours incité les autres femmes à mériter le respect, à être traitées d’égal à égal avec les hommes. Je le fais depuis des années. Et ce n’est pas Michel Drucker, un petit animateur de télévision, face à moi écrivain, qui va me dire que la femme est une conne et lui un salopard. Eh bien, je le traîne au tribunal. Voilà !

Mais en bonne Africaine, ne pouviez-vous pas trouver un compromis ?

• Justement il a refusé le compromis en me tenant ce langage ! Mon éditeur est intervenu. Il a dit qu’il va payer, il ne l’a pas fait. Ça fait un an que l’histoire traîne. S’il avait voulu payer, il l’aurait déjà fait ! Il estime que je suis Noire et que j’ai moins de pouvoir que lui.

Pour certains, tout n’est qu’une histoire d’amour qui a dégénéré. Pensiez-vous que vos relations pouvaient aboutir, puisque vous le saviez marié ?

• Euh...Je pouvais penser qu’on irait plus loin, puisqu’on vivait ensemble, même s’il était officiellement marié par ailleurs avec quelqu’une d’autre. Je veux dire que l’on ne vivait pas une relation adultérine...

Mais il avait une légitime. Il était toujours dans les liens du mariage !

Eh alors ! On ne divorce pas ? Si vous avez une légitime que vous ne fréquentez plus, que vous ne voyez plus, ça change quoi ?

Mais, mettez-vous à la place de cette pauvre femme !

• (Haussant de plus en plus le ton). Pourquoi vous dites « pauvre femme » ? Pourquoi vous utilisez ce mot « pauvre » ? C’est extraordinaire chez vous les hommes. Pourquoi pauvre ? Qu’est-ce qui vous fait dire qu’elle l’aimait encore ?

Mais elle ne veut tout de même pas que son mari la quitte !

• Mais elle l’avait déjà quitté avant que nous nous rencontrions !

Ils avaient divorcé ?

• Non, mais ils ne vivaient plus ensemble depuis des années ! Tout le monde sait ça dans Paris, que c’est un faux couple depuis des années ! Ça n’a rien d’exceptionnel ! Ce sont des choses qui arrivent. Les gens portent le même nom, mais ne vivent plus sous le même toit et ne partagent plus rien ensemble. Qu’est-ce que ç’a à voir ? C’est miraculeux ça ? Vous n’avez jamais vu ça ? Vous ne connaissez pas ça en Afrique ?

Mais aux dernières nouvelles, ils ont repris...

• Ils ont repris quoi ?

Leurs relations...

• Quelles relations ? Vous êtes sûr de ça, vous ? Alors donnez-moi l’information.

On dit qu’elle a récupéré son mari...

• Récupéré quoi ? Michel ?

Les journaux en ont parlé

• Oui. Pour faire semblant oui, comme s’ils sont en couple. Oui. Ils ont toujours fait ça depuis 25 ans. Une fois par an, ils vont se faire faire des photos dans les journaux pour dire qu’ils sont ensemble. Ils n’ont jamais été un couple, mais ils ont des intérêts communs ! Tout le monde sait que c’est du faux. Vous croyez à ces journaux « people », vous ? C’est dommage !

Donc l’idylle Calixthe Beyala et Michel Drucker, c’est définitivement terminé ?

• Ah ben oui. Je suis au tribunal et je tiens à ce qu’il me paie !

Avec l’humoriste Dieudonné (2), votre parent, le courant ne passe pas aussi.

• Non, non, non. Je préfère ne pas parler de Dieudonné. Il ne s’est rien passé. Je préfère ne pas en parler. Ça ne va pas pourquoi ? Ça va très bien avec Dieudonné. Il n’y a pas de souci à se faire.

Il y a eu des incompréhensions entre vous tout de même.

• Oui... Il y en a eu sur certaines choses et le temps est en train de prouver que c’est moi qui avais raison.

On vous accuse aussi de plagier certains auteurs (3). Qu’en dites-vous ?

• (Visiblement remontée) Qui m’en a accusée ?

Ceux qui ont lu vos œuvres

• Quand vous posez la question sous cette forme, c’est comme si à chaque fois, moi, Calixthe Beyala, je prends une œuvre et je la recopie. Comme vous en savez plus que moi, selon vos sources d’informations, à quel rythme je plagie ?

C’est ce qui se dit...

• Il n’y a qu’une seule fois que l’on m’a accusée de plagier un auteur. Une seule fois et cela tenait en une ou deux lignes. Si vous êtes bien informé, vous feriez donc mieux de reformuler votre question. A ce propos, je vous dirais que les grands écrivains ont été toujours accusés de plagiat. Et c’est souvent l’œuvre de jaloux...Vous passez d’un truc à l’autre comme ça. Là je suis maintenant perturbée. On peut arrêter l’entretien pour un instant ? On va reprendre après. (S’adressant à un serveur : « Servez-moi du thé s’il vous plaît »)... Ça alors ! Vous êtes venu pour parler de littérature avec moi ou d’autre chose ? Si vous, en tant que journaliste, vous croyez à ces informations parues dans les journaux people, on risque de ne pas avoir beaucoup de choses à nous dire...

Nous fermons donc cette parenthèse. Comment êtes-vous accueillie quand vous arrivez au Cameroun, notamment dans le Sud du pays, dont vous êtes originaire ?

• Partout où j’arrive au Cameroun, je suis accueillie triomphalement.

Comment on vous appelle dans la grande famille ? Avez-vous un petit nom ?

• Euh... Là je ne vous le dirai pas (rires)

Autant vous avez du succès, autant vous êtes souvent incomprise. Peut-on dire qu’aujourd’hui, Calixthe Beyala est une femme comblée ?

• Je suis incomprise parce que nul n’est prophète chez lui, encore moins de son vivant. Peut-être parce que je suis un peu en avance sur mon temps. Mais c’est ça aussi être intellectuel. Un intellectuel n’est pas là pour porter les sentiments de l’instant et de la masse. On est là pour porter le sentiment qui n’existe pas encore, éduquer, illuminer, éclairer et se projeter vers l’avenir, prévoir qu’on va arriver à tel endroit si on prend ce chemin-là. Evidemment, comme la plupart des humains sont happés par le quotidien, ils n’en sont pas là. Ils n’en ont pas le recul nécessaire. Peut-être que nous autres avons cette possibilité de projection que le politique n’a pas. Aucun intellectuel n’a été compris de son temps. A moins qu’il n’ait été un mauvais intellectuel ! Vous êtes d’accord là-dessus, oui ou non ?

...

Et c’est normal. Cela dit, pour répondre à votre question, je dirai que sur le plan intellectuel, moral et social, je suis une femme comblée.

On a comme l’impression qu’il y a toujours une petite révolte qui gronde en vous. Est-ce un traumatisme d’enfance ou de jeunesse ou autre chose ?

• Quand on me pose des questions idiotes, ça me révolte bien sûr !

Mais qu’est-ce qui explique ce tempérament de feu que vous avez ?

• Non ! Je n’ai pas un tempérament de feu. Je suis une femme très douce, mais qui refuse qu’on la piétine. Si on me piétine, ça c’est sûr, celui qui l’a fait en récoltera les conséquences. D’ailleurs, vous remarquerez que je n’ai jamais agressé personne de ma vie. En général, ce sont les gens qui m’agressent. Et je réponds du tic au tac. Et ma réaction est souvent pire que l’agression.

Michel Drucker pourrait en témoigner...

• Oui. Allez le lui demander. Le jour où il m’a dit qu’il ne va pas m’épouser parce que je suis Noire, je lui ai dit qu’il a insulté mon identité de femme noire, de femme africaine et que je ne le lui pardonnerai jamais. JAMAIS ! On a le droit de nous séparer et que chacun aille de son côté. On a le droit de désaimer ; mais on n’a pas le droit d’insulter l’autre dans son identité. J’irai au bout de ce procès parce qu’il m’a insultée dans mon identité de femme, de femme noire et de femme africaine. Je ne lui pardonnerai jamais cela. Ce sont toutes les femmes noires du monde qu’il a insultées et ça, je ne le lui pardonnerai jamais ! Et toute femme africaine digne ne le lui pardonnera jamais. C’est comme si être noire, quelque part, c’est porter des excréments, qui feraient que nous sommes des êtres inférieurs. Il faut apprendre à disséquer les discours des gens. Vous allez dire que c’est privé, mais ce n’est pas privé !

S’il ne vous avait pas tenu ces propos, vous auriez laissé tombé le procès ?

Ça, c’est clair. Si c’était pour l’argent, j’aurais laissé tomber. 200 000 euros, ce n’est pas grand-chose selon moi. Mais avec les propos qu’il m’a tenus, les choses prennent une autre dimension. Ma lecture est celle-ci : ce n’est qu’une Noire ; donc une esclave ; elle peut donc travailler gratuitement pour moi. Je dis non. Je ne suis pas une esclave. Je dis non, je suis une femme noire respectable. Il doit me respecter et respecter toutes les femmes noires du monde.

Si vous devriez dérouler le cours de votre vie, y a-t-il des actes que vous regrettez d’avoir posé ou de n’avoir pas posé ?

• Je regrette de ne m’être pas impliquée réellement dans la politique. Parce qu’il ne suffit pas d’exalter les pensées par les mots. Il faut aussi agir sur le terrain. A partir de maintenant, j’agirai beaucoup plus sur le terrain. Je ne me contenterai plus de mots.

Entretien réalisé par Issa K. Barry

Notes (1) Né en 1942, Michel Drucker est un animateur de télévision français. Il est une figure emblématique du paysage audiovisuel français. Depuis 1998, il coproduit et anime « Vivement dimanche ! » et « Vivement dimanche prochain » chaque dimanche après-midi sur France2. Présentateur confirmé, il anime des émissions prestigieuses telles que la Nuit des Molières, les Césars, les Victoires de la musique, les soirées de réveillons... Michel Drucker est également l’auteur de sept livres et de trois romans. Depuis septembre 2006, il anime Tenue de soirée. Calixthe Beyala raconte sa relation avec lui de manière romancée dans « L’homme qui m’offrait le ciel ». Le roman le décrit sous les traits de l’animateur Ackermann.

(2) Comédien français d’origine camerounaise, Dieudonné a été plusieurs fois accusé de tenir des propos antisémites. Calixthe Beyala aurait par plusieurs fois fustigé l’attitude de son compatriote.

(3) Elle est reconnue coupable de ce délit en 1996 pour avoir copié dans son œuvre (Le Petit Prince de Belleville), des passages d’un roman de Howard Buten. Paule Constant, dont des passages de White Spirit sont repris dans auraient été 6e roman, intitulé « Assèze l’Africaine », aurait refusé de la poursuivre pour « éviter de lui faire de la publicité ».

L’Observateur

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