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Abdoulaye Thiémogo ("Canard Déchaîné") : "Moussa Kaka a toujours pactisé avec les rebelles"

Publié le jeudi 25 octobre 2007 à 07h05min

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Moussa Kaka

A la faveur d’un atelier sous-régional sur "Médias et santé de la reproduction" tenu à Abidjan en Côte d’Ivoire, du 16 au 19 octobre 2007, nous avons fait la connaissance d’Abdoulaye Thiémogo. Rédacteur en chef adjoint à la Télévision nationale du Niger, l’homme est aussi propriétaire d’un journal satirique "Le Canard déchaîné".

Nous avons saisi l’occasion pour parler avec lui de la situation politique dans son pays et du journaliste Moussa Kaka, emprisonné depuis plus d’un mois par le gouvernement nigérien pour collusion avec la rebellion touarègue. Une thèse d’ailleurs que soutient son confrère nigérien pour qui l’embastillé de Tandja, rejoint depuis par Ibrahim Manzo Diallo (d’Aïr Info), l’a été pour des faits qui n’ont rien à voir avec son métier.

Comment êtes-vous arrivé au journalisme ?

• Je dois d’abord dire que le journalisme est un métier que j’aime beaucoup. Depuis le collège, j’avais souhaité fréquenter une école de journalisme, après l’obtention de mon Brevet d’études du premier cycle (BEPC), mais cela n’a pas été le cas. Je suis donc allé au lycée. Après mon bac, le désir de faire des études de journalisme m’animait toujours, mais là encore je n’ai pas eu l’occasion et je suis allé finalement à l’université. J’avais obtenu une bourse pour le Canada, à condition que j’aille faire un bain linguistique au Nigeria, parce qu’il s’agissait d’une université bilingue. A mon retour du Nigeria, je n’avais plus de bourse, parce qu’elle avait été attribuée à un étudiant plus aisé que moi. Vous savez comment on gérait les bourses d’études à cette époque en Afrique. On m’a demandé alors de retourner au Nigeria ou à l’université de Niamey ; ce que j’ai refusé parce que j’estimais que j’ai passé mon temps dans ces deux universités, et j’ai préféré aller faire mon journalisme. C’est ainsi qu’on m’a réorienté vers l’Institut de formation et technique de la communication. Voilà comment je suis venu dans ce métier qui, je l’avoue, me passionne énormément.

"Téméraire" est le sobriquet sous lequel vous avez souhaité qu’on vous appelle au cours du séminaire de l’IPPF, en Côte d’Ivoire, sur les médias et santé de la reproduction, (NDLR : du 16 au 19 octobre 2007 chaque participant avait un petit nom). Un qualificatif révélateur de votre caractère ?

• Absolument. J’exerce ce métier depuis plus de 10 ans. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai commencé à la télévision nationale en tant que stagiaire. Et n’y ayant pas obtenu un emploi, j’ai préféré aller faire une expérience dans le privé. C’est ainsi que j’ai travaillé dans un hebdomadaire "Le Démocrate" qui faisait partie à l’époque, des grands journaux de la place. Après cela, il y a eu l’avènement des radios privées et j’ai donc pu faire de la radio également en même temps que je faisais de la presse écrite. J’ai ensuite, après quelques années d’expériences, lancé en 1997 mon premier journal, un bimensuel qui s’appelait "La plume".

Je gérais ce canard quand il y a eu un manque cruel de personnel au niveau de la télévision nationale et l’on m’a rappelé. Je n’ai pas hésité un seul instant, compte tenu des difficultés que nous rencontrions dans la presse privée. Il fallait beaucoup de moyens, or je n’en avais pas. J’ai accepté de reprendre à la télévision en tant que collaborateur avec la promesse d’une embauche plus tard. J’y étais donc quand il y a eu le coup d’Etat qui a mis fin au pouvoir du président Ibrahim Baré Maïnassara en 1999. A l’époque, les gens avaient estimé à tort, à la télévision nationale, que je faisais partie des journalistes qui soutenaient la politique de Baré, ce qui était faux. Dans un média d’Etat, vous n’avez pas le choix. Ou vous travaillez pour l’Etat qui est votre employeur, ou vous ne le faites. Mais j’avais compris qu’il s’agissait de personnes qui étaient plus ou moins jalouses du travail que je faisais, qui m’ont fait partir de force. Avec un ami, on a donc tenté une nouvelle expérience en lançant un journal satirique "Le Canard libéré". Cet ami gérait le Canard libéré mais n’était pas journaliste professionnel. Aussi, comme il dérangeait à l’époque les militaires, le journal a été suspendu pour la simple raison qu’il n’avait pas la carte de presse. Ayant moi ma carte de presse, j’ai accepté de prendre la tête de ce journal pour continuer le combat. Nous nous préoccupions à l’époque des circonstances de la mort de Baré.

Nous nous sommes dit qu’on ne peut pas tuer un président en exercice comme un chien. C’est intolérable ! Nous avons pris notre courage à deux mains, et c’était le seul journal à l’époque qui critiquait sévèrement les militaires par rapport à la mort de Maïnassara. Il y a eu de l’intimidation, des menaces de mort, j’ai résisté. Puis, les procès ont commencé. J’ai eu mon premier procès en 2000. La manière dont ça a été fait, c’est cela qui m’a sauvé. Les autorités m’ont pris et m’ont jeté en prison sans respecter la procédure. Après, il y a eu donc un jugement en bonne et due forme au cours duquel, la justice m’a donné raison. Je suis sorti de prison et ça m’a donné encore l’envie de poursuivre le combat. Suite à ces déboires, j’ai décidé de créer mon propre journal pour être libre de tout. C’est ainsi que j’ai lancé le "Canard déchaîné" en 2001 qui existe jusqu’aujourd’hui. Ce journal, pour vous dire toute la vérité, m’a valu trois fois la prison. La première fois, j’ai été condamné à 6 mois. J’ai fait la moitié et la Cour d’appel m’a libéré. Une deuxième fois, j’ai fait quelques semaines et finalement la justice m’a donné raison. La troisième fois, c’était en 2003, je suis allé pour 8 mois ferme. Pas un jour de moins, pas un jour de plus. A l’époque, je me rappelle, Robert Ménard de Reporters sans frontières est venu me rendre visite et s’est proposé, si je le voulais, d’aller voir les autorités pour négocier ma sortie. J’ai dit qu’il n’en était pas question parce que je voulais sortir la tête haute ; je n’étais pas prêt à laisser tomber le combat que je mène. Je suis sorti de prison après ma peine légale. J’ai repris mon travail. Depuis lors, je n’ai pas peur de retourner en prison, je n’ai jamais eu peur d’y aller. J’ai repris mon travail à la télévision mais à la condition que je continue de gérer mon canard. Dieu merci, jusqu’ici, je fais les deux, fondateur du "Canard déchaîné" et rédacteur en chef adjoint à la télévision nationale.

Le gouvernement nigérien fait face encore aujourd’hui à une rebellion. Qu’est-ce qui se passe au juste, quand on sait que le président Tandja traite les rebelles de bandits ?

• Ce n’est pas pour épouser la position du gouvernement mais je suis d’accord que ce n’est pas vraiment une rebellion. Il s’agit, par rapport aux faits sur le terrain, d’un groupe de bandits. En tant que journaliste, quand cette affaire du Nord a éclaté, nous nous sommes interrogé sur ce qui se passait. Après vérification des faits, après des témoignages éloquents, nous nous sommes rendu compte que sur le terrain, c’est un groupe de bandits armés financés par l’extérieur, la Libye pour être plus précis, puisque ce sont d’anciens combattants qui étaient là pendant les accords de 95 qui ont été signés d’ailleurs chez vous au Burkina. (Les accords de paix de Ouagadougou : NDLR). Ils ont accepté de faire la paix, ils avaient déposé les armes, beaucoup avaient été intégrés dans l’armée et dans l’administration. Aujourd’hui, ils disent que les accords de paix n’ont pas été totalement respectés, mais ce n’est pas la faute du gouvernement, c’est celle de leurs représentants. Parce que ceux qui les ont utilisés avant 95 pour faire la rebellion, c’est eux qui ont profité à leur place. Pourquoi ne pas s’en prendre à leurs propres frères ?

Ce n’est pas une rebellion, ce sont des bandits armés qui veulent se faire un nom, qui veulent profiter comme les autres. Prenons le cas de Rhissa Ag Boula, c’est un homme riche aujourd’hui. Où a-t-il eu l’argent ? C’est dans la rebellion ! Sa situation donne des idées à d’autres de reprendre les armes, pensant ainsi pouvoir s’enrichir. C’est pour cela que je dis que ce sont des bandits armés comme l’affirme le gouvernement, et tel que nous autres journalistes l’avons constaté sur le terrain. Vous savez que le Nord du Niger regorge de ressources naturelles, notamment de pétrole et d’uranium. Ce sont toutes ces choses qui amènent nos voisins à ne pas vouloir que nous exploitons nos richesses. Je suis journaliste, je n’accepterai pas que mon pays soit confiné dans une situation de pauvreté. C’est de cela qu’il s’agit. C’est une question d’exploitation de nos ressources. Les gens ne disent pas la vérité, on veut faire croire que ce sont des mécontents. Est-ce qu’il y a une communauté au Niger qui a été plus choyée que la communauté touarègue, ça n’existe pas. Comme ce sont des gens qui sont toujours en transhumance, ils préfèrent prendre l’argent et aller se promener. Ils pourraient rester dans le pays, travailler et jouir du fruit de leur travail, comme tout le monde. Eux ne le font pas. Il faut dire la vérité, "trop c’est trop". Tous les Nigériens doivent avoir ce langage par rapport à ce qui se passe.

Notre confrère de RFI et de radio Saraouiniya Moussa Kaka est accusé de porter atteinte à la sûreté de l’Etat nigérien. Quel est votre commentaire ?

• C’est dommage. Malheureusement c’est aussi la vérité. Moussa Kaka, vous l’avez dit, est un confrère. Mais il y a une limite dans le métier que nous exerçons. Aujourd’hui, si Moussa Kaka est en prison ce n’est pas dans le cadre de son métier de journaliste. Si c’était pour cela, nous allions tous compatir et essayer de déployer des efforts pour qu’il soit libre. Mais aujourd’hui aucun journaliste ne parle de la situation de Moussa Kaka, parce que tout simplement nous sommes convaincus que Moussa Kaka veut beaucoup d’argent, trop d’argent, et il est impliqué dans une affaire qui n’a rien à voir avec le métier. Comment comprendre, à l’heure où il y a une situation dans le Nord du Niger, qui touche à l’intégrité du pays et qui mobilise l’armée, qu’un journaliste arrive à vendre des informations à l’ennemi. Si c’était ailleurs on n’allait même plus parler de lui. Je dis qu’il a outrepassé ses activités. Est-ce que le métier de journaliste nous donne le droit de vendre l’information à un ennemi quand son pays est attaqué ? C’est de cela qu’il s’agit. Il faut dire la vérité. Et les preuves sont là, puisque le procureur général au niveau de la Cour d’appel a fait un exposé au cours duquel il est dit qu’il y a eu des appels téléphoniques qui ont été écoutés avec des faits précis, à des heures précises. Devant une telle situation, comment voulez vous qu’on défende un journaliste.

Vous insinuez donc que Moussa Kaka pactise avec les rebelles ou les "bandits" comme vous dites ?

• Je n’insinue pas, c’est la vérité et ça, c’est connu de tous les journalistes que nous sommes. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Ses activités sont connues. Je ne suis pas surpris de l’arrestation de Moussa Kaka, parce que je savais que ça allait arriver un jour ou l’autre. Il n’a jamais caché sa connivence avec les mouvements rebelles et aujourd’hui avec les bandits armés. Il l’a fait avant 95, tout le monde le savait. Tout le monde connaît ses entrées et sorties. Ça peut se vérifier sur le terrain, je n’invente rien. C’est pour vous dire que Moussa Kaka ne s’en tient pas à son métier de journaliste.

Quelle est la situation globale de la presse privée nigérienne.

• Aujourd’hui, je pense qu’il y a deux situations qu’il faut décrire, compte tenu des expériences vécues. Il y a d’abord la situation du métier. Aucun journaliste nigérien, s’il est honnête, ne peut dire qu’il est entravé dans l’exercice de sa profession. Nous écrivons ce que nous estimons être bon pour la démocratie nigérienne, pour notre pays, pour la population dans le cadre de l’information et de l’éducation. Il y a une liberté de ton au Niger et personne ne peut dire le contraire. Il y a une autre situation, c’est celle de tous les journaux privés que ce soit au Niger ou au Burkina : la situation financière. Dans la presse privée il faut beaucoup de moyens. Même au niveau de la presse étatique, les moyens ne suffisent pas, à plus forte raison la presse privée ou vous êtes votre propre promoteur. Nous sommes en train de réfléchir avec le Conseil supérieur de la communication sur comment aider la presse privée à évoluer positivement.

Vous êtes d’un pays voisin au Burkina, et en tant que journaliste vous suivez l’actualité qui s’y déroule, comment avez-vous vécu la commémoration du 15-Octobre ?

• J’ai eu la chance de faire escale à Ouagadougou le 15 octobre, lors du 20e anniversaire de l’arrivée au pouvoir du président Blaise Compaoré et malheureusement aussi celui de l’assassinat du président Thomas Sankara que j’aime beaucoup. Je pense que Sankara a laissé des traces qui ne vont jamais disparaître dans l’esprit des jeunes en Afrique. C’est dommage que Sankara soit parti très tôt. Pour répondre à votre question, je me dis que peut-être Blaise a tenté de faire oublier l’assassinat de Sankara, qui est commémoré chaque année en octobre. Mais la vérité est là on ne peut pas la cacher. On ne peut pas faire oublier, pas même aux Burknabè, à nous autres Africains que Sankara a été tué un 15-Octobre.

Propos recueillis par Agnan Kayorgo

L’Observateur Paalga

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