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Fabrice Simporé (Petits chanteurs au poing levé) : « Sankara était pour nous un père »

Publié le lundi 22 octobre 2007 à 07h17min

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Fabrice Simporé

Parler de la période révolutionnaire au Burkina Faso revient aussi à parler de ce mythique groupe musical dénommé "Les petits chanteurs au poing levé". Constituée essentiellement de jeunes de moins de 15 ans, cette formation qui faisait la fierté du Burkina tout entier avait acquis, en quelques années d’existence, une notoriété internationale.

Mais puisque que son destin était lié à la révolution, elle n’a donc pu survivre à la mort de son géniteur qui n’était autre que Thomas Sankara, lui aussi un mordu de la musique. Fabrice Simporé l’un des membres du groupe, et Abdoulaye Traoré, qui en était le chef et avait hérite de ce fait du pseudonyme "Mon homologue" de la part de Thom Sank, s’en souviennent s’en souvient encore.

D’abord, dis-nous comment tu as pu intégrer le groupe " Les petits chanteurs au poing levé".

• C’est suite à un test que j’ai été retenu. Au départ j’avais très peur puisque je n’avais que onze ans. Après le test, j’étais admis ; et voilà comment j’ai rejoint le groupe. J’avais quelques notions de guitare que j’ai pu mettre en exergue, et cela m’a ouvert les portes de cette jeune formation musicale.

Comment se passait la vie dans ce groupe, surtout que vous aviez le soutien des hommes politiques de l’époque ?

• Dès que le groupe a été mis en place, on nous a signifié que nous étions là pour apprendre un métier. Ce qui revenait à dire qu’on devait mettre tout le sérieux qu’il fallait pour réussir. Ensuite, on nous a inculqué l’esprit de famille tant et si bien que, dans le groupe, on se considérait comme des frères et sœurs. Il y’avait perpétuellement la joie et l’ambiance et on s’entendait parfaitement. Vraiment on vivait comme en famille.

Vingt ans après, quels souvenirs gardes-tu du groupe ?

• Aujourd’hui, nous sommes tous devenus grands et certains sont des pères de famille. Le souvenir que je garde encore du groupe, c’est cet esprit famille si cher à Thomas Sankara et le travail bien fait. Il ne cessait de nous encourager et de nous prodiguer des conseils. Par la suite, nous nous sommes habitués à son rythme de travail et on faisait tout pour lui faire plaisir.

Est-ce à dire aujourd’hui que tu as la nostalgie du groupe ?

• Bien sûr ! Je vous le dis et je vous le répète, on ne peut jamais oublier cette période de notre vie, de notre histoire. C’est une période qui nous a permis d’apprendre un métier, mais aussi de mieux comprendre le monde. J’ai toujours la chair de poule quand je pense à ce groupe. Et je revois encore ces bons moments que nous passions avec Sankara.

Qui était alors Sankara pour vous ?

• (Long soupire). C’était notre père ! Vraiment notre père !

Quels étaient vos rapports avec lui ?

• Après nos géniteurs qui nous ont mis au monde, Sankara était le plus proche de nous. On a passé trois ans avec lui sans jamais souffrir de l’absence de nos parents. Et c’est lui qui veillait à notre éducation. Il nous a appris beaucoup de choses et nous garderons toujours de très bons souvenirs de lui ; je vous le répète, il était notre père.

Quelles sont les qualités que tu retiens de lui ?

• Sa force de convaincre et sa capacité à donner espoir.

Depuis quand "Les petits chanteurs au poing levé" ont cessé d’exister ? • Depuis la mort de Sankara bien sûr ! Nous avons appris la triste nouvelle comme tout le monde et la déception était à son comble à notre niveau. Mais, après, on a essayé de surmonter cette épreuve douloureuse et de nous remettre au travail. Franchement, on avait envie de continuer mais les gens n’étaient plus motivés. C’était la déception et finalement le groupe s’est disloqué.

As-tu encore des rapports avec certains membres du groupe ?

• Nous gardons toujours de très bons rapports ; et comme je l’ai dit plus haut, c’est toujours cet esprit de famille qui prévaut. Certains sont en Europe et d’autres à Ouaga. Moi j’ai un studio et c’est là qu’on se retrouve assez souvent pour travailler. Nous sommes en train de reprendre ce qu’on a eu à faire de par le passé. Bientôt nous serons sur le marché discographique.

Serait-ce alors le début d’une nouvelle aventure pour vous ?

• J’ai pris goût à la musique avec "Les petits chanteurs au poing levé". L’apprentissage a été très difficile et personnellement, j’ai pleuré pour apprendre la guitare avec Sankara qui était toujours à coté. Mais les choses sont allées vite pour nous et tout se passait bien. J’ai acquis tellement de notions en musique que je ne peux plus m’en passer. Je vous le dis que pour la célébration des fêtes d’indépendance des pays voisins ou même du continent, nous étions toujours invités pour nous produire. Et, à chaque fois, on faisait des séances de répétition commando sur les musiques des pays concernés avant notre départ de Ouaga. Partout où nous sommes passés, nous avons fait honneur à notre pays. Depuis, j’ai pris goût à la musique et je ne peux plus m’en passer.

Jonas Appolinaire Kaboré


Abdoulaye Traoré

Abdoulaye Traoré : En quoi consistait votre travail ?

• Nous constituions un groupe musical et on participait, à travers nos prestations, à promouvoir les valeurs culturelles de notre pays. A chaque sortie du chef de l’Etat tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, nous étions à ses côtés. Ainsi, on a fait tous les chefs-lieux de provinces. Pour ce qui est de l’extérieur, nous sommes allés en Lybie, à Cuba, au Niger, au Togo, au Ghana, au Bénin, en Corée sauf en Côte d’Ivoire.

La Côte d’Ivoire est pourtant si proche de nous ; pourquoi n’y êtes-vous pas allés ?

• Je ne saurais vous le dire. Nous ne faisions qu’accompagner le P.F (Président du Faso) dans ses visites.

Comment vos prestations étaient jugées ?

• En tout cas, on recevait des félicitations de toutes parts. Parce qu’un orchestre d’enfants était quand même spécial.

En tant que chef d’orchestre, quels étaient tes rapports avec le chef de l’Etat ?

• Avec lui, on ne sentait pas qu’il était un chef d’Etat. C’était un père, un tonton ; on faisait le sport de masse, on se divertissait à la présidence. Il s’amusait à m’appeler "chef" en référence à mon statut de chef d’orchestre. J’étais donc son homologue, comme dirait l’autre.

Dis-nous ce qui t’a le plus touché lors des sorties avec votre "tonton" ?

•Lors de notre voyage à Cuba, nous avons embarqué dans un bateau pour l’Île de la Jeunesse en vue de visiter Fidèle Castro. Dans le bateau, il a pris une guitare et il a improvisé quelque chose avec nous ; ça m’a beaucoup marqué. Chaque jeudi, à 16 heures, il venait à nos répétitions après son sport.

Toi qui étais près du président, vous deviez être bien rétribués mensuellement...

• Pas du tout ! C’était surtout la scolarité et nos tenues qui étaient prises en charge. Peut-être que nos parents recevaient quelque chose, mais nous, nous ne nous posions pas de questions là-dessus.

Parle-nous un peu des derniers moments de ta structure...

• Après le 15 octobre 1987, on a été contacté par le capitaine Bayé, à l’époque chef de corps du GNR qui nous a invités à surmonter le douloureux événement et continuer à servir notre pays. On a essayé de poursuivre mais, faute de motivation, nous avons arrêté les répétitions.

Est-ce que tu as senti venir le 15 octobre 87 qui a emporté le président du Faso ?

• On était très jeune ; on ignorait tout de ce qui se jouait entre les tenants du pouvoir. Personne n’aurait cru à cette situation vu que Blaise et Sankara étaient des amis intimes ; Jean Abdoulaye de mon orchestre était surnommé "Sankara" et son camarade Tiémoko Koné "Blaise"..

Qu’est-ce que les deux sont devenus ?

• Tiémoko est actuellement en France et Abdoulaye est aujourd’hui un batteur de talent.

Comment tu as appris la mort du leader de la révolution ?

• Officiellement, on n’a pas été informé. Ce sont nos parents qui nous ont mis au courant par la suite.

Est-ce que les membres de l’équipe ont gardé les relations jusqu’aujourd’hui ?

• J’ai les numéros de tous ceux qui sont là. Récemment, j’étais avec Rébécca et Sami Rama. Il y a Maurice, Rigobert, Cyr... Il faut dire que nous sommes restés des amis.

Qu’est-ce que ta formation, à travers l’orchestre, t’a apporté dans la vie ?

• J’ai eu un bon bagage musical mais je n’ai pas voulu en faire une carrière. Je suis actuellement agent municipal.

Le 15 octobre 2007 a été diversement célébré par les Sankaristes et le pouvoir... Qu’en penses-tu ?

• C’est un peu trop de commémorer les deux événements à la même date. Le 15 octobre devrait être consacré aux funérailles du président Sankara et le 2 juin, date du référendum, comme point de départ de notre démocratie.

Es-tu affilié à un parti politique ?

• Pas du tout ! La politique est très compliquée. Je crois qu’il est préférable de rester de côté.

Un exemple de chant exécuté à l’époque...

• On chantait "révolution sid waame" et les autres disaient "Tim na yi guess m yaaba, tim na yi guess"... On chantait aussi dans d’autres langues africaines comme l’Ashanti pour souhaiter la bienvenue aux invités. Notre regret, c’est qu’il n’y a pas eu de suivi alors que nombre d’entre nous avaient préféré la musique aux études. Si aujourd’hui certains s’en sortent, d’autres par contre n’ont pas pu tirer leur épingle du jeu.

Propos recueillis par Abdoul Karim Sawadogo

L’Observateur

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