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"Plus de treize mois que je ne peux pas rentrer chez moi au Nord"

Publié le mardi 11 novembre 2003 à 07h59min

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Laurent Dona Fologo, journaliste de formation est homme politique de Côte d’Ivoire depuis les années Houphouët Boigny.

Il est aujourd’hui âgé de soixante ans mais semble conserver sa pleine jeunesse. Actuellement président du Conseil économique et social (CES) de son pays,Sidwaya l’a écouté dimanche 9 novembre 2003 à Ouagadougou.

S. : Sur invitation du Conseil économique et social du Burkina Faso, vous êtes arrivé à Ouagadougou à bord de l’avion présidentiel de Côte d’Ivoire. Quel message politique cela laisse-t-il transparaître à l’adresse des autorités politiques du Burkina Faso ?

LDF : Je suis un disciple d’Houphouët Boigny. C’est connu et je ne le cache pas. J’ai dit qu’il me manquait de revoir le Burkina Faso. J’ai été très peiné comme beaucoup de disciples d’Houphouêt Boigny de constater que quelques nuages ont terni les relations entre nos deux Etats. Et vue que nous sommes nous, en Côte d’Ivoire dans la situation d’un Etat déchiré par une rébellion, j’ai pensé qu’il fallait saisir cette heureuse occasion offerte par le Conseil économique et social du Burkina pour présenter mes respects au Président du Faso, Son Excellence Blaise Compaoré qui me connaît et que je connais aussi pour réchauffer en quelque sorte les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina.

Je crois que le président actuel de Côte d’Ivoire, le président Laurent Gbagbo apprécierait que j’apporte ma modeste contribution au réchauffement des liens qui unissent nos deux pays. C’est pourquoi, il n’a pas hésité à me donner son avion personnel pour me conduire au Burkina Faso cet après-midi du dimanche 9 novembre 2003. C’est encore son avion personnel qui reviendra me chercher. C’est donc dire que je ne suis pas ici en clandestin mais tout à fait en hôte officiel. Naturellement, mon vœu est d’avoir l’honneur de présenter mes salutations au Président du Faso. Je crois que cela peut nous aider.

S. : Vous avez tout à l’heure parlé d’une Côte d’Ivoire déchirée par une rébellion. Quelle appréciation faites-vous de la crise que connaît votre pays ?

LDF : J’ai été le négociateur de la République pour discuter à Lomé avec les ex-rebelles, les tenants de cette rébellion. Nous avons passé plus d’un mois à Lomé....

S. : C’était quel mois déjà ?

LDF : Euh ! C’était au mois de novembre et décembre 2002.

Nous n’avions pas abouti, disons que les négociations se poursuivaient lorsque il y a eu l’invitation à Paris. Déjà à Lomé, j’ai apporté ma modeste contribution.

C’est dire que je suis de très près cette situation que je déplore. Sachez que je suis de la région du Nord de la Côte d’Ivoire et une bonne partie de ceux qui ont pris les armes sont de ma région. C’est pourquoi, je me sens bien placé pour continuer à discuter avec eux. Je continue le dialogue avec eux jusqu’aujourd’hui, sans les diaboliser outre mesure.

Mais en cherchant à créer les conditions de retour à la paix en Côte d’Ivoire. Donc je déplore cette situation que nous vivons et je souhaite qu’elle prenne fin le plutôt possible.

S. : Le mardi 11 novembre 2003 est prévu une rencontre à Accra au Ghana devant regrouper un certain nombre de chefs d’Etat de la sous-région dont le président de la Côte d’Ivoire pour explorer les possibilités d’application des accords de Marcoussis.

L’espoir est-il permis ?

LDF : Marcoussis ou pas Marcoussis, le nombre de ministres pour ceci ou cela, tout cela me paraît trop long et trop compliqué devant les souffrances de nos populations. Je vous dis que je suis du Nord de la Côte d’ivoire et cela fait treize mois que je n’ai pas mis les pieds chez moi.

S. : Pourquoi ?

LDF : Parce que la route n’est pas libre. Elle n’est pas sécurisée

S. : Aux lendemains du 19 septembre 2002, les autorités de la Côte d’Ivoire ont semblé pointer un doigt accusateur sur le Burkina, le soupçonnant d’aider d’une manière ou d’une autre la rébellion.

LDF : Personnellement, je n’ai jamais accusé aucun pays voisin, parce que je n’ai pas de preuve pour porter quelque accusation que ce soit. Mais la rébellion venant du Nord, je vous ai dit que je viens du Nord moi-même, on a vite fait de penser que les pays frontaliers du Nord en savent ou auraient su quelque chose. Je pense aujourd’hui, que nous avons dépassé ce stade d’accusation, de suspicion etc.

Ça a été une phase sûrement au début de la guerre, de la rébellion. Aujourd’hui, la majorité des Ivoiriens ont dépassé ce stade et nous sommes très sincèrement à la recherche de la paix et non pas à l’heure des accusations.

Si je pensais que la rébellion venait d’ici, je crois que je ne serais pas là aujourd’hui.

Les liens de la Côte d’Ivoire et du Burkina sont tels qu’aucun nuage ne devrait être trop grand pour les étouffer, pour les souiller. C’est pourquoi, je ne désespère pas que le Burkina puisse nous aider.

S. : Etant originaire du Nord, pensez-vous que le concept d’ivoirité qui prône l’exclusion, le rejet de l’étranger a pu conduire à la présente crise en Côte d’Ivoire ?

LDF : Je n’ai jamais su ce que ce concept ivoirité recouvrait,. Ce mot n’existe pas dans le Larousse, n’existe pas dans le Littré donc je ne sais pas ce que ça veut dire. Si vous me demandez si en Côte d’Ivoire, il y a des pratiques de xénophobie, d’exclusion, de frustrations volontaires ou officielles, je vous dirai non.

Je n’ai jamais cru à cela. Parce que je suis du Nord cent pour cent (100%) parce que aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, de hautes personnalités de l’Etat sont du Nord, le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, le président du Conseil économique et social, le grand chancelier des ordres nationaux.

Tout ce monde-là est originaire de Korhogo, de Boundiali, de Ferkessédougou, de Bouaké etc.

Nous disons que dans les faits, nous ne voyons pas ce que ce concept recouvre. Cependant, nous pensons que ce concept est mal venu dans un contexte particulier en Côte d’Ivoire. Je sais de quoi je parle. Il est mal venu et a été mal compris. Il a été politiquement utilisé contre la Côte d’Ivoire et pour souiller l’image d’un pays qui compte le brassage le plus avancé de l’Afrique de l’Ouest.

Dans un pays où l’intégration a été le plus vécu et le plus réalisé parce que nous avons 28% de la population qui n’est pas nécessairement d’origine nationale.

Alors dans un tel pays, il est surprenant qu’au lieu de recevoir des palmes d’intégration, c’est l’inverse.

Vous avez raison de dire que ce concept peut être l’une des explications du drame que nous vivons aujourd’hui. C’est pourquoi, nous disons que ce concept doit être déclaré mort et enterré non seulement dans l’esprit mais également dans les faits.

S. : Le 21 octobre 2003, le journaliste français Jean Hélène a été abattu à bout portant à Abidjan par un agent de la police ivoirienne. En tant que journaliste et homme d’Etat, quelles commentaires faites-vous ?

LDF : Je suis l’un de ceux qui ont le plus déploré cette situation. Je ne sais pas s’il faut l’appeler accident ou assassinat ou meurtre. Quoi qu’il en soit, je l’ai beaucoup déploré et j’en suis peiné. Cela d’autant plus que je me bats pour la paix et que je suis un vieux journaliste. C’est ma profession. J’avais des rapports tout à fait particuliers et amicaux avec Jean Hélène que j’invitais à déjeuner assez souvent à Abidjan. C’est pourquoi, lorsque j’ai appris ce drame depuis Cotonou au Bénin où je me trouvais, j’ai été effondré. J’ai tout de suite envoyé deux télégrammes l’un à Paris, l’autre à l’ambassade de France à Abidjan.

J’ai dit que si le journaliste était mort au front, je l’aurais regretté mais cela fait partie des risques du métier. Au front, dans les manifestations, on peut être victime d’une balle perdue. Mais les circonstances dans lesquelles le drame est survenu me troublent personnellement. Une double enquête ayant été ouverte aussi bien par les Français que par les Ivoiriens, je me remets aux conclusions de ces enquêtes.

Cependant, j’ai été de ceux qui ont condamné la manière excessive et politicienne d’exploiter le drame. Par exemple, on a dit : "Oui, c’est les résultats de la haine semée dans ce pays, c’est la main du pouvoir" que sais-je encore. Je suis contre ces purifications et ces raccourcissements. Parce qu’il n’y a pas de haine semée en Côte d’Ivoire, ce n’est pas vrai.

Dans l’Etat actuel des choses, il n’est pas nécessaire de mettre de l’huile sur le feu. Ça ne favorise pas la marche vers la paix. Au demeurant, il y a de cela quelques jours, un jeune Ivoirien a été tué par un soldat français, tout à fait accidentellement à mon avis. Lorsqu’un pays est en guerre, tout peut arriver, c’est pour cela personnellement que je suis contre la guerre. Parce que la guerre ouvre la porte à toute sorte de surprises plus désagréables qu’agréables.

S. : Sera-t-il possible un jour que vous vous retrouviez entre frères ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire pour dialoguer et oublier le passé ? Nous pensons à Alassane D. Ouattara, Seydou Diarra, Dona Fologo, Mamadou Coulibaly, Guillaume Soro...

LDF : Oui, je pense que c’est mon espoir et mon vœu. Déjà, tous ceux qui sont à Abidjan, nous avons une organisation des ressortissants du Nord, du grand Nord. Nous nous voyons régulièrement. Nous parlons. Nous avons tenté même de rencontrer nos jeunes frères qui ont pris les armes, nos enfants, fils pour certains. Nous ne sommes pas désespérés. Ce jour n’est pas très loin où nous allons nous retrouver. Que ce soit Coulibaly, Ouattara, Diarra, Fologo, nous avons aujourd’hui des relations tout à fait fraternelles. La rébellion ne va pas nous écarter définitivement. J’étais à Lomé pendant cinquante jours. J’ai parlé régulièrement avec le jeune Soro que je peux considérer comme mon fils. J’ai pratiquement le double de son âge. Il sait que quand il était étudiant, je m’occupais de lui en tant que jeune du Nord.

Les liens de fraternité qui nous unissent renaîtront le moment venu. Il fallait peut-être passer par là. Nous y sommes passés.

Nous le regrettons. Mais ce qui est arrivé est arrivé. Chaque pays a son histoire. Peut-être qu’il était écrit que nous passerions par cette phase pour retrouver peut-être une Côte d’Ivoire plus humble, une Côte d’Ivoire qui a conscience de ses limites tout en ne négligeant pas ses atouts. Une Côte d’Ivoire ouverte sur ses voisins comme l’a toujours voulu le président Houphouët Boigny et comme ses disciplines dont je fais partie. Nous y parviendrons. Il y a eu la guerre entre les Allemands et les Français, il y a eu l’apartheid, il y a des choses beaucoup plus graves dans le monde. Mais on est arrivé à les surmonter pour renouer avec la paix et la fraternité. je ne vois pas pourquoi la Côte d’Ivoire n’y arriverait pas.

Salia ZERBO
Sidwaya

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