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Côte d’Ivoire : Gbagbo reprend l’initiative politique et oblige l’opposition à jouer "en contre".

Publié le vendredi 28 mai 2004 à 09h37min

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Chirac et Gbagbo
à Kléber

Ceux qui pensaient que les conclusions de la commission d’enquête des Nations unies sur le traitement par le régime de Gbagbo des "manifestants" du jeudi 25 mars 2004 allaient assouplir son mode de fonctionnement doivent être déçus. C’est encore une illusion qui s’envole ! Près de deux mois se sont écoulés depuis le "Jeudi Rouge" et une fois encore c’est Gbagbo qui a pris une initiative politique d’ampleur en "virant" trois ministres du "gouvernement" de Seydou Diarra.

Ce n’est d’ailleurs pas cela l’essentiel puisque les ministres de l’opposition se sont, depuis longtemps, retirés de ce "gouvernement". Et que chacun sait qu’en Côte d’Ivoire ce n’est pas le "gouvernement" qui gouverne mais Laurent Gbagbo et les séides de son shadow-cabinet.

L’essentiel est ailleurs. D’abord, en Côte d’Ivoire, comme dans bien d’autres pays, il est bon pour un chef d’Etat de faire le ménage et de "virer" des ministres accusés de ne rien faire, disposant d’un parc de véhicules, de salaires et de caisses noires, d’un hébergement dans un hôtel international, etc... C’est une mesure qui va apparaître populaire même si elle n’est que populiste.

Ensuite, il serait faux de penser que Gbagbo vise les ministres concernés. Sa cible, c’est Seydou Diarra, le Premier ministre, et au-delà de la personne même, la fonction qu’il occupe. En prenant des décisions par-dessus la tête du chef du gouvernement, Gbagbo montre à tous (et tout d’abord à ceux qui le soutiennent) que c’est lui qui détient le pouvoir et personne d’autre. Il déstabilise Diarra et décrédibilise la capacité de l’opposition à s’opposer à ses décisions.

La réponse de Diarra à Gbagbo est d’ailleurs des plus maladroites. Trois ministres de son gouvernement sont "virés" et il se contente de répliquer que, du même coup, il n’est plus "en mesure de convoquer le Conseil de gouvernement ni de participer aux travaux des Conseils des ministres jusqu’à la résolution fondamentale de l’ensemble des problèmes existants". Ce qui laisse supposer qu’il se retire du jeu politique. Et laisse le terrain libre à Gbagbo.

Or, c’est le premier objectif de Gbagbo : selon le principe des Horaces et des Curiaces, une fois Diarra neutralisé, il pourra s’attaquer à la déstabilisation de chacune des composantes de l’opposition. Et c’est là son second objectif : ou Diarra, excédé et fatigué, rend définitivement son tablier et il faudra nommer un nouveau premier ministre consensuel, ce qui va, à nouveau diviser l’opposition ; ou Diarra reste à son poste et l’ensemble de l’opposition va s’épuiser à soutenir un chef de gouvernement dont il faut reconnaître que le bilan est inexistant.

Il est vrai que Diarra se trouve là où il est, depuis Marcoussis, parce que les autres propositions ont été rejetées. Gbagbo a imposé celui qui était le plus mal placé pour s’affirmer comme un véritable chef de gouvernement face à un chef d’Etat que Marcoussis voulait disqualifier. Diarra est un "honnête homme". Son passé, sous Houphouët, plaide en sa faveur. Ensuite, il sera Premier ministre de Gueï et refusera, lors de l’accession de Gbagbo au pouvoir, de rester à la primature. Il présidera le Forum de réconciliation nationale. Qui n’a réconcilié personne.

Diarra est foncièrement un facilitateur et un modérateur. Un journaliste français disait de lui, : "il n ’affronte pas. il discute". De son passage auprès de Gueï, Diarra retient qu’il a évité "beaucoup de dérives" et le « pire". Façon de voir. Pas celle qui convient à la gestion de la crise ivoirienne.

Il faut constater que Diarra n’est guère aidé par Paris. Ni, aux dires de beaucoup d’observateurs, par l’ambassadeur de France, Gildas Le Lidec. Même la très officielle Agence française de presse (AFP) souligne que "La France [...] semble de plus en plus incapable [c’est moi qui souligne] de peser sur les belligérants, notamment sur le président Laurent Gbagbo [...] Paris semble réduit à multiplier les déclarations". Il y a des milliers de raisons à cela. Autant que de ressortissants français en Côte d’Ivoire !

Hier, dimanche 23 mai 2004, dans le Journal du Dimanche (JDD), Michèle Alliot-Marie réaffirmait que" la sécurité de nos compatriotes" est sa "première priorité" mais que" la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire ne justifie pas aujourd’hui une évacuation des ressortissants français". C’est le mot d’ordre de la France. Au ministère de la Défense, on le martèle avec détermination.

Dans son numéro daté de mai 2004 (n° 290), le mensuel Armées d’Aujourd’hui (ADA), édité par la Délégation à l’information et à la communication de la Défense, titrait sans ambiguïté La volonté de rester son reportage sur les ressortissants français en Côte d’Ivoire. 20 000 ressortissants français dont 12 000 enregistrés au consulat parmi lesquels 70 % de binationaux. 6 000 expatriés auraient quitté la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002. ADA précise que 70 % des recettes fiscales de la Côte d’Ivoire proviennent d’entreprises à capitaux français et que plus de 210 filiales d’entreprises françaises sont présentes dans le pays.

ADA se veut rassurant. Le site www. ufe.asso.fr de l’Union des Français de l’étranger (UFE) en Côte d’Ivoire diffuse les informations nécessaires "durant les moments difficiles". Jean Lhuillery, le patron de l’AFP, souligne que "si l’on peut être inquiet quant à l’évolution générale de la situation, il existe une garantie… l’armée française". Qui, par la voix du lieutenant-colonel Lecoeur, du centre opérationnel de l’opération Licorne, souligne : "En cas d’évacuation, la plupart des composantes armées sur place seraient mobilisées, et nous pourrions aussi bénéficier de renforts à la fois de métropole, mais aussi de nos forces prépositionnées au Tchad, au Sénégal, au Gabon et Djibouti aussi bien aériens que maritimes".

Dans ce même numéro de mai 2004, ADA rappelle que l’opération Licorne commandée par le général Joana représente pour les militaires français "la plus importante opération nationale depuis celle du canal de Suez en 1956". Les soldats français y pratiquent les 3 P : "présence, patrouille, palabre". Diagnostic du colonel Thomas, du 152ème RI (qui vient de Colmar) : "La crise ivoirienne n’est ni une crise ethnique, ni religieuse, c’est une crise politique différente de celles qui secouent la sous-région, qui trouvera une issue grâce à l’application des accords de Marcoussis. Pour l’instant, rien n’est perdu, tout est encore possible".

Certes, mais on constate, dans les déclarations de Michèle Alliot-Marie au JDD beaucoup de lassitude face à une situation qui ne se débloque pas, bien au contraire, depuis près de deux ans. Et qui pèse lourd dans le budget de la France. Le processus DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion), prévu initialement pour le 8 mars 2004 a été reporté.

La ministre de la Défense, qui maîtrise pourtant l’art du drop, préfère dégager en touche : "Le désarmement relève du dispositif d’interposition de l’Onu. Celui-ci sera complètement en place vers la fin du mois de juin. C’est donc à partir de cette date qu’il pourra intervenir". Même jeu en touche pour ce qui est du rapport de l’Onu sur les exactions du "Jeudi Rouge" : "C’est au Conseil de sécurité d’en décider les suites".

Pour ce qui est des déclarations "extrémistes" des uns et des autres : "Nous attendons des autorités ivoiriennes qu’elles assument leurs responsabilités à cet égard". Le remaniement du gouvernement par Gbagbo dans le dos de Diarra ? "Ces mesures [...] ne doivent pas porter atteinte au dialogue qui fonde [les] accords de paix. C’est la forte conviction de toute la communauté internationale. Nous pensons tous [c’est moi qui souligne] qu’il n’y a pas d’autre solution que la stricte application de ces accords".

Onu, Conseil de sécurité, autorités ivoiriennes et Communauté internationale. Est-ce à dire que la France se trouve piègée, actuellement, en Côte d’Ivoire pour n’avoir pas voulu prendre en compte, quand il en était encore temps, la vraie nature du régime mis en place par Gbagbo ?

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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