LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Cultures de rente et économie de marché : De la dérive du coton aux sirènes des OGM, les cotonculteurs prisonniers de la loi du profit

Publié le mardi 2 octobre 2007 à 07h37min

PARTAGER :                          

Alors que la guéguerre continue entre partisans et adversaires des OGM, certaines de leurs caractéristiques ont été suffisamment attrayantes pour amener nombre de gouvernements à travers le monde à les inscrire comme composantes de certains choix nationaux.

Le Burkina en tout cas n’a pas fait mystère de son option pour les OGM et il reste à savoir à présent si cette option-là lèvera les multiples contradictions qui altèrent la compétitivité des produits africains, notamment le coton.

Avec un standard Ouest-africain de l’ordre de la tonne à l’hectare, le Burkina Faso, avec une tonne deux cents à l’hectare faisait déjà figure de pionnier. De plus, récolté manuellement, son coton jouit d’une grande réputation de qualité si on le compare à celui des agriculteurs-businessmen du Nord dont les récolteuses mécaniques ajoutent des débris végétaux divers à la fibre. Malgré cela, les producteurs nationaux sont restés assujettis à un cours international qui leur était de plus en plus défavorable alors que le prix des intrants indispensables à leurs activités grimpe avec une irrépressible constance.

Depuis des années donc, le coton africain est le lieu d’un paradoxe économique qui veut que plus on produit, plus on se paupérise. A l’image des Indiens d’Amérique qui, en récompense de leur poudre d’or, recevaient de la pacotille, l’or blanc produit par les Africains ne semble enrichir que les tenants des rouages les plus secrets de l’économie de marché. L’option pour les OGM, peut gourmands en intrants et très résistants à certains prédateurs dans le cas du coton transgénique semble de ce fait un choix raisonnable pour le Burkina Faso.
Cependant la question qu’il faut se poser avant tout est celle de savoir ce qu’a rapporté au Burkina la position courageuse de son chef suprême, de Cancun à Doha. Il avait raison puisque tous les autres pays Ouest-africains producteurs de coton l’ont suivi. Il avait raison puisque des organisations internationales et des acteurs de la société civile même dans les pays riches ont salué son courage politique et son esprit d’équité.

Malgré cela, où en est l’OMC ? Où en est Doha ? On est donc fondé à croire que la discrimination économique dont le coton africain est l’objet ne disparaîtra pas face à une production accrue et une qualité toujours plus grande de ce coton, toutes choses que les OGM vont contribuer à apporter.

Privilégier une visibilité et un contrôle des ressources du coton

Si le cotonculteur africain est contraint de céder son coton à moins de deux cents francs le kilo pendant que celui non africain vend le sien à plus de huit cents francs le kilo, est-il judicieux pour le cotonculteur africain d’accroître sa production et la qualité de celle-ci tant que perdurera cet environnement discriminatoire ?
Assurément non ! Le problème du coton africain ne se trouve pas dans le taux de rendement à l’hectare mais bien dans un environnement économique conçu pour lui être hostile. Même avec une demi tonne à l’hectare, le coton africain serait parfaitement rentable si et seulement s’il est acheté au prix concédé aux cotonculteurs du Nord.

La rentabilité seule de la filière coton sera à son tour suffisante pour créer de nouvelles émulations et amener les producteurs à s’occuper cette fois du taux de rendement. En attendant, il est préférable de porter les efforts sur la transformation ce qui, tout en réduisant la dépendance au cours, répondra à une demande nationale dont la satisfaction ouvrira de très juteuses possibilités d’affaires.

La balle est donc dans le camp des décideurs politiques

Ne peut-on pas, en évoquant des raisons écologiques, imposer la substitution des emballages plastiques par des emballages fabriqués à partir du coton ? Ne peut-on pas interdire, même les mouchoirs « lotus » qui ont envahi le pays si le fabricant qui les met sur notre marché ne les réalise pas avec notre coton ?

C’est au niveau politique maintenant qu’il faut mener une réflexion qui aboutisse à des solutions qui soustraient les producteurs à la quadrature malsaine qui consiste pour eux à produire à des coûts qu’ils ne contrôlent pas et à vendre à des prix qu’ils ne contrôlent pas non plus. Il nous faut apprendre à décoder les lois du marché dans ce qu’elles comportent même de plus pervers au lieu de tourner en rond à la poursuite des illusions que nous ont concoctées les maîtres du marché.

Les cotonculteurs africains sont prisonniers de la loi du profit et les sirènes des OGM ne changeront rien à la donne.
Quelle que soit sa compétitivité, le coton africain aura beaucoup de mal à s’imposer parce que le monde est déjà organisé et qu’une place lui est de ce fait affectée sur la scène des échanges.

Pour se mettre au même potentiel, les Africains doivent désormais parler profit et non rendement, ils doivent voir profit et non équité. C’est à ce jeu-là qu’ils finiront par avoir des concessions dans un domaine où on ne parle pas d’humanisme mais bien de commerce.

Luc NANA

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 2 octobre 2007 à 14:51, par N. Ouedraogo En réponse à : > Cultures de rente et économie de marché : De la dérive du coton aux sirènes des OGM, les cotonculteurs prisonniers de la loi du profit

    Très bon article qui, sans aborder les multiples risques et méfaits du coton biologique (dépendance vis-à-vis du vendeur de pesticide puisque chaque OGM est adapté à un pesticide précis, mais aussi risque de diffusion des gènes dans la nature et donc demande de droits aux cotonculteurs subissant les ensemancements non voulus, graines de coton deuxième génération stériles,etc. etc.), arrive à argumenter contre les OGM.

    Cette analyse est très pertinente, surtout la proposition de transformation (à quelques jours de l’anniversaire de la mort de T. Sankara, remise au goût du jour du "consommons burkinabè") qui est lucide. Mais ce problème est identique pour la tomate, la mangue, le beurre de karité, etc., etc. Pendant ce temps, les "riches" construisent des villas, des usines de montage de moto, des hotels, des magasins... A quand une politique d’avenir pour le Burkina ?!

    C’est sur que si l’économie se développe, le Faso perd son "attrait" pour les ONG et les bailleurs de fonds ! La politique de la main tendue a encore de beaux jours devant elle (même après ses 2 (+2) mandats, il pourra, tel son homologue sibérien, se reconvertir premier ministre !).

    • Le 2 octobre 2007 à 19:08, par N. Ouedraogo En réponse à : > Cultures de rente et économie de marché : De la dérive du coton aux sirènes des OGM, les cotonculteurs prisonniers de la loi du profit

      ERRATUM : "méfaits du coton biologique" lire "les méfait du coton OGM" ce qui n’a strictement rien à voir puisque le coton biologique est celui qui est cultivé sans utiliser d’intrants (engrais et pesticides) chimiques, uniquement ceux produit par le cotonculteur lui-même : compost et pesticides dérivés du neem entre autres.

      Le coton biologique est aussi produit au Faso et son prix de vente est supérieur au coton conventionnel, par contre le rendement à l’hectare diminue fortement.

  • Le 3 octobre 2007 à 19:34, par ablo En réponse à : > Cultures de rente et économie de marché : De la dérive du coton aux sirènes des OGM, les cotonculteurs prisonniers de la loi du profit

    mon père disait par moment que : "quand la tête d’un idiot gonfle, il pense qu’il grossit ; il ne se doute pas un instant que cela puisse être une maladie". c’est exactement l’attitude que nos decideurs adoptent par rapport à nos paysans en les poussant à produire du coton, que ce dernier soit naturel, biologique ou ogm. encore que certains y ont interêt plus que d’autres. prenons un instant pour lire le dernier livre d’Eric Orsena :"sur la route du coton" qui en dit beaucoup sur le terme des échanges. le drame est qu’en appâtant les paysans avec des sacs d’engrais, qui d’ailleurs utilisent une partie pour des cultures vivrières, l’on a fini par convertir la majorité de ces paysans en cotonculteurs avec les ravages que cela implique. pour exemple, il ya des villages qui sont endettés et contraints à rembourser des sommes qu’ils sont incapables de réunir. c’est le cas dans le kenedougou (tin) où la pression commence à retomber. que donne-t-on à ceux qui veulent cultiver pour nourrir la population ? rien sinon qu’à les décourager en ouvrant les frontières au surplus céréaliers des autres pays ? avec les inondations de cette année, que propose le ministère de l’agriculture ? on peut continuer à épiloguer sur la rentabilité ou à faire appel à l’humanisme des autres, mais il s’agit d’économie et à ce niveau, les Etats voient leurs intérêts sinon les interêts de leurs administrés. or face au lobby puissant des autres agriculteurs européens et americains, que pèsent nos pauvres paysans ? quand les dirigeants français à une époque se sont rendus compte que les mines de charbon n’avaient pas d’avenir, ils ont pris la decision courageuse même si ce fut contesté de les fermer. s’en est suivi une politique d’accompagnement pour soulager les régions concernées en y attirant d’autres activités. nos paysans sont sinistrés dans cette filière du coton et certains persistent dans cette voie. bref ! c’est un coup de gueule. nos terres sont riches pour autres choses que du coton. prenons garde à ce qu’après le paasage de celui-ci, elles ne puissent plus faire pousser un grain de haricot.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)