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Assassinat politique d’opposants : L’exil forcé fait toujours recette

Publié le mercredi 12 septembre 2007 à 07h22min

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Sur la scène politique internationale, le bras de fer politico-juridique qui oppose le président pakistanais Musharraf à l’ex-Premier ministre Nawaz Sharif, chassé du pouvoir en 1999 à la suite d’un coup d’Etat conduit par le premier, est incontestablement un des faits marquants - dans ce genre - du week-end écoulé.

L’exil forcé ou accepté après des négociations politiques, administratives ou judiciaires d’un homme d’Etat, en soi, n’est pas véritablement une "nouvelle", tant ils étaient ou sont encore nombreux, ces hommes ou femmes célèbres qui ont été contraints de quitter leur pays pour des exils négociés, plus ou moins dorés pour la sacro-sainte raison de sécurité d’Etat, de sauvegarde de la paix intérieure, ou enfin, comme monnaie d’échange contre l’emprisonnement ou l’exécution pure et simple.

Ce qui, par contre, apparaît comme un événement illustré ici par le cas pakistanais, ce sont les blocages du pouvoir, à la suite, de surcroît, d’une décision judiciaire autorisant M. Sharif à regagner son Pakistan natal après presqu’une décennie d’exil "négocié" en Arabie Saoudite et à Londres. En effet, si le retour de l’ancien chef de gouvernement a été autorisé par un arrêt rendu en août dernier par la Cour suprême du Pakistan, il ne semble pas conforme aux voeux du président qui, manifestement, ne veut pas d’un adversaire politique dont la longue absence du pays n’a suffi ni à réduire le charisme, ni à écorner la popularité auprès des musulmans pakistanais. Il représentait donc une véritable menace pour un président qui, quoiqu’usé par moult scandales et échecs, n’aspire pas moins à briguer un autre mandat à l’issue des élections législatives de 2008.

La fin de l’exil de Sharif représente donc un défi pour Musharraf qui avait déjà des problèmes avec la Justice de son pays. D’autant que l’exilé n’a jamais caché son intention de faire de la politique et de participer activement aux prochaines échéances électorales à la tête de son parti, la Ligue musulmane du Pakistan. L’affaiblissement du général Musharraf depuis l’assaut sanglant lancé en juillet contre les islamistes de la Mosquée rouge à Islamabad suivi d’une vague d’attentats qui a mis à nu son incapacité à exécuter tous les ordres des USA, sont profitables à l’opposition.

Sharif ne cachait donc pas sa farouche volonté de chasser Pervez Musharraf du pouvoir dès le 15 octobre, comme pour rendre la monnaie de la pièce à celui-là même qui l’avait dépossédé du pouvoir 8 ans plus tôt. La situation est donc très difficile pour le président qui semble prêt à tout pour réussir son pari (assassiner politiquement et définitivement son opposant politique le plus populaire), quitte à favoriser - faute de mieux - une autre grande rivale, elle aussi en exil, Benazir Bhutto, avec laquelle il consentirait à partager le pouvoir, avec la bénédiction, cette fois, de la Maison-Blanche.

Seuls les USA soutiennent le président qui ose s’opposer aux arrêts de la justice (en qualifiant l’affaire de simple problème intérieur) tandis que l’Union européenne estime qu’il aurait dû suivre l’avis de la Cour suprême, quitte à laisser Sharif se défendre dans son pays des poursuites pour corruption dont il fait l’objet. Craint-il que la justice, une fois de plus, ne le suive pas dans son acharnement sur Sharif ?

Cette situation très complexe que vit le Pakistan remet à l’ordre du jour une des dures réalités de la politique dans le monde contemporain : l’exil d’opposants politiques comme arme de prédilection pour assassiner politiquement un adversaire encombrant, gênant parce que puissant.

En Afrique aussi, pour ne parler que de ce continent, la technique a été utilisée : en Haute-Volta, sous Maurice Yaméogo, la nomination de Gérard Kango Ouédraogo comme ambassadeur à Londres avait été perçue comme une condamnation à l’exil dont celui-ci ne s’était sorti qu’après le 3 janvier 1966 ; au Togo, Eyadema père a contraint Olympio fils à l’exil au Ghana après l’assassinat de son père qu’il n’a pas cessé de vouloir venger en reconquérant le fauteuil perdu ; Jean-Pierre Bemba, actuellement au Portugal, y est "envoyé" par le régime de Kinshasa qui n’est pas prêt à le laisser revenir "après ses soins" ; Alassane Dramane Ouattarra de Côte d’Ivoire a fui de justesse son pays avec la bénédiction de l’ambassade d’Allemagne à Abidjan. Le Congo Brazzaville, avec l’affaire Lissouba, Jean-Bertrand Aristide de Haïti, Mengistu Haïlé Mariam au Zimbabwe ... Hissène Habré à Dakar...

Comme on peut le constater, l’exil forcé, recommandé, suggéré et entretenu à beaucoup de frais et pendant un temps plus ou moins long, apparaît de nos jours comme le moyen "civilisé" de réduire son adversaire politique quand on est au pouvoir, en sapant son moral et sa détermination, en le coupant de sa base politique et sociale et en étouffant sa popularité. Surtout que, comme par hasard, la plupart des "exilés politiques" sont des personnalités charismatiques, voire mythiques, au point que leur "absence", plutôt que de les faire enterrer, fait d’elles des idoles. On se rappelle l’ayatollah Khomeyni de l’Iran à son retour d’exil de France.

On peut donc douter de l’efficacité d’une telle arme pour la conservation du pouvoir. Elle a tout de même le mérite de préserver des assassinats physiques d’adversaires politiques et de permettre à la raison, à la justice et à la volonté des peuples de s’exprimer un jour. Le retour d’exil restera toujours un problème à résoudre, une patate chaude dans les mains de ceux qui auraient imposé l’exil pour dormir en paix et profiter impunément de la gestion antidémocratique qu’ils imposent à leur pays.

Et il n’est pas sûr que les amnisties générales, les cérémonies nationales de justice et de vérité souvent utilisées pour imposer le silence et la réédition aux adversaires politiques moyennant leur retour au bercail suffiront à préserver les dictateurs de leurs forfaitures.

Le Pays

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