LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Lutte contre la corruption au Bénin : L’évangile du "pasteur" Boni continue de faire des victimes

Publié le mardi 4 septembre 2007 à 07h34min

PARTAGER :                          

Boni Yayi

Sur initiative du Réseau informel des journalistes (RIJ) avec le soutien financier du service allemand de développement (DED) et de Telmob, une dizaine de professionnels de médias burkinabè ont effectué un voyage d’études du 16 au 26 août 2007 au Bénin, au Togo et au Ghana.

Au menu : rencontres avec des organisations et acteurs de la presse de ces pays et visites touristiques. La première étape de cette randonnée journalistique a été Cotonou, la capitale béninoise où l’actualité est marquée par la lutte contre la corruption et la délinquance économique engagée par le chef de l’Etat, Yayi Boni.

Qui voyage loin ménage sa monture. Cet adage, le Réseau informel des journalistes (RIJ) l’avait bien assimilé. Ainsi, depuis que l’idée d’organiser ce voyage d’études a germé, les réunions se sont multipliées pour devenir presque hebdomadaires à un mois du départ afin de cerner tous ses contours.

Tout était fin prêt à 48 heures du jour J, mais un événement malheureux est venu bouleverser quelque peu les préparatifs.

En effet, Koffi Amettepé, journaliste à l’hebdomadaire satirique le Journal du Jeudi (JJ), venait de perdre sa mère au Togo, son pays d’origine, et devait s’y rendre en catastrophe alors qu’il était une des chevilles ouvrières de notre équipée.

Il fallait donc convoquer une rencontre d’urgence pour certains réglages, surtout financiers. Prendre la route, en ces temps d’insécurité dans la sous-région, avec notre petit magot laborieusement constitué depuis des mois, n’était pas prudent.

Il était prévu qu’Amettepé déposât une bonne partie du budget prévu pour le voyage dans une banque de Ouaga où il y a la possibilité de la récupérer dans un des pays que nous devions visiter. Mais le dépôt n’avait pas été effectué lorsque le deuil a frappé notre confrère. Il a fallu donc changer de stratégie. La solution a consisté à répartir équitablement la cagnotte par le nombre de participants au voyage et chacun devait garder une part par devers lui. Un pis-aller.

Discrétion et prudence étaient de ce fait la règle. Il fallait par exemple éviter de tenter le diable en exhibant genre "petit commerçant" une liasse en public pour montrer qu’on est assis sur une liasse d’argent.

Jeudi 16 août 2007, jour du départ. Les moyens ne nous permettant pas d’avoir un véhicule propre à nous, nous avons opté d’emprunter les compagnies de transport. A 7h30, le car, ponctuel comme une horloge suisse, avait déjà pris la route du Bénin via Fada N’Gourma.

A bord, Suzanne Fucks du DED, Sylvie Yaro et Bénédicte Sawadogo de la RTB, Paul Ismaël Bicaba de Sidwaya, Firmin Ouattara de L’Express du Faso, Modeste Nébié de Radio Pulsar, Hamadi Baro, collaborateur du journal "Le Pays", Kader Traoré de L’Observateur paalga et l’auteur de ces lignes.

Le convoyeur, un Samo, qui prenait tout le monde pour des mossis, brisait par moments la morosité liée à la fatigue à travers la parenté à plaisanterie et des taquineries. Tant mieux, car il y avait une belle trotte à faire.

Sans doute habitué à la voie, le chauffeur ne faisait qu’appuyer sur l’accélérateur et avant 12 heures, nous voici à Nadiagou où se trouve le dernier poste de police burkinabè. Le contrôle d’identité est vite fait. Le mastodonte reprit de nouveau sa folle course et avala les kilomètres. Trente minutes lui ont suffi pour arriver à Porga, le premier village béninois.

Un commissariat vraiment spécial

Mais avant d’y arriver, le convoyeur a collecté les papiers d’identité de tous les passagers étrangers plus une somme de 500 F CFA que chacun devait lui remettre. Surpris, je demande à mon voisin Paul Ismaël Bicaba de Sidwaya, les raisons d’une telle cotisation. Il n’était pas plus informé que moi. Juste à côté de nous, un médecin béninois qui écoutait notre conversation nous apprend que cet argent est destiné aux agents de la police frontalière du Bénin pour nous éviter les tracasseries.

Arrivés au commissariat spécial de police (CSP) de Porga, comme indiqué sur le mur de la brigade, tous les passagers sont priés de rester sous un arbre et un hangar. Le convoyeur se dirige seul vers le poste, remet l’enveloppe et les cartes d’identité à un policier. Une dizaine de minutes d’attente, puis l’on procède à l’appel des voyageurs en commençant par les Béninois.

Ensuite, c’est le tour des étrangers qui ont payé les 500 F CFA. Ceux qui n’ont pas versé la somme exigée sont appelés derrière le poste de police pour un entretien avec un agent.

Nous, notre cas est spécial. Muni chacun d’un ordre de mission signé de nos directeurs respectifs plus un autre du DED, personne parmi les journalistes n’a remis le moindre kopeck. Un des flics demanda de faire venir un responsable du groupe. Nous "intronisons" séance tenante Modeste Nébié. L’agent voulait connaître l’objet de notre voyage alors que tout est clairement mentionné sur nos documents.

On a tout compris

Il demanda ensuite les contacts de notre répondant à Cotonou, ce qu’on lui fournit sur le champ. Enfin, il nous dit de chercher une feuille vierge et d’y inscrire les noms de tous les pisse-copies présents alors qu’il avait toutes les données sur les ordres de mission et les papiers d’identité.

"On a tout compris" pour reprendre le refrain d’une célèbre chanson de Tiken Dja Fakoly ; dépité de ne pas faire recette avec nous, il avait décidé de nous faire ch... Sans doute voulait-il nous irriter et espérer un écart de langage afin de nous amender avec un argument du genre "Injure ou offense à officier de police dans l’exercice de ses fonctions". Mais c’était raté. Plus tard, le convoyeur nous confiera que les policiers lui ont dit qu’avec les journalistes, on ne peut pas manger.

"Quand est-ce donc ces rackets vont-ils cesser ?", soupire un passager, devant l’impuissance de nos Etats à éradiquer ces pratiques malgré les discours ronflants sur la libre circulation des personnes et des biens.

A un jet de pierre du CSP, se trouve le poste de douane. Le gabelou de service nous fait traîner sans raison valable. Notre chauffeur piqua une colère noire puisque d’habitude, les formalités se déroulent rapidement. En réalité, nous explique un Béninois, l’agent de douane est méfiant et prend tout son temps pour s’assurer que le car ne transporte pas frauduleusement des marchandises.

Car deux de ses collègues de la localité (le receveur et le chef de la brigade de Porga) ont été démis de leurs fonctions par le gouvernement béninois, il y a de cela 72 heures pour des pratiques frauduleuses. Cette affaire, constaterons-nous plus tard, fait la UNE des journaux au Bénin.

Le Conseil des ministres comme sous la Révolution burkinabè

De quoi s’agit-il ? Sur instruction du président Thomas Boni Yayi, qui a promis, comme chacun le sait, de nettoyer les écuries d’Augias, l’Inspection générale d’Etat (IGE) a été commise de vérifier des informations relatives à la fausse sortie de marchandises pour le Burkina sous la responsabilité de la Compagnie béninoise de Transit et de consignation (COBETRAC).

Il ressort du rapport d’enquête, que 5 camions de produits affrétés par la COBETRAC, chargés et plombés sont sortis de Cotonou escortés par un agent de la brigade du Port et arrivés... vides à Porga.

Sur la période du 1er janvier au 28 juin 2007, 15 véhicules plombés, exploités par la COBETRAC pour le transport de ses marchandises auraient ainsi effectué une centaine de chargements à destination de notre pays sans jamais traverser la frontière. Ces pratiques visent à éviter le payement des taxes douanières.

Ainsi, l’Etat béninois perd énormément d’argent au profit de la COBETRAC. Ces infractions ayant été rendues possibles avec "la responsabilité, la complaisance ou la complicité" de certaines personnes, le Conseil des ministres du 13 août 2007 a décidé de relever de leurs fonctions, le directeur général de la douane du Bénin, Charles Adekambi, le chef de la Brigade de douane du Port, Marcelin Zannou, ainsi que le chef de la Brigade et le receveur de Porga.

L’agrément de commissaire en douane du richissime opérateur économique Daouda Lawal, gérant de la COBETRAC, lui est retiré et il doit rembourser les droits compromis et les amendes y afférentes.

La presse locale dans sa majorité salue la lutte contre la corruption engagée par le chef de l’Etat, Yayi Boni. Même ses plus proches collaborateurs ne sont pas épargnés.

Le cas de Marcelin Zannou est illustratif. Il ferait partie du premier cercle des amis du président de la République. Il a même été élu député aux dernières législatives sur la liste personnelle du Dr Thomas Yayi Boni.

"L’homme du changement", titrent les journaux, se veut proche du peuple. Il a d’ailleurs refusé d’habiter au palais présidentiel préférant vivre dans sa résidence privée dans son quartier de Cadjehoun.

Désormais, la réunion hebdomadaire des membres du gouvernement est attendue ici avec beaucoup d’émois comme ce fut le cas sous la Révolution burkinabè même si chez nous cela a parfois tourné aux règlements de comptes, aux procès en sorcellerie ou au nettoyage politico-idéologique.

Dans le Bénin du "pasteur" Yayi, les fonctionnaires indélicats, les personnalités qui pillent les deniers publics et les opérateurs économiques qui feintent la douane sont sanctionnés. Les entreprises qui ne payent pas leurs impôts en ont pour leur compte.

Dans la ville de Cotonou, il n’est pas rare de voir des banderoles sur de nombreux immeubles sur lesquels il est écrit "Saisie pour non paiement d’impôt". "Une démocratie qui rime avec la corruption généralisée, l’impunité, l’anarchie, l’indiscipline sans obligation de résultat et de compte-rendu est un véritable poison pour le peuple", avait averti Yayi Boni dès élection, il y a un peu plus d’un an. Pourvu seulement que le président de l’ancien quartier de latin de l’Afrique de l’Ouest ne soit pas en train de lutter contre des moulins à vent !

Vendredi 17 août 2007. Nous y sommes. Au réveil, nous cherchons à découvrir la ville à pied. Il fait beau temps. Le climat de l’ancien Dahomey varie d’un type équatorial de transition au Sud à un type tropical de plus en plus sec au Nord.

Deux saisons de pluies se succèdent au cours de l’année, l’une entre mars et juillet, l’autre entre septembre et novembre. En août, il ne pleut pas abondamment comme au Burkina, mais le ciel est constamment nuageux et le temps clément avec par moment de fines averses.

Notre flânerie nous conduit à la présidence de la République qui fait face à l’hôpital Hubert Maga (nom du 1er président) et aux ministères de l’Intérieur et de la Défense, au Conseil économique et social, au Port, etc.

La capitale économique béninoise est une petite ville coquette avec de grands boulevards. Presque toutes les routes sont pavées à cause, dit-on, du sol qui est très sablonneux et sur lequel le bitume ne peut résister à l’érosion.

Cotonou, c’est aussi l’embouteillage dans la circulation avec les taxi-motos, ces fameux "zemidjans" comme on les appelle et qui signifient "prends-moi vite" en langue fon (principale ethnie du pays), qui font la loi. Pressés d’optimiser le gain journalier, ils roulent à une vitesse vertigineuse et n’hésitent pas à brûler les feux tricolores, à se faufiler entre les voitures et à faire d’interminables queues de poisson aux autres usagers.

Un danger permanent qui n’est pas de nature à rassurer le client, surtout étranger. Parce qu’ils polluent énormément et qu’ils seraient responsables de beaucoup d’accidents, la force publique, à défaut de les supprimer (ce qui est impensable pour des raisons socio-économiques), a toujours voulu mettre de l’ordre dans la file des "zemidjans", mais c’est à se demander si cette branche d’activité n’est pas "ingouvernable".

Les "zemidjans" se distinguent par leur tenue jaune avec un numéro inscrit au dos donnant l’impression qu’ils sont organisés. Et pourtant ! "Tout chômeur qui a une moto se fait coudre une tenue et mentionne au dos un numéro et c’est parti", nous explique un chauffeur de taxi. Certaines banques contribuent à développer le secteur des taxi-motos en donnant à crédit des engins à deux roues aux jeunes.

Cotonou, c’est enfin l’essence frelaté qui se vend et se transporte sur des mobylettes, comme on en voit ici avec les vendeurs de poulets, à tous les coins de la rue, en plein jour et à un prix abordable par rapport à la pompe. C’est ce carburant que les "zemidjans" et les taximen achètent. Cela joue énormément sur les stations d’essence qui vendent un peu plus cher.

La vente de ce jus trafiqué du Nigeria voisin est tellement développé que l’Etat n’y peut pratiquement rien. Pas facile, pour ce petit pays de 113 000 km2 pour 7 millions d’habitants, d’être le voisin du géant Nigéria qui y exporte pratiquement toutes ses mauvaises habitudes.

ODEM, un tribunal pour les journalistes

Dans l’après-midi du vendredi 18 août, notre programme de travail arrêté depuis Ouagadougou débute par une rencontre avec quelques patrons de presse à l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique des médias (ODEM), un tribunal institué par les journalistes eux-mêmes pour condamner moralement les confrères qui se rendent coupables de violations des règles régissant la profession. Au Bénin, il y a, tenez-vous bien, une quarantaine de quotidiens dans la capitale dont une vingtaine qui paraît régulièrement.

Cette pléthore s’explique, entre autres, par le fait que les partis politiques créent et financent beaucoup de feuilles de chou. Les injures, les calomnies et les informations non fondées inondent les journaux béninois, surtout lors des périodes électorales.

Le rapport 2006 de l’ODEM montre que les articles 2 et 6 du code de déontologie sont les plus violés dans la presse écrite et audiovisuelle. Le premier cité stipule que le journaliste publie uniquement les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies... Le second interdit la diffamation, l’injure et les accusations sans fondement.

Avec les responsables d’organe de presse, nous avons échangé sur le paysage médiatique et la Convention collective avant de participer, au Palais des congrès de Cotonou, à l’installation officielle des membres du bureau exécutif de l’Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB), l’équivalent de l’Association des journalistes du Burkina (AJB).

Samedi 18 août 2007. Notre agenda nous conduit à radio Univers, une FM des étudiants qui a vu le jour en 1990 et qui est située dans l’enceinte de l’Université d’Abomey-Calavi.

Elle permet en même temps la formation des étudiants en journalisme et tous ceux qui s’intéressent à cette profession. Mais cette station n’est jusque-là pas reconnue par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) du pays.

A ses débuts, les autorités étaient réticentes selon les étudiants que nous avons rencontrés parce qu’elles pensaient que ce sera un outil de propagande. Mais à l’heure actuelle, "elles ont compris son bien-fondé et radio Univers est subventionnée par le Rectorat et le Centre national des œuvres universitaires (CENOU)", indique son directeur, Bruno M. Hotekpo.

Dans le même bâtiment abritant la FM, se trouvent les journaux le Héraut et le Révélateur, deux mensuels affiliés chacun à un mouvement syndical du campus : la Fédération nationale des étudiants du Bénin (FENEB) et l’Union nationale des étudiants du Bénin (UNEB). La majorité des professionnels de la presse écrite béninoise ont animé ces deux parutions au moment où ils étaient de "grands élèves".

Notre programme, après l’Université d’Abomey-calavi, s’est poursuivi avec la visite de radio Planète, une des FM les plus écoutées de Cotonou et dont le propriétaire, Janvier Yahouedeou, a été coopté par Yayi Boni qui l’a nommé chargé de mission à la Présidence.

Dimanche 18 août. Dernier jour de notre séjour à Cotonou. Nous faisons un tour dans la matinée à l’incontournable grand marché Dantokpa (qui signifie "près du fleuve du serpent") où il n’y avait pratiquement rien à voir puisque c’était dimanche et presque tous les commerces étaient fermés.

Dans l’après-midi, il fallait naturellement faire un tour à la plage comme tout bon sahélien pour voir la mer et l’immense foule qui s’y trouve pour pique-niquer, se baigner, se laisser caresser par les vagues mugissantes, contempler l’étendue de l’Océan et faire des photos. Prochainement, cap sur le Togo et le Ghana, les deuxième et troisième étapes de notre périple.

Ouédraogo Damiss

L’Observateur

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique