LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Monnaie : Où sont passées les pièces de 5 francs ?

Publié le jeudi 30 août 2007 à 07h49min

PARTAGER :                          

"A quand remonte la dernière fois que vous avez vu une pièce de 5 FCFA ?". "Il y a sans doute très longtemps". En effet, cela fait une éternité qu’elle a déserté les porte-monnaie, les boutiques, les stations d’essence, les banques, etc.

Pour preuve, lors d’achats quelconques, un bonbon vous est offert en guise de pièce de 5 FCFA. Pourquoi la rareté de ce qu’il est désormais convenu d’appeler un clou ? Du petit vendeur d’eau au responsable de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en passant par le citoyen lambda ou le boutiquier du quartier, chacun a sa petite explication.

Tambi Ouédraogo est maçon dans un chantier près de Rood Woko. Cela fait une demi-heure qu’une terrible faim "ronge" son estomac. Il consulte sa montre ou du moins ce qui lui tient lieu de montre. Il est 12 h 38 et il comprend les raisons de ses crampes d’estomac.

Comment ne pas les comprendre quand on n’a que du "café noir" dans les tripes, surtout quand il a été pris au coude levé depuis le matin. Il se dirige vers le "restaurant par terre" le plus proche.

Tambi a le choix entre le riz et le "benga" (haricot). Sans hésiter il opta pour le "benga", passa sa commande et... l’avala en un temps record.

Il lui fallait maintenant mettre de l’eau sur son "niébé", il héla un petit vendeur du précieux liquide, lui tendit la seule pièce de 25 FCFA qui lui restait et lui lança presque au visage :

donne-moi un sachet d’eau.

Le jeune homme s’exécuta, puis lui remit comme monnaie une pièce de 10 FCFA au lieu de 15 FCFA qu’il lui devait. Le client faillit s’étrangler de colère d’autant plus que le petit vendeur lui avait déjà tourné le dos sans dire mot.

"qu’est-ce qui se passe ?" s’emporta Tambi avant d’absorber la seconde moitié de son sachet, qui avait subitement un goût amer.

"il n’y a pas 5 francs", réplique le petit, l’air agacé de ce qu’on l’emmerdait ainsi pour une maudite pièce.
"pourquoi ?".

Le vendeur, sur un ton déconcertant, lui répondit :
"Il n’y a même plus 5 FCFA".

Ces petites bagarres, hélas, sont devenues fréquentes à Ouaga. C’est presque devenu une banalité pour de nombreux Burkinabè de s’entendre dire qu’il n’y a pas de pièces de 5 FCFA. Un refrain d’autant plus enrageant que les bougres ne prennent même pas souvent la peine de vous le signifier, considérant sans doute que la modicité de la somme ne vaut pas le coup de "gaspiller de la salive".

Seulement, voilà, il n’y a pas que des acheteurs de sachets d’eau qui trinquent dans cette affaire où on oublie que ce sont les petits ruisseaux (les 5 frs) qui font de grands fleuves. Car, le phénomène s’étend jusqu’aux boutiques, aux alimentations, aux stations d’essence et même au-delà (pharmacies, ONEA, SONABEL, librairies, etc.).

Il arrive même que les petits vendeurs d’eau n’hésitent pas à vous proposer un second sachet même si vous n’avez plus soif. "Quand certains clients achètent de l’eau avec nous, ils exigent tout naturellement la monnaie exacte. Dans ce cas, nous leur proposons un second sachet", confie Arouna. Mais ce palliatif n’est pas toujours sans désagréments.

En effet, leurs "patrons", s’ils ne les grondent pas (pour les plus compréhensifs) ils font des retenues sur la paie journalière ou sur le salaire mensuel déjà miséreux de ces malheureux petits. Car, "nos patrons en comptant les sachets d’eau le font à 10 FCFA l’unité avant de nous remettre les glacières chaque matin. Donc, nous perdons quand nous vendons 3 sachets à 25 FCFA. Le soir pendant les comptes, s’il y a des pertes, les patrons font des retenues sur notre salaire", renchérit, dépité, Ismaël Kéré.

"Il n’y a plus de pièces de 5 FCFA"

Les boutiquiers par contre, plus ingénieux si on peut dire, remettent à leurs clients un bonbon en lieu et place de l’introuvable thune. Madou, qui tient une échoppe au secteur 17 de Ouagadougou : "Quand il n’y a pas de pièces de 5 FCFA, je remets un bonbon ou un chewing-gum à mes clients pour qu’ils ne se fâchent pas".

D’autres boutiquiers, fatalistes peut-être, pensent que cette situation est irréversible, donc définitive. "Je crois qu’il n’y a plus de pièces de 5 FCFA. D’ailleurs, voyez-vous de nouvelles pièces ? Les anciennes mêmes sont difficiles à trouver", lâche Séni, épicier au secteur 1 de la capitale, d’un ton sentencieux. Certaines petites stations ont fait leur cette trouvaille.

Elles proposent également des bonbons à leurs clients. "Les grandes stations, elles, ont une autre solution en vendant l’essence à 200 F, à 300 F ou à 500 F, des chiffres ronds, donc au lieu de ces tarifs au centime près, afin d’éviter ce problème de 5 F", confie Aimé Kaboré, pompiste d’une grande station de la place.

"A malin, malin et demi", a-t-on coutume de dire et certains clients ont aussi leur petite idée. Ils laissent leurs monnaies de 5 FCFA s’accumuler avant de revenir les récupérer, lorsqu’elles atteignent un certain montant, ou y ajouter de l’argent pour encore prendre de l’essence.

C’est le cas de Rodrigue Yanogo : "Je ne discute pas quand il n’y a pas de pièces de 5 FCFA. Je vais et je reviens compléter pour prendre de l’essence". Malin non ?

Cependant, d’autres acheteurs, moins tolérants, se montrent agressifs et n’hésitent pas à en venir aux mains. Ismaël Kéré se souvient :"Il y a des clients qui ne veulent pas de sachet d’eau en remplacement de la pièce de 5 FCFA. Ils exigent coûte que coûte leur monnaie. J’ai même été giflé une fois par un client".

De ce qui précède, une certitude : la pièce de 5 FCFA est devenue introuvable pour ne pas dire qu’elle n’existe plus. En toute légitimité, on peut se demander où est donc passé ce qui semble avoir été un véritable clou, traduisant du même coup aussi le renchérissement du coût de la vie.

Le pompiste, le petit vendeur d’eau, le boutiquier et le citoyen lambda se perdent en conjectures quant aux raisons véritables d’une telle rareté. A ce petit jeu, chacun y va de son explication, et les supputations vont bon train. Francis Ilboudo, militaire, pense que "lorsque ces pièces arrivent dans les banques, celles-ci les bloquent".

Gabriel Toé, chauffeur, affirme que "cela est l’œuvre des collectionneurs des pièces de 5 FCFA. Je connais personnellement quelqu’un qui en fait la collection". Nous avons pu rencontrer un de ces curieux personnages. Il se nomme Halidou Ilboudo, soudeur de son état au secteur 8 de Ouagadougou.

La quarantaine bien sonnée, Halidou a une passion : il collectionne, depuis une dizaine d’années, les pièces de 5 FCFA. Il les a "récupérées" de la manière suivante : "Quand on achetait quelque chose avec moi, s’il se trouvait une pièce de 5 FCFA dans l’argent qu’on me remettait, je la mettais de côté". A ce jour, ces pièces qu’il garde jalousement valent plus de 5 000 FCFA, soit plus de 1 000 pièces ! Cependant son hobby est contrarié et pour cause : "(il) n’en trouve plus" .

On n’hésite plus à accuser les établissements financiers en général et, en particulier, l’institut d’émission, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). "La banque retire les pièces de 5 FCFA pour nous faire du mal. Elle veut rendre la vie chère. La preuve, cela fait plus d’une année que je n’ai plus vu une pièce de 5 FCFA ?", se désole un de nos interlocuteurs.

La pièce est toujours émise

Que répond donc la BCEAO face à de telles accusations qui, a n’en point douter, portent un discrédit sur elle ? Assistons-nous à une démonétisation (sans le dire) des pièces de 5 FCFA ? A ce sujet, la réponse du directeur national, Bolo Sanou, est sans équivoque : "Il n’y a pas de décision de démonétiser un signe monétaire, ni en billets, ni en monnaies et donc pas la pièce de 5 FCFA".

Pour la BCEAO, le problème se trouve ailleurs. A en croire le directeur national de la Banque des banques :"Nous avons remarqué un retour extrêmement faible des pièces de monnaie (...).

Pour votre édification, sachez que des statistiques que nous avons effectuées ont révélé que seuls 2% des pièces que nous avons émises entre 1961 et 2007, sont revenus au sein de la banque pour leur traitement et leur remise en circulation".

La BCEAO est, on ne peut plus, claire : les pièces de 5 FCFA continuent d’être émises. Où se cacheraient-elles alors ?

Bolo Sanou a sa petite idée là-dessus : "Il y aurait une forte tendance chez nos populations rurales à conserver les pièces. Celles-ci serviraient à thésauriser leurs avoirs. Il nous revient qu’une catégorie de ces populations transformeraient ces pièces en bijoux". De plus, les pièces de monnaie sont beaucoup recherchées dans les zones reculées.

Elles sont utilisées lors des funérailles et d’autres occasions particulières, d’où leur stricte conservation par ces populations. "Certains d’ailleurs n’hésitent pas à solliciter des pièces de monnaie à la BCEAO lors de telles manifestations", a ajouté le directeur national. Pour Bolo Sanou, cette pénurie n’est pas un cas spécifique au Burkina Faso, les sept autres pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) connaissant la même situation.

C’est pourquoi, à en croire le directeur national, des réflexions sont en cours au plan communautaire pour accroître le volume des émissions des pièces de monnaie. Mais il reste réaliste : "Nous sommes contraints en la matière par des considérations d’ordre budgétaire".

Cependant, le plus important pour lui c’est qu’à long terme, chacun (à quelque niveau qu’il soit) travaille au renforcement de la culture financière de nos populations, à la bonne tenue des signes monétaires. "Prendre une pièce de monnaie pour en faire un bijou ou stocker des pièces chez soi n’est pas la destination des pièces émises", a-t-il conclu.

Aubin Nana Simplice Hien
(Stagiaires)

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)