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Maghreb : Les bons et les mauvais migrants des médias

Publié le mardi 28 août 2007 à 07h05min

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“Mangeurs de rats ou de bébés”, “envahisseurs”... : les termes xénophobes abondent dans la presse du Maghreb pour désigner les migrants africains. Le contraste est fort avec les termes emphatiques appliqués aux émigrés maghrébins vers l’Europe. Les maux sont les mêmes, les mots différent.

Les journalistes maghrébins le reconnaissent : ils ne sont pas tendres avec les émigrés subsahariens qui arrivent au Maroc ou en Algérie. Alors que, constataient-ils en mai, lors d’une rencontre à Alger avec des associations maghrébines et européennes qui luttent pour la dignité des personnes, il en va tout autrement du traitement réservé aux émigrés maghrébins qui tentent, par tous les moyens de gagner la rive européenne de la Méditerranée.
Au début des migrations de Subsahariens, la presse marocaine ne se gênait pas pour traiter les immigrés de tous les noms. “Les Subsahariens se nourrissent de rats”, écrivaient certains, les accusant parfois d’être des “mangeurs de bébés”. Et, les clichés n’ont pas manqué pour décrire leur voyage “de la jungle africaine aux forêts marocaines”.

La presse algérienne, elle aussi, n’a pas été tendre envers les immigrés. Ces “clandos” (clandestins) sont accusés d’être “source d’inquiétudes ou de maladies, notamment le Sida”. Souvent, ils sont considérés comme des “envahisseurs”, des “criminels”, “des hors-la-loi”. Les journaux se réjouissent lorsque les procès-verbaux des services de sécurité évoquent leur arrestation et leur expulsion. Même en Tunisie, guère touchée par l’immigration clandestine, la presse s’est mise à évoquer les quelques cas qui lui tombent sous la main. Et là aussi, les immigrés sont accusés de “sorcellerie” ou de “trafic de fausse monnaie”. Fayçal Metaoui, du quotidien algérien El Watan, fait remarquer que “la ségrégation se voit à l’œil nu. On parle d’immigrés subsahariens, comme si on édifiait une barrière naturelle entre l’Afrique du Nord et le reste du continent”.

La rançon de l’ignorance

En mai dernier, pourtant, des journalistes maghrébins ont accepté de discuter de ces dérapages, lors d’une rencontre organisée à Alger par le Comité international pour le développement des peuples (CISP). Ils ont surtout comparé le langage utilisé pour désigner les immigrés africains au Maghreb avec celui employé pour parler des émigrés maghrébins en Europe. Le contraste est grand. La presse algérienne, par exemple, est très indulgente avec ses propres émigrés, faisant preuve de compassion et de solidarité. On parle de harragas (des gens qui grillent les frontières), on raconte leurs “exploits” lorsqu’ils parviennent à passer de l’autre côté ou “leur lutte contre la mort, dans une mer déchaînée” ou encore des refoulements “inhumains”, “injustes” et on critique les mesures “drastiques” prises par des gouvernements européens pour stopper l’immigration clandestine.

Pour expliquer cette différence, Mahmoud Belhimeur, le rédacteur en chef du quotidien algérien arabophone El Khabar, estime que “la question des migrations ne constitue pas un débat de société en Algérie” d’où, selon lui, ce manque de discernement dans le traitement du phénomène par la presse. Fayçal Metaoui précise que les journalistes ne sont pas différents du reste de la population : “Cela n’obéit à aucune logique, sauf celle de suivre le courant de la société”. Son confrère Adlène Meddi avance une explication par l’ignorance : “Le citoyen maghrébin ne sait rien de ses voisins d’Afrique, migrants, de passage chez lui”. La discrimination serait donc due, essentiellement, à des raisons que les journalistes peuvent corriger, loin de tout esprit xénophobe.

Parler avec les migrants

Le représentant du CISP à Rome, Sandro de Luca, n’a pas manqué de rappeler que son pays, l’Italie, vit la dualité d’être à la fois émettrice et réceptrice de migrants et que la presse n’est pas toujours aussi juste envers les uns qu’avec les autres. La rencontre semble avoir donné un premier fruit puisque, au Maroc, l’Association des familles des victimes de l’émigration clandestine a réussi à mettre en contact ces familles, mais aussi des immigrés venus de nombreux pays d’Afrique, avec des journaux marocains. Cette prise de contact a eu pour effet de sensibiliser les rédactions marocaines quant aux préjudices causés à tous les migrants à travers des mots qui blessent et qui les désignent à la vindicte populaire.
En Algérie, le travail commence à se faire doucement. L’Association algérienne pour la recherche en psychologie s’est plongée dans les écrits de la presse algérienne et fait ressortir les dégâts causés par le choix des mots dans le traitement de ce phénomène.

Les journalistes reconnaissent un manque d’expérience professionnelle et de maturité, ainsi qu’une méconnaissance des règles universelles du métier. Certaines initiatives, encore très isolées, ont été prises dans les rédactions. Après avoir évoqué la “ruée des Chinois” sur l’Algérie, la rédaction d’El Watan a connu un débat interne qui a débouché sur la publication, en contrepoint, du portrait d’une jeune Chinoise.

Azzeddine BENSOUIAH
(Syfia International)

Sidwaya

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