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Discours de Nicolas Sarkozy à Dakar : Entre continuité post-coloniale et quête de légitimité politique

Publié le lundi 27 août 2007 à 08h28min

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Sarkozy et Wade

Mahamadou Siribié analyse ici le discours du président français livré à Dakar au Sénégal. Pour lui, ce discours s’inscrit dans la continuité et non la rupture.

"Nicolas Sarkozy, dans son discours au soir de son élection du 6 mai dernier, avait fait cas de l’Afrique dans un registre compassionnel se présentant comme le président qui aiderait l’Afrique à vaincre la "pauvreté, la maladie et la misère". Les grands médias internationaux étant présents ce soir-là, le moment et l’endroit étaient bien choisis pour lancer un message aux Africains et au monde, comme si dans un contexte mondial marqué par de nouvelles configurations géopolitiques, la France, à travers son tout récent président, voulait réaffirmer sa place en Afrique face aux jeunes "envahisseurs" comme la Chine, la Russie, les Etats-Unis...

Mais pourquoi l’Afrique en ce moment précis d’un temps fort d’une élection présidentielle ? L’Afrique a-t-elle le monopole de la "pauvreté, de la maladie et de la misère" ? Non. Du discours de misérabilisme sur l’Afrique, le président est passé à un autre discours avec un autre contenu, en l’occurrence celui prononcé le 26 juillet 2007 à Dakar, au Sénégal, discours cette fois-ci de teneur mystico-politique où Sarkozy proclame que "L’Afrique est devenue un mythe". Avant la colonisation et les prétendues missions de "l’Europe civilisatrice", les premiers explorateurs du continent noir, obtus et incultes, à la recherche de "sensations fortes", l’avaient qualifié de "continent mystérieux".

Comment le président, qui dit être l’homme de la "rupture" avec les pratiques politiques d’un autre âge de ses prédécesseurs à l’égard de l’Afrique, a-t-il pu lire un tel discours écrit par son nègre officiel, Henri Guaino, et plein de clichés ? Quelles étaient ses profondes motivations ? Ces dernières révèlent l’inconstance du discours politique africain du président, qui s’inscrit dans la continuité des actes de ses prédécesseurs sur fond de quête de légitimité politique personnelle en Afrique.

La confusion du temps de la campagne présidentielle de 2007 et du temps politique africain était au centre de ce discours de Dakar. Le président a, en effet, du mal à sortir du temps de sa campagne présidentielle pour véritablement se projeter dans une nouvelle dynamique de relations avec l’Afrique.

Pendant toute la campagne électorale, il n’a cessé d’user et d’abuser de la sémantique politique dans le but de "choquer" les Français et d’ouvrir les débats : celui d’une France traumatisée par la crise européenne liée à son non au référendum du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel européen, celui du mouvement des délocalisations vers les pays émergents tels que la Chine ou l’Inde avec son corollaire de chômage et de crise économique ou encore celui de la crise des banlieues en octobre et novembre 2005, révélatrice d’une crise identitaire et de l’exclusion d’une partie de la société française.

Allant dans le sens de la majorité des Français, il sait, en terme de stratégie politique, leur livrer le discours qu’ils veulent entendre. Ainsi, les thématiques sociétales ont été usées à fond et dans tous les sens : le travail avec la fameuse maxime "travailler plus pour gagner plus", la relance d’une Europe "bloquée" avec un traité européen simplifié, la surmédiatisation de la politique sécuritaire et de la lutte contre l’immigration...

Permanence des rapports ambigus

Justement, en ce qui concerne l’immigration, courant 2006, le président, à l’époque ministre de la Sécurité, avait effectué un séjour dans deux pays subsahariens, le Mali et le Bénin, pour expliquer sa politique dans ce domaine. Mais la jeunesse de ces pays ne lui avait pas réservé d’accueil chaleureux, même s’il en avait profité pour donner sa vision des nouvelles relations franco-africaines. Pour lui, il était temps de se défaire des relations ambiguës existant depuis longtemps entre la France et l’Afrique francophone.

Tout ce mouvement était dans la cadence de la précampagne présidentielle. Sinon, comment expliquer qu’après avoir martelé une certaine "rupture" dans les relations franco-africaines pour engager une nouvelle démarche dans ce sens, le président, dans sa première tournée subsaharienne, se soit rendu au Gabon, pays du dirigeant Odimba Omar Bongo, l’un des monuments vivants de la "Françafrique", au pouvoir depuis une quarantaine d’années ? "Depuis ma prise de fonction, je tente de maintenir un équilibre entre notre volonté réformatrice, qui est notre feuille de route, et la réalité", se justifie Jean-Marie Bockel, ancien socialiste passé à droite et Secrétaire d’Etat à la Coopération et la Francophonie, dans l’hebdomadaire Jeune Afrique du 5 août 2007.

Quelle est donc cette "réalité" implacable à laquelle aucun président français ne peut échapper, fût-il grand adepte de la "rupture" ? La supposée "réalité" a pris le dessus sur la "rupture". Cette "réalité", c’est la permanence des rapports ambigus entre la France et l’Afrique francophone dans le temps et dans l’espace, générateurs de toutes les incompréhensions entre français et africains, "réalité" liée à des intérêts géostratégiques et économiques.

Mais aujourd’hui, l’Afrique est au cœur d’un nouvel enjeu géopolitique international. Le "pré-carré" français en Afrique se trouve ainsi menacé dans cette nouvelle donne mondiale. "L’Afrique de Papa m’a dit" au temps du règne de Christophe Mitterrand, "émissaire officieux" de son père François Mitterrand ne doit pas voler en éclats. Comment maintenir le rythme du discours livré aux français lors de son déplacement en Afrique durant la pré-campagne présidentielle, après avoir été élu Président ? Comment s’adresser aux dirigeants africains en prenant soin de ne pas les "bousculer" et de préserver ainsi le "pré-carré" et la "réalité" implacable dans la logique de ceux qui l’ont précédé ?

Voilà tout le dilemme de Nicolas Sarkozy. Face à ce dilemme, il a choisi la solution la plus facile. Un discours inspiré de la littérature exotique coloniale sur l’Afrique qui n’ouvre pas de vrais débats politiques et économiques. Henri Guaino a fait lire au Président un discours qui plonge ses racines dans le sous-sol livresque d’une époque à jamais révolue.

La "pensée philosophique" du XIXe siècle de Hegel dans son ouvrage "La raison de l’histoire", pour qui l’Afrique, comme le reprend justement le président dans son discours est "immobile" à travers "l’homme africain" qui "jamais ne s’élance vers l’avenir", la nostalgie de l’enfance africaine de Camara Laye qui symbolise une Afrique qui "refuse de lever la tête et regarder avec confiance l’avenir", la "négritude" de Léopold Sédar Senghor dont les écrits ont fait l’objet de vives critiques dans les universités africaines.... Voici autant d’auteurs mobilisés pour ce premier discours présidentiel en Afrique subsaharienne, loin des réelles préoccupations des africains.

A Dakar, les étudiants présents dans le grand amphithéâtre "UCAD" de l’université Cheik-Anta-Diop, et non "la jeunesse africaine", auxquels le président s’est adressé voulaient, eux, entendre un autre discours, celui qui devait ouvrir les vrais débats politiques et économiques entre l’Afrique et l’Europe d’une part, et entre le monde et l’Afrique d’autre part. Ce premier discours présidentiel politico-mystico-historique ne fait pas avancer la réflexion en termes de rapports économiques entre le Nord et le Sud. J’ai lu tout le discours, de la première à la dernière ligne ; hormis ces références philosophiques et historiques d’un autre âge sur l’Afrique, il n’y a point de questions qui induisent les enjeux économiques mondiaux d’aujourd’hui.

Litanie de discours crépusculaires

Or, face à la mondialisation, l’Afrique, tout comme l’Europe et la France, doit relever de nouveaux défis. Par exemple, pourquoi ne pas avoir proposé qu’à l’avenir, on réfléchisse sur cette règle injuste non écrite qui réserve la direction du Fonds Monétaire International (FMI) à un Européen et la présidence de la Banque mondiale à un Américain ? Pourquoi ne pas revoir la représentation des pays pauvres du Sud au conseil d’administration, la revalorisation de leurs droits de vote et de l’adoption d’un mode décisionnel plus équitable au sein de cette structure financière internationale ? Pourquoi poser la question de la "bonne gouvernance" à Libreville, au Gabon et en même temps occulter le système de gouvernance de la Banque mondiale dont l’affaire Paul Wolfowitz dans sa gestion occulte se révèle un exemple frappant d’opacité ?

Il y aurait donc plusieurs types de discours selon l’interlocuteur que l’on a en face. S’il faut "choquer" pour "ouvrir le débat" comme au temps de la campagne présidentielle, le président dans son discours à Dakar s’est trompé d’époque, de sujets et a versé dans la violence symbolique des mots, en quête d’une légitimité politique en Afrique et dans la continuité du comportement politique de ses prédécesseurs de la Ve République. Continuité donc des discours de 1946 et 1958 de Brazzaville au Congo du Général De Gaulle qui furent les signes annonciateurs du "soleil des indépendances" des anciennes colonies françaises ou de celui de la Baule de François Mitterrand de 1990 annonçant le "soleil des démocraties africaines" pour les ex-colonies françaises. Eux aussi, se révélèrent en décalage total avec les réalités africaines et tous furent sans effet.

Le président a cédé lui aussi aux "chants du crépuscule" de Victor Hugo et les Africains continueront, à écouter, pendant longtemps, la longue, la très longue litanie des discours crépusculaires. Comme l’affirme Vincent Hugeux dans l’Express "La rupture peut attendre car le chef de l’Etat n’a pas tourné le dos à la Françafrique".

Mahamadou Siribie

Doctorant en sciences politiques, président de l’association "The New way’s Association"

siribiemahamadou@wanadoo.fr

Le Pays

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