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Kenya : Lourdes menaces sur la liberté de presse

Publié le lundi 27 août 2007 à 08h16min

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Il faut maintenir la pression sur les autorités kenyanes pour le retrait définitif des textes de lois qui hypothèquent gravement la liberté de presse. Certes, le président Mwai Kibaki a refusé de signer celui voté par les députés qui entendaient obliger les journalistes à dévoiler leurs sources d’information.

Mais le document doit être revu par le Parlement kenyan. Et il faut surtout éviter que de telles initiatives encouragent les dictateurs africains et leurs laquais en quête de mesures liberticides au fur et à mesure qu’avance la démocratie.

La promulgation d’une loi aussi scélérate n’aurait pourtant pas surpris, des proches de la présidence kenyane ayant, par le passé, investi une salle de rédaction et saccagé du matériel. Le Kenya nous a aussi habitués aux multiples intimidations, agressions et emprisonnements des journalistes. Comme toujours, pour justifier les abus du pouvoir d’État, de ses services de sécurité et de nombre d’acteurs politiques, dont ceux de l’opposition, l’on a avancé des dérapages, des articles partisans et des contrevérités parus dans la presse.

L’on oublie bien vite que l’univers des médias comporte aussi des journalistes mal formés, que très peu d’entre eux sont spécialisés pour traiter de certains types d’informations. L’on feint aussi d’ignorer que la culture démocratique prend du temps à insuffler ses valeurs cardinales dans les différents secteurs d’activité, y compris la presse. C’est un travail de longue haleine et très coûteux.

En désavouant le Parlement, le président Kibaki fait penser à une stratégie tendant à le présenter en dernier ressort comme un défenseur et non un pourfendeur de la liberté de presse. Ceci, afin de mieux le préparer à sa propre succession. Élu président le 29 décembre 2002, Mwai Kibaki était le candidat de la Coalition nationale Arc-en-ciel (opposition). Il a donc succédé à Daniel Arap Moi, qui avait été porté à la tête du Kenya en 1978. Par l’acte qu’il vient de poser et qui l’honore, le chef de l’État kenyan se distingue de ces dirigeants du continent qui ont du mépris pour les journalistes.

Parce que ceux-ci mettent quotidiennement à nu leurs sordides jeux d’intérêts partisans, et la carence de leur politique de développement. Mais son geste conforte la position de la presse kenyane, qui fonctionne bien en dépit des reproches qui lui sont faits. Ainsi, elle a déjà eu recours à des sources anonymes pour révéler des cas avérés de corruption à l’échelon du gouvernement. Le contribuable avait alors été dépouillé de plusieurs millions de dollars.

L’acceptation de la loi par le président aurait eu pour conséquences, entre autres, de sevrer le public de l’information essentielle. En effet, la clause introduite en dernière minute par des responsables et des députés zélés visait à dissuader toute collaboration avec la presse.

Mais pourquoi assurer à tout prix la protection des sources ? Pourquoi éviter, comme dans le cas kenyan, qu’un rédacteur en chef soit contraint de dévoiler l’identité d’une source à la police ou à la Justice ?

Dans différents corps de métier, le secret consiste dans l’obligation, sous peine de sanctions pénales, de ne jamais faire connaître les faits, encore inconnus, appris dans l’exercice de la profession. Tel est le cas du médecin, du pharmacien, du magistrat, de l’avocat ou de certains fonctionnaires. Par contre, chez le journaliste, le secret professionnel permet de couvrir ceux qui aident à la manifestation de la vérité. Il s’agit parfois de gens simples, de fonctionnaires détenant des informations inestimables, qui prennent sur eux de violer l’obligation de discrétion afin que triomphent la vérité et la justice.

Il arrive alors que les pouvoirs publics adoptent des mesures de loi qui exigent de révéler l’identité de l’informateur, surtout lorsque sont publiées des informations interdites ou susceptibles de constituer un délit. L’auteur de l’article est alors entendu comme témoin ou inculpé.

Le journaliste qui révèle l’identité de ses informateurs contre leur gré, les expose à la répression. Ce faisant, il prend le risque de se voir couper de toutes sources potentielles d’informations dans l’exercice de sa profession. Exposer sa source constitue une violation du principe incontournable de confidentialité. C’est en effet sur ce principe que repose la déontologie de la profession. Le principe de la confidentialité, comme le soutiennent les organisations de défense des journalistes, constitue "l’essence de la liberté de presse". Certes, l’anonymat cache parfois des indélicatesses.

Mais ne pas observer le principe de la confidentialité constitue un viol qui met en péril un métier, le fonctionnement d’un mécanisme qui participe de la préservation des libertés tout court. Parce qu’ils le respectent, bien des titres sont adulés à travers le monde, comme Le Canard Enchaîné dont sont si friands nombre de responsables africains. De la protection des sources dépend également la survie de parutions comme La lettre du Continent, le New York Times, le Washington Post, qui a à son actif la célèbre affaire du Watergate.

Il est vraiment déplorable que des députés se positionnent à l’avant-garde de lois liberticides, comme s’il n’y avait rien d’urgent à faire. Il apparaît que les pouvoirs publics africains privilégient les informations qui les arrangent et vouent aux gémonies celles qui les compromettent ou qui paraissent délicates. Au risque d’infantiliser le public des électeurs-citoyens.

Pour une presse libre et responsable, il faut travailler à accélérer la dépénalisation sur le continent. Ensemble, professionnels des médias et démocrates doivent faire barrage à toutes ces mesures qui entravent la marche de la démocratie et le bon fonctionnement des institutions, dont la presse. Sans presse libre et responsable, pas de liberté, pas de démocratie, pas de justice, pas de visibilité, pas de bonne gouvernance politique ni économique. L’absence de liberté de presse ouvre de larges boulevards à la corruption, à la prévarication, à la concussion, à l’anarchie et au déclin.

Le Pays

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