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France : L’honneur perdu du « French Doctor »

Publié le jeudi 23 août 2007 à 08h37min

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Jadis enfant préféré de la galaxie mitterandienne pour ses engagements et ses prises de position chevaleresques, Bernard Kouchner, surnommé le « French Doctor » est en passe de perdre l’aura qu’il avait au niveau des déshérités de la terre et ce depuis son acceptation du poste de ministre des Affaires étrangères du gouvernement Fillon. Son récent séjour en Irak est la preuve que le « médecin des pauvres » s’est assis sur ses belles convictions.

François Mitterand a dû se retourner dans sa tombe et esquisser un sourire narquois dont lui seul avait le secret, à l’annonce de la visite de Bernard Kouchner en Irak. Bien sûr, à l’heure où il est de plus en plus question de trouver une solution négociée à la crise irakienne, les analystes ne pouvaient que se féliciter de cette initiative qui visait à ajouter de la terre à la terre sur le difficile chemin de la paix en Irak.

Mais, le moment et surtout le « missi dominici » choisi pour ce faire incite à quelques réflexions sur l’immoralité de la politique, domaine où les intérêts priment sur tout, la phraséologie « révolutionnaire » étant utilisée de manière circonstancielle, juste pour émouvoir les bonnes âmes et les crédules. Sur le premier point, la visite de Kouchner en Irak apparaissait inopportune au moment où le chaos et la désolation avancée dans ce pays, incitaient plus à une concertation plus élargie (au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU par exemple) plutôt qu’à ce voyage dont on ne perçoit pas quels effets bénéfiques il pourrait avoir sur la crise irakienne.

C’est en effet un truisme d’affirmer que Moscou pas plus que Pékin ne partagent actuellement, la démarche américaine pour crever l’abcès irakien. Alors qu’il paraît évident que la solution militaire a montré ses limites objectives, George Bush a, au cours du trimestre écoulé et en vertu des pouvoirs exorbitants qui lui ont été conférés par le Congrès américain au début de la guerre, opté de renforcer les effectifs militaires américains en Irak. Au grand dam du contribuable américain qui commence à ressentir douloureusement la facture de la guerre et surtout des « boys » de l’US-Army qui se font trucider à qui mieux mieux dans les banlieues de Bagdad.

Avec l’étirement du front au Pakistan et en Afghanistan (les talibans s’y réorganisent progressivement) le tout-militaire traduit le désarroi des « néo-cons », théoriciens du remodelage du Moyen-Orient et qui se rendent à l’évidence qu’on ne refait pas l’histoire des peuples contre leur gré. Enlisement de la crise irakienne, oppositions des vues entre diplomaties des grandes puissances, cette démarche solitaire de la France vient compliquer un peu plus la donne irakienne. Une démarche d’autant plus inopportune et condamnable, qu’elle est menée par un homme, Bernard Kouchner qui nous avait habitués à des combats plus nobles.

L’image que l’on garde de ce « soldat » du socialisme militant est celle où sac de riz au dos, il débarquait sur les côtes somaliennes, ravagées par la guerre, pour apporter soutien et réconfort aux sinistrés. Plus loin, c’est tout de même Kouchner qui a porté sur les fonts baptismaux, « Médecins sans frontières », sorte d’organisation caritative dont la dénomination à elle seule est tout un symbole.

Pas d’intérêts, pas d’action

A l’analyse de son engagement actuel, on perçoit que toutes ces belles actions du « French Doctor » s’inscrivaient dans une logique universelle : défendre ses intérêts d’abord et ceux de la France ensuite. En s’engageant en effet de façon si spectaculaire et on optant pour la rupture avec le politiquement correct, Bernard Kouchner a été payé au centuple de ses efforts. D’abord secrétaire d’Etat dans l’un des gouvernements de François Mitterand, il gravira tous les échelons pour devenir ministre « plein » et jouer avec Jack Lang, les aiguilleurs de conscience du mitterandisme.

C’était l’époque « bénie » des thèses libres sur la nouvelle coopération avec l’Afrique, des thèses qui resteront juste au niveau de l’intention, la vieille structure néo-coloniale étant en place jusqu’à nos jours.
Kouchner a, en tous les cas, surfé sur cette vague populiste et, à l’avènement de Nicolas Sarkozy, autre théoricien de l’abstrait en matière de coopération « débarrassée de tout paternalisme » les deux « esprits » ne pouvaient que se rejoindre « pour mieux nous entuber » (dixit Alpha Blondy).

L’escapade de Kouchner prouve aussi qu’il est bien un produit de l’establishment français qui ne recule devant rien quand les intérêts du pays sont en jeu. La France a en effet beaucoup perdu avec la diplomatie anti-mondialiste développée par le couple Chirac-De Villepin et dont le point culminant aura été le refus de participer à la croisade contre l’Irak en février 2003. En retour, Bush a fermé le « robinet » irakien, en mettant à mal ses intérêts pétroliers dans ce pays.

Et, comme la vengeance est un plat qui se mange froid, il a complété la punition par des mesures de rétorsion économique (politique du dollar faible, contingentement des produits français) qui ont sinistré davantage une économie française déjà exsangue par son insertion mécanique dans la mondialisation qui s’est traduite par une concurrence féroce que les autres puissances lui livraient dans son pré-carré de jadis. Nicolas Sarkozy n’avait pas fait mystère de son désir de renouer les fils atlantistes, lui qui s’était déjà rendu aux USA en novembre 2006 pour faire allégeance au maître du monde.

En envoyant son « commis-voyageur » en Irak (après la Somalie) Sarkozy donne encore plus des gages de bonne foi à l’ogre américain pour l’amadouer et l’amener à lâcher une part du gâteau. C’est de bonne guerre somme toute, et, on n’en aurait pas fait tout un plat, si cette offensive de charme n’était pas menée par un homme qui tout le long de sa vie a défendu des principes contraires.

Bien sûr, il évoque la « solidarité » avec le peuple irakien, mais, le morceau est trop gros pour être avalé, la voie idoine pour exprimer cette solidarité, restant le Conseil de sécurité de l’ONU. Kouchner a brisé le rêve et, dans son for intérieur il doit se dire que même en dînant avec une longue cuillère avec le diable, on ne peut éviter les éclaboussures. Que c’est loin, mai 68.

Boubakar SY

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 23 août 2007 à 12:25, par KOALA Salif En réponse à : > France : L’honneur perdu du « French Doctor »

    belle analyse comme on aimerait en voir souvent dans la presse burkinabè. je crains cependant que l’auteur n’ai pas tout à fait compris qui est french doctor pour s’étonner autant de sa démarche. passons sur la fournée d’hommes dont Mitterrand s’était entouré. Le french Doctor doit son surnom à sa participation à Médécins sans Frontières. Mais cette ONG au-delà de tout ce qu’elle a pu faire par la suite et bien que rassemblant des femmes et des hommes de très bonne volonté reste la création voulue par le Général de Gaulle pour servir de paravent humanitaire à la guerre du Biafra qu’il a lancée contre le Nigéria avec la complicité de la Côte-d’Ivoire et du Gabon notamment. les révélations sur cette alliance vont conduire à l’éclatement de Médecins sans Frontières et la naissance de Médecins di Monde qui étrangement connait moins de succès. Quant au docteur débarquant du riz en Somalie, l’image me rappèle ces ministres africains arpantant des champs juste pour les photographes. Mais les meilleures critiques ont parlé en son temps. donc on passe sur le commentaire. Méditons surtout bien ce proverbe africain qui dit qu’il ne faut pas confondre la bauté de la coiffure à celle de la mariée. Que se passait-il au Somalie alors ? qu’est-ce qui avait provoqué la famine nécessitant le déploiment médiatique du riz ? c’était déjà une intervention occidentale Etats-Unis en tête. En faut-il d’autres ? le Kossovo dont Kouchner fut un moment l’administrateur civil. les alliés occidentaux Etats-Unis en tête soucieux de parachever la guerre froide décident de démembrer La Yougoslavie mais redoutent une explosion dans ce territoire dont le statut a été (et est) volontairement maintenu incertain. pour la tenir à l’écart de l’idée d’indépendance au moment où les frappes américaines accaparent l’essentiel des forces serbes, il faut un bon Doctor. Et Kouchner est là. C’est dire que Kouchner et les Etats-Unis, il n’y a rien de nouveau y compris jusque dans sa vie privée. C’est des Etats Unis où elle a fait ses premières classes que sa compagne Christine Okrent lui est venue en vedette de télévision. mais Kouchner n’est pas seulement un praticien. c’est un théoricien de l’interventionnisme. l’histoire du riz en était déjà une évocation. Bernard Kouchner est le théoricien de l’intervention humanitaire. il postule que lorsque lorsqu’une population est en danger, les humanitaires doivent se passer de la souveraineté des Etats concernés. C’est ce qui le propulse aujourd’hui sur le Darfour où comme par hasard il retrouve ses amis américains. étrangement on ne l’a vu ni entendu au Libéria, au Rwanda ou en Sierra Léone quand les populations traversaient l’enfer, poursuivies par les français et les intérêts français. Il est de ceux grâce à qui dans beaucoup d’esprits aujourd’hui le Darfour est déjà un Etat à part entière et non une province d’un Etat membre de l’ONU. c’est la première étape du rêve occidental : couper le Darfour et ses champs de pétrole du Soudan et en faire un
    Etat chrétien autant qu’une barrière entre Afrique Blanche et Afrique Noire. Exactement le rêve de de Gaulle avec le Biafra. pour mener de telles actions il faut des alliances. Kouchner et sa compagne sont les parain et maraine du fils de Yves Montand qui au soir de sa vie avait rejoint la Ligue mondiale de lutte contre le communisme du Révérand Moon, une obscure société dont une des activités connue est le trafic d’armes pour le compte des maquis conservateurs. Que ce Bernard Kouchner rejoigne Sarkozy l’atlantiste ne m’étonne guère. Que Mitterrand se retourne dans sa tombe, je n’y crois pas. Cet homme savait très bien ce qu’il faisait. Même en m’efforçant je n’arrive pas à trouver une seule raison d’aimer le Président Sarkozy. Mais j’admire ce qu’il est train de faire : donner à voir de quoi est capable une puissance comme la France surtout quand elle est acculée dans ses retranchements. Ceci est une réaction à vif mais c’est toujours bon de le faire.

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