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Boins-Yaaré : Il y a tout, sauf les ânes

Publié le vendredi 17 août 2007 à 06h45min

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Ne vous y trompez pas : contrairement à ce que son nom "Boins-yaaré" ("marché des ânes" en mooré) peut laisser croire, on trouve presque tout dans ce bazar à ciel ouvert, qui longe le côté Est du mur de l’aéroport de Ouaga sur plus de 200 mètres. Tout sauf les équidés qui ont disparu depuis belle lurette du site.

A "Boins-yaaré" ou "marché des ânes" en langue nationale mooré, on ne trouve plus ces bêtes qui constituaient jadis l’essentiel des marchandises. Aujourd’hui, en lieu et place des équidés, on propose aux clients toutes sortes d’articles : des matériels et matériaux de construction (brouettes, pelles, serre-joints, tôles, barres métalliques, tuyaux, portes, moules...), aux produits de la pharmacopée traditionnelle (contre les ulcères d’estomac, la toux "rebelle", la coqueluche, l’éjaculation précoce, la fièvre typhoïde...) en passant par les meubles, le matériel informatique, les disques audiovisuels et même de vieux exemplaires de journaux tels Le Point, Jeune Afrique économie, Family fun, Fokus, etc. Un vrai bazar donc à ciel ouvert où, en dehors du braiment des animaux qu’on n’entend plus, on est presque sûr de trouver tout ce qu’on veut.

Pour la petite histoire, l’origine de la dénomination "Boins-yaaré" remonte aux années 60. A cette époque, le site était une réserve qu’occupait un vendeur d’ânes nommé Issouf, affectueusement appelé "Issouf boinsé", entendez "Issouf, l’homme aux ânes" et que les commerçants qui étaient au niveau de l’actuelle BICIA (à côté de Zabr Daaga) sont venus rejoindre après leur déguerpissement. Issouf et ses équidés se retirèrent progressivement du site, laissant le champ libre à ses nouveaux occupants.

Nous ne vendons pas des produits volés

Ce lundi 13 août 2007 aux environs de 16 heures, c’est un marché où les clients ne se bousculent pas en cette saison d’hivernage que nous avons trouvé. Les échoppes faites de tôles et de bouts de bois rafistolés offrent un spectacle sinistre.

On s’y croirait dans un marché de bidonville. Curieux donc de nous voir débarquer, les locataires soupçonneux comme s’ils avaient quelque chose à se reprocher, sont d’abord réticents à nous entretenir. Mais très vite la confiance s’installa, et les langues se délièrent. Saïdou Ouédraogo : "Nous vendons tout ce qui nous tombe sous la main.

Nos principaux clients sont les entrepreneurs et les maçons. Mais nous déplorons le fait que beaucoup de gens croient que nous vendons des marchandises volées. Certes, il y a des vendeurs de ces articles, mais il ne faut pas généraliser". On comprend mieux pourquoi notre intrusion sur cette aire a fait froncer quelques sourcils. Les commerçants de Boins-yaaré, qui sont pour la plupart des revendeurs, que les mauvaises langues tiennent pour des "dealers" ou des "receleurs", proposent aussi du matériel neuf.

C’est le cas de Samuel Sawadogo qui dit exercer dans le domaine des tôles et portes depuis sa tendre enfance. Le site, plutôt glauque, est même à la pointe de la technologie. Loin d’être un marché d’infortune comme on pourrait le croire, il vit au rythme de la modernité.

Des organes génitaux d’équidés

Mahamadi Nabaloum par exemple vend des écrans d’ordinateurs, de surveillance, des imprimantes, des VCD, des magnétoscopes et des pièces de rechange. Ses appareils sont en majorité des "au revoir la France". Il rachète certains appareils plus ou moins usagés aux différents services de la place, qu’il replace : "si la machine est toujours en bon état je la revends.

Dans le cas contraire, je la démonte et j’en vends les pièces aux réparateurs de radios, télévisions et autres. En réalité, je ne répare pas les appareils, mais je connais parfaitement les noms des pièces et leur fonction".

Boins-yaaré, c’est aussi (surtout ?) la médecine traditionnelle. Les tradipraticiens, charlatans et autres vendeurs de poudre de perlimpinpin y rivalisent de décoctions et de mixtures. Sur les étals, des plantes, des racines, des feuilles, mais aussi des peaux et des os d’animaux sauvages et domestiques (lion, singe, hyène, serpent, chat, éléphant...), des têtes de caïmans, des oiseaux... Un décor baroque et mystérieux sans qu’on ne sache véritablement quel est le degré d’efficacité de ces panacées.

Issaka Ouédraogo, tradithérapeute généraliste, blanchi sous le harnais, nous a même présenté des organes génitaux mâles qu’il dit être ceux d’ânes. Ils sont utilisés dans le traitement de l’impuissance sexuelle et dans la fabrication d’aphrodisiaques. Est-ce parce que l’âne mâle a un sexe impressionnant ? Allez savoir ! Les peaux et les os, ajoute-t-il, sont surtout sollicités dans la "chimie noire".

Pour lui, on peut trouver ici tout ce que l’on veut, à condition de "vendre sa maladie" comme on dit, c’est-à-dire poser son problème, et de patienter pour qu’on porte remède à la chose. Leurs fournisseurs ne sont autres que les chasseurs du Mali, du Niger et du Gulmu.

Notre expert en pharmacopée, qui exerce ce métier depuis 1988, avoue qu’il faut être très "fort" et compétent pour ne pas perdre sa clientèle. Il reconnaît aussi travailler en collaboration avec la médecine moderne. "Je recommande à mes patients de me fournir leurs résultats d’examens avant de proposer une thérapie. Je regrette cependant que bon nombre de malades ne reviennent pas confirmer ou infirmer l’efficacité de mes médicaments".

Un autre pan important de Boins-yaaré est la présence de menuisiers. Ils confectionnent des meubles de tout genre (lits, fauteuils, armoires, tables, chaises, guéridons...), mais sont passés maîtres dans l’art d’acheter des matériels de seconde main et de les "relooker". A côté de ces "ébénistes" de fortune, un bric-à-brac de canaris, de bidons, de barriques, de bouteilles, de pneus d’occasion pour voitures et cyclomoteurs, de jantes, etc.

Une allure dantesque

Comme dans toute braderie digne de ce nom, à Boins-yaaré, "il y a de bonnes affaires à faire" pour reprendre un vieux slogan publicitaire d’une enseigne de la place. Et si, dans un pays où tout ce qui touche à l’argent est secret et presque tabou, les marchands se gardent de nous communiquer leurs chiffres d’affaires, ils nous ont en tout cas assuré tirer l’essentiel de leurs revenus dans leur activité. Ils parviennent tant bien que mal à nourrir la famille, à payer la scolarité des enfants, etc.

Mais au-delà de cette ambiance bon enfant, Boins-yaaré rencontre d’énormes difficultés. Depuis le déguerpissement vers Kalgondin jusqu’à leur réinstallation sur le site actuel, les commerçants vivent un problème d’emplacement.

En effet, des négociants tel Rasmané Abdoul Sawadogo se sont retirés hors du marché, suscitant la colère des autres qui les accusent de prendre toute la clientèle. Celui-ci s’en défend : "Ce n’est pas la mairie qui veut nous chasser, mais c’est une partie de nos camarades. Nous avons certes des hangars dans le marché, mais c’est restreint pour notre ferraille, chaque hangar faisant 4 mètres sur 6 . Nous avons même eu écho d’une rumeur selon laquelle ces mêmes individus veulent nous faire partir d’ici afin de récupérer notre coin".

Les pensionnaires de Boins-yaaré, eux-mêmes conscients de la situation, tirent la sonnette d’alarme pour que les autorités interviennent. Le conflit qui est toujours latent pourrait tourner au vinaigre si on n’y prend garde. A cela s’ajoute le problème d’aménagement du marché qui a des allures dantesques, surtout en cette saison pluvieuse où l’hygiène et la propreté ne sont pas les choses les moins partagées.

Ibrahima Diallo
Sanou Lazare (Stagiaires)

L’Observateur Paalga

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