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Le souffler-mordre de Sarkozy à Dakar

Publié le vendredi 17 août 2007 à 07h04min

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Cette expression peu française, le "souffler-mordre", traduit en nos langues, ce qu’il arrive à la souris de faire au dormeur quand celui-ci se trouve dans l’intimité la plus profonde de Morphée.

L’autre jour, c’est un exemple, notre ami El-Ali s’est rendu à Gorée - Ah ! Gorée, cette porte fatale de l’Afrique jouxtant Dakar !- et, la nuit venue, un sommeil de plomb lui vola tous ses sens. Une souris s’approcha de lui, souffla sur un premier orteil et le mordit. Ça marche, puisque notre ami dormait comme un enfant noir, c’est-à-dire comme une souche. Un deuxième orteil, El-Ali ne bougea pas. Et la fête commença : va que je te souffle dessus et que je te morde et que je te ronge ! Tant et si bien que El-Ali regagna le Faso avec, seulement, le gros orteil gauche.
Que l’on nous prête donc l’expression (le souffler-mordre) et non le fait (les orteils rongés) pour apprécier l’allocution de Sarkozy prononcée à l’Université Cheick-Anta-Diop de Dakar, le 26 juillet 2007.
D’un téléchargement à l’autre, le discours du président français nous est parvenu en 13 pages et 80 paragraphes. Pour envoûter l’Afrique, l’orateur y adopte le ton incantatoire propre aux rituels magiciques.
“J’aime l’Afrique ! ” Le plus important, à notre sens, ce n’est pas que Sarkozy ait dit cela : parce que les négriers aussi aimaient l’Afrique, tout comme le bûcheron adore le bois mort. Le plus important, c’est que Sarkozy ait invité les Africains à entrer dans l’histoire présente. “Le drame de l’Afrique", dit-il, "c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui, depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.” Sans doute, cette représentation d’un ordre harmonieux et immobile, producteur de sens et de valeurs, n’est pas propre aux Africains. L’Europe de l’Ordo missae et même des grandes épopées coloniales se représentaient aussi un certain monde prédonné au nom duquel il fallait remodeler idéologiquement les peuples conquis Il n’empêche, c’est l’Afrique qui tarde à sortir de ses mythes et légendes, c’est l’Afrique qui refuse d’écrire et de raconter des mondes inédits. C’est dans ce sens que nous avons déjà proposé, dans cette rubrique même, de brûler la négritude, cette poétique de la souffrance qui gronde, mais n’éclate jamais. Nous sommes donc de ceux qui accueillent le propos de Sarkozy avec le défi qu’il suppose : “ Vouloir se donner les moyens de conjurer le malheur. ” (Dixit).

Pour relever le défi, l’orateur donne ce conseil d’une suprême importance aux jeunes d’Afrique : “ Ne cédez pas, leur dit-il, à la tentation de la pureté parce qu’elle est une maladie, une maladie de l’intelligence et qui est ce qu’il y a de plus dangereux au monde [...] La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance. La pureté est un fanatisme qui conduit au fanatisme. ” Celui qui ne veut pas s’encombrer de casuistique comprend que le développement et l’histoire modernes n’ont pas de comptes à rendre à la morale. C’est la science amorale et la politique immorale qui conduisent le monde. Et elles le conduisent comme un soldat conduit un char d’assaut pour tuer les résistants et dominer les survivants.
Sans doute, la notion et la pratique du développement ne sont pas dénuées d’éthique. Mais l’Occident s’en tient, aujourd’hui, à une éthique de responsabilité et creuse en cela l’écart avec l’Afrique et tous ceux qui s’attachent encore à l’éthique de conviction. Pour ce qui est des intérêts occidentaux, l’Occident n’a reculé devant aucune horreur, cette horreur fût-elle, de ses mains, administrée contre lui-même. Voici ce que W. Shakespeare écrit dans ses Œuvres complètes : “ De 1791 à 1814, la France seule, luttant contre l’Europe coalisée par l’Angleterre, la France contrainte et forcée, a dépensé en boucherie pour la gloire militaire et aussi, ajoutons-le, pour la défense du territoire, cinq millions d’hommes, c’est-à-dire six cents hommes par jour. L’Europe, en y comprenant le chiffre de la France, a dépensé seize millions six cent mille hommes, c’est-à-dire deux mille morts par jour pendant vingt-trois ans”. Des gens qui sont capables de se faire cela entre cousins, d’organiser même la “guerre de cent ans”, faut-il leur demander de réparer des torts qu’ils ont causés à des macaques qu’ils ont écorchés en voulant les capturer ? Puisque l’orateur pense que “ nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères ” et que, par conséquent, il n’est pas “ venu parler de repentance ”, nous voulons le rassurer : nous sommes de ceux qui ne savent que faire d’une telle “ repentance.” Ce que l’Occident ne sait pas faire pour lui-même, regretter ses boucheries intra muros, qu’il ne le fasse pas pour nous. Sur cette terre des hommes, l’Occident a posé des actes que le respect dû à l’humanité devrait nous empêcher de rappeler, en poète inspiré, ou en politiste, voire en politique amusé. Le silence a toujours été la pudeur des survivants. Personne, sur cette terre, n’est suffisamment homme pour excuser tant d’humiliations infligées à l’homme. Jusqu’à la création de l’humanité prochaine, l’Occident doit rester ce qu’il est : hautain, inflexible, debout et intraitable, avec le rocher de la honte sur la tête ! Pour que les gens de Tumbdu et de Yaango le voient, portant au front, les symboles absolus de l’inhumanité comme marques de son humanité.
Merci donc au président Sarkozy de nous rappeler que l’attachement à la pureté est ce qui rend les peuples vendables et achetables dans l’histoire et que l’éthique de conviction n’appartient qu’aux dinosauriens et aux stégocéphales. Que l’on nous permette, maintenant, de poser trois questions à l’orateur président Nicolas Sarkozy.
L’un des mots en odeur de sainteté dans l’allocution de Sarkozy, c’est celui d’ami et ses dérivés. A la quatrième ligne du discours, par exemple, ils reviennent jusqu’à quatre fois. Pour ce qui est d’aimer l’Afrique et les Africains, M. Sarkozy les aime donc : avec la langue, avec les mots et du fond du cœur. Pourtant, nous nous sommes laissé dire que “la France n’a pas d’amis, mais des intérêts. ” D’où, notre première question : depuis quand donc, la France s’est-elle mise à avoir des amis pour être oublieuse de ses intérêts ?
Secundo, le discours a été prononcé à l’Université Cheik- Anta-Diop de Dakar. Tandis que le savant et égyptologue africain n’a eu droit à aucune citation (ne serait-ce que pour honorer sa mémoire et son combat), le poète et académicien français a été cité plusieurs fois (pour rendre justice à la négritude et à l’enfant de Dilor, dans le département sénégalais de Joal). Voici ce que Sarkozy aime de Senghor : “ Le français nous a fait don de ses mots abstraits - si rares en nos langues maternelles. Chez nous, les mots sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang ; les mots du français, eux, rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit.” Sarkozy se plait donc à citer Senghor à l’endroit où celui-ci s’est trompé, ce qui signifie qu’ils se trompent tous deux. Aujourd’hui, qui oserait affirmer que les langues africaines ne sont pas capables d’abstraction ? Bref ! Nous voulons savoir pourquoi Sarkozy a commis un acte d’injustice, délibérément, en ne citant pas Cheick Anta Diop dans “son ” Université ? A la rage de vaincre qui consuma Diop, Sarkozy préfère le courage de négocier qui habita Senghor. Doublons la question : Sarkozy veut-il vraiment l’indépendance de ses amis africains ? Senghor, la négritude et le passé symbolisent la défaite de l’Afrique. Celui qui demande aux jeunes Africains de ne pas sortir de cette ornière n’est pas l’ami de l’Afrique.

“Jeunes d’Afrique... vous voulez une autre mondialisation avec plus d’humanité, avec plus de justice, avec plus de [...] Je suis venu vous dire que la France le veut aussi. Elle veut se battre avec l’Europe, elle veut se battre avec l’Afrique, elle veut se battre avec tous ceux qui, dans le monde, veulent changer la mondialisation. Si l’Afrique, la France et l’Europe le veulent ensemble, alors nous réussirons”. Notre troisième question est la suivante : l’Afrique doit-elle attendre de réussir avec la France et l’Europe ? L’attente dure plus de cent ans. La liste incomplète de Sarkozy - Afrique, France, Europe - est “un piège à cous”, si Sartre nous passe l’expression. La rage de vaincre d’un Cheick Anta Diop, que Sarkozy ne cite justement pas, nous enseigne de compter sur nous-mêmes d’abord, sur les absents à cette liste ensuite : l’Amérique, la Chine, l’Inde, ... par exemple.
Pour terminer, progressons vers l’origine de notre propos et le lieu où se tint l’allocution : le Sénégal. Sarkozy dit : “Entre le Sénégal et la France, l’histoire a tissé les liens d’une amitié que nul ne peut défaire [...] C’est pour cela que j’ai souhaité adresser, de Dakar, le salut fraternel de la France à l’Afrique toute entière ”. Ce n’est pas la première fois qu’on salue l’Afrique depuis Dakar. Dakar n’est pas loin de Gorée. Gorée n’est pas loin de nos insomnies. Et ces insomnies, mises les unes à la suite des autres, font le tissu de notre mémoire. Contre la magnanimité des Sénégalais, il faut dire que l’histoire a fait de leur côte, la porte fatale de l’Afrique. Ce n’est jamais pour revenir sain et sauf qu’on part de là et ce n’est jamais innocemment qu’on y entre.
L’histoire suit son cours. Le petit-fils en veste ressemble à son grand-père en redingote. Leurs discours sont en tout, les mêmes, exceptée la fumée qui en sort.

Ibrahiman SAKANDE

Sidwaya

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