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Les biocarburants : Un trompe-l’œil pour l’Afrique ?

Publié le lundi 2 juillet 2007 à 08h09min

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La demande des pays riches en biocarburants explose, faisant grimper les cours mondiaux des céréales et des oléagineux. En Afrique, la facture de ces importations s’alourdit et le boom des cultures énergétiques risque
de concurrencer dangereusement les cultures alimentaires.

Manger à sa faim coûte de plus en plus cher en Afrique. Dans un rapport publié le 7 juin dernier*, la FAO estime que les pays en développement devraient être confrontés à une augmentation de 9% de leurs dépenses globales d’importations alimentaires en 2007. Dans les pays pauvres, le panier d’importations alimentaires coûtera en moyenne cette année, 90% de plus qu’en 2000 !

D’après la FAO, si la facture mondiale des importations alimentaires s’alourdit, c’est "principalement en raison de la forte demande sur les biocarburants qui dope les prix", en particulier ceux des céréales et des oléagineux (huile et tourteaux). L’idée d’utiliser des végétaux pour fabriquer des carburants est dans l’air depuis les deux crises pétrolières des années 1970, mais la forte hausse du pétrole depuis 2004 autour de 70 $ le baril actuellement et l’épuisement annoncé de l’or noir, l’a fait se concrétiser rapidement.

Consommateur précurseur, le Brésil produit à l’heure actuelle, essentiellement à partir de la canne à sucre, plus de 12 milliards de litres de biocarburants par an, soit près du tiers de la production mondiale. Dans les 18 mois à venir, la capacité de production américaine de biocarburants devrait doubler et remplacer 7% du pétrole consommé. L’UE table de son côté sur une utilisation d’un peu moins de 6 % de biocarburants à la fin de la décennie, mais ce taux pourrait être porté à 10 %.

Réservoirs pleins et ventres vides ?

Présentés tout d’abord comme une solution écologique à la crise pétrolière, les biocarburants sont à présent de plus en plus contestés. Leur bilan énergétique et économique global apparaît moins bon que prévu car ils sont gourmands en énergie, coûteux à cultiver, à collecter et à transformer. Et surtout, ils instaurent une concurrence redoutable entre cultures énergétiques et cultures alimentaires. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) note que si leur production augmente encore de manière significative, les besoins en terres seront considérables.

Sur la base des consommations de 2004, il faudrait en effet cultiver six fois la surface terrestre si on voulait remplacer tous les carburants fossiles par des biocarburants ! Pour faire le plein d’un gros 4x4 avec de l’éthanol pur, il faut plus de 200 kg de maïs, soit assez de calories pour nourrir une personne pendant un an... La demande de céréales comme le maïs ou le soja à des fins énergétiques tire les cours mondiaux à la hausse et réduit la disponibilité de céréales alimentaires.

Par ricochet, les cours de toutes les céréales, y compris celles dont on ne tire pas de biocarburants comme le riz, sont tirés vers le haut. Ce qui pénalise les consommateurs des pays africains à faible revenu et gros importateurs. D’après l’International Food Policy Research Institute (IFPRI), un institut américain de recherche sur les politiques alimentaires, compte tenu des prix élevés du pétrole, l’augmentation de la production des biocarburants entraînera une hausse des cours mondiaux du maïs de 20% d’ici à 2010 et de 41% à l’horizon 2020.

Détournement de manioc

L’exemple du manioc, excellente source d’éthanol, est, lui aussi, très inquiétant. Sur les mêmes périodes, dans les régions les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, son prix devrait augmenter de 33 et de 135% ! En 2007, d’après la FAO, la production mondiale de ce tubercule "pourrait être supérieure au niveau record de l’an passé compte tenu des mesures visant à accroître l’utilisation de cette culture dans les plus grands pays producteurs, en particulier à des fins industrielles, notamment pour la production d’éthanol". Plusieurs pays africains, dont le Nigeria, envisagent de produire de l’éthanol à partir de l’amidon de manioc, à l’échelle industrielle.

Beaucoup craignent une catastrophe alimentaire dans la mesure où cette culture, qui assure plus de la moitié de la production mondiale, satisfait un tiers des besoins caloriques des populations d’Afrique subsaharienne. C’est l’aliment principal de plus de 200 millions d’Africains parmi les plus pauvres, soit plus d’un quart de la population du continent.

A l’échelle de la planète, selon les prévisions les plus alarmistes, si les prix alimentaires, boostés par la demande en biocarburants, continuent d’augmenter au même rythme, plus d’un milliard de personnes risquent de ne plus manger à leur faim en 2025.

Alternatives

Des solutions alternatives existent cependant pour développer le pétrole vert sans nuire à la sécurité alimentaire. Certains évoquent la piste prometteuse du jatropha ou pourghère, une plante vénéneuse non-comestible résistante à la sécheresse et facile d’entretien qui pousse spontanément dans les régions tropicales. Des investissements pour la cultiver existent un peu partout sur le continent (Afrique du Sud, Madagascar, Malawi, Mali, Swaziland, Zambie...).

Autre piste, à plus long terme celle-ci : les biocarburants dits de deuxième génération, fabriqués à partir de la biomasse (déchets forestiers, paille...). A l’heure actuelle, les coûts de récolte, de transport et de transformation de ces matières végétales restent élevés et les subventions et avantages fiscaux accordés aux producteurs, notamment aux Etats-Unis, favorisent encore l’emploi du maïs et du soja. En attendant, le pétrole vert fera peut-être l’affaire des producteurs du Nord comme du Sud. Les consommateurs africains, eux, risquent de rester sur leur faim.

Emmanuel de Solère STINTZY,
SYFIA International

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