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Décès de Sembène Ousmane : L’association "Images de l’autre" fait l’oraison funèbre de l’illustre disparu

Publié le samedi 30 juin 2007 à 13h46min

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Sembène Ousmane

Le cinéaste et écrivain sénégalais Sembène Ousmane, décédé le dimanche 10 juin 2007, continue d’être honoré par le monde des arts et de la culture. Dans cet écrit qui suit, l’association culturelle "Images de l’autre" rend hommage au grand homme de culture en mettant en relief son impressionnant parcours littéraire et cinématographique.

Nous ne verrons plus la silhouette imposante de Sembène Ousmane légèrement penchée en avant, sa pipe dans le coin de sa bouche et soutenue par sa main droite et arpentant d’un pas ferme les couloirs des salles de cinéma et des festivals. Sembène Ousmane le doyen, l’un des pionniers des cinéastes africains est décédé le samedi 9 juin 2007 à son domicile à Yoff (Dakar) à l’âge de 84 ans des suites d’une maladie qui le rongeait depuis plusieurs mois. Le grand baobab s’est affaissé mais il nous laisse en héritage des graines pour des semences d’espoir.

Né à Ziguinchor en Casamance en 1923, cet autodidacte formé à la dure école de la vie s’est affirmé au fil des années comme un écrivain et un cinéaste prolifique. Ses multiples œuvres littéraires et cinématographiques sont marquées du sceau indélébile de l’engagement militant et du levain pour l’éveil des consciences des peuples africains dans leur quête de liberté et de justice sociale.

Issu d’une famille modeste (le père est pêcheur et la mère femme de ménage), Sembène n’a guère passé beaucoup de temps sur les bancs de l’école. Il en a été exclu pour indiscipline. Son esprit rebelle ne cadrait pas avec la logique assimilatrice de l’école coloniale. Sembène découvre le cinéma sur les écrans d’une salle de cinéma à Ziguinchor dans les années trente. La fascination devant les films des « toubabs » comme Charlot, Keaton, Mc Carey, etc... vont influer sa passion pour les images. Mais son cheminement vers la carrière se fait sur les sentiers escarpés de la condition humaine puis de la formation à l’âge de 40 ans au « Gorki Studio » une école de cinéma à Moscou.

La route de Moscou passe d’abord par l’émigration clandestine vers la France. Sembène s’établit à Marseille et travaille comme docker au port. Ces années d’expérience de la condition ouvrière constituent une ouverture vers l’acquisition d’une culture politique au sein du Parti communiste français (PCF) et de la Confédération générale du travail (CGT). Il en sort un roman « Le docker noir ».

Mais l’écrivain se trouve confronté à la difficulté de toucher les publics en l’occurrence les populations africaines. La littérature africaine d’expression française a peu de chance d’être lue par des gens analphabètes. Le cinéma grâce à la force cognitive de l’image peut les toucher plus facilement et à une large échelle. D’où la célèbre formule de Sembène assimilant le cinéma à « une école du soir ».

La filmographie de Sembène Ousmane nous livre des films ancrés sur les réalités socioculturelles des sociétés africaines en pleine mutation au sortir de la longue nuit coloniale. L’espoir suscité par le « soleil des indépendances » des années 1960 sera vite anéanti par l’irruption sur la scène politique des nouvelles bourgeoisies africaines prédatrices. Sembène à travers ses romans comme ses films les dépeint avec une ironie mordante et dévoile les tares des sociétés (misère, corruption, etc.).

Son premier contact avec l’art du cinéma fut le tournage du film « Rendez-vous des quais » avec le cinéaste français Paul Carpita en 1946. Sembène prend son envol et réalise son premier film en 1963 à l’âge de 40 ans : le court métrage intitulé « Borom Saret ». Il s’agit d’une fiction construite comme une fable qui raconte l’histoire d’un charretier sanctionné pour avoir osé pénétrer dans les quartiers riches de Dakar avec sa charrette. Les agents de police confisquent son outil de travail.

Ce film suscite lors de sa première séance de projection un moment d’émotion intense pour les publics africains qui voient sur les écrans un homme simple, l’incarnation des humbles frappés quotidiennement dans leur dignité par l’arbitraire des puissants. Ce film en noir et blanc use de très peu de dialogues et dans une esthétique épurée atteint aussi une dimension universelle.

En 1966, il réalise « La Noire de... » considéré comme le premier long métrage des cinémas d’Afrique subsaharienne. Il obtient le Tanit d’or le premier prix du Festival de Carthage. En 1968 le film « Le Mandat » (Mamdabi). Les errances d’un chef de famille d’un quartier populaire de Dakar dans les dédales de l’administration pour percevoir un mandat envoyé de France par un émigré. Ce film est une peinture caustique de la misère sociale et morale en milieu urbain.

Une longue parenthèse s’installe dans son parcours cinématographique avant la réalisation du long métrage « Ceddo » en 1976. Ce film va subir les fourches caudines de la censure du gouvernement sénégalais. Le film montre la résistance des populations d’un village attachées à leurs cultes ancestraux face à la pénétration de l’islam.

Le thème de la mémoire occupe également une place essentielle dans les œuvres du doyen. Citons entre autres « Emitai » qui montre la révolte des populations contre les réquisitions forcées de riz dans un village pour les efforts de guerre en France. Mais son film de grande envergure demeure incontestablement « Le camp de Thiaroye » réalisé en 1988. Il porte à l’écran le massacre des soldats africains en 1944 par l’armée française dans un camp militaire à la périphérie de Dakar. Ces soldats avaient organisé une révolte pour réclamer leurs indemnités de guerre et leurs pensions.

Sembène Ousmane a dévoilé ce massacre longtemps occulté et a rendu ainsi hommage à ces tirailleurs, ses collègues car lui-même a été enrôlé dans l’armée française en 1942. Il a raconté ses motivations profondes dans la réalisation de ce film lors de sa venue à Bordeaux en novembre 2000 à l’invitation de l’Union des travailleurs sénégalais en France (Action Revendicative) section de Bordeaux. Il avait participé aux cérémonies commémoratives du 11 novembre et au cimetière de Lateste devant la stèle en hommage aux tirailleurs africains.

Après la projection du film à la salle Simone-Signoret de Cenon, Sembène Ousmane devant un public multiculturel a expliqué qu’il a réalisé ce film pour un devoir de mémoire mais aussi pour nourrir des relations de paix et de solidarité entre les peuples. Ce film a obtenu le prix spécial du jury au Festival de Venise mais n’a pas trouvé de distributeur en France.
Tout en consacrant ses énergies à réunir les moyens pour réaliser ses films, Sembène Ousmane prend une part active aux différentes initiatives prises par les cinéastes africains pour la promotion des productions cinématographiques sur le continent.

Le doyen par sa sagesse et la force de ses convictions jamais éteinte a été tout au long de sa vie une grande source d’inspiration pour les jeunes générations. Il a marqué de sa présence constante les éditions du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO) au Burkina Faso. Avec les années 2000, Sembène enrichit son travail créatif à travers le projet d’un triptyque où les femmes africaines sont à l’honneur. « J’avais décidé de faire un triptyque sur l’Afrique moderne, sur les femmes et les hommes d’aujourd’hui, à la ville et à la campagne. La campagne africaine n’est plus ce qu’elle était même si les traditions sont restées.

Parmi les coutumes, il y a des choses à enlever et l’excision, contre laquelle de nombreuses femmes militent en fait partie. Cette évolution lente de l’ Afrique, c’est ce que j’appelle l’héroïsme au quotidien. Ce sont des gens dont on ne parle jamais et qui font bouger l’Afrique ». Les deux films de ce triptyque sont « Faat Kiné (l’héroïsme au féminin) et « Mooladé » qui a eu un grand succès dans les festivals internationaux et a obtenu le prix « Un certain regard » à la 57e édition du Festival de Cannes en 2004.

Le dernier film de ce projet « La confrérie des rats » était au stade de l’écriture.Un juge assassiné pour ses investigations sur un enrichissement illicite. Sembène avait aussi un projet fétiche non réalisé :le film sur l’épopée du grand résistant à la colonisation française Samory Touré. Cette longue et brillante carrière cinématographique a été accompagnée d’une production littéraire importante. Quelques titres à son actif : « Le dernier de l’empire », « Les bouts de bois de Dieu », « Ninwan », « O pays, mon beau pays », « Voltaïque », « Xala », etc.

L’ombre de Sembène Ousmane, le doyen, va encore longtemps hanter nos esprits. Les hommages affluent du monde entier pour saluer son œuvre. Les 10e Rencontres cinématographiques africaines organisées par Cinéma Africain Promotion-Regards d’Afrique en octobre prochain vont lui consacrer une journée.

Selon le poète Birago Diop,
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans l’eau qui dort,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts ».

P/L’Association Culturelle « Images de l’Autre »
Dragoss OUEDRAOGO,Cinéaste Réalisateur

Professeur Chargé de cours d’Anthropologie visuelle au Département d’Anthropologie sociale-Ethnologie
Université Victor Segalen Bordeaux 2

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