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SITARAIL : Quand la leçon de l’histoire réfute la logique du tout business

Publié le mardi 12 juin 2007 à 08h06min

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Sauf en Afrique de l’Ouest et plus précisément l’axe ferroviaire Abidjan-Niger, partout ailleurs dans le monde, le chemin de fer a été à la fois un outil social et un puissant levier de développement jamais démenti depuis 1830.

L’histoire du chemin de fer Abidjan-Niger qui est également l’histoire de la main d’œuvre voltaïque, s’étend de 1904 à 1954 et magnifie le courage des travailleurs, leur esprit de sacrifice et la clairvoyance de certains chefs coutumiers grâce auxquels les travaux pourront être conduits à bien.

Outil de transport totalement intégré, le rail, de par sa spécificité, fait vivre des milliers de personnes indépendamment des cheminots.

On comprend mal que malgré ce passif historique qui en fait d’office un outil social pour l’ensemble des Burkinabè, des repreneurs ayant résolument l’œil sur leur chiffre d’affaires jettent dans la rue des milliers de cheminots et fassent du rail une chose sans âme qui accroît la richesse des uns et la paupérisation des autres au nom du tout business.

Le transport ferroviaire est un grand pourvoyeur d’emplois et à cause de cela, joue un rôle économique important dans tous les pays où il a été construit. Une étude menée en 1999 a montré qu’en France par exemple plus d’un million trois cent mille personnes vivent grâce au chemin de fer. En grande Bretagne, ce serait le double de ce chiffre. Par ailleurs, malgré la croissance continue des vitesses et des charges à l’essieu, nulle part au monde, le train n’a perdu sa vocation sociale.

Le paradoxe de l’Abidjan-Niger est justement d’être en porte-à-faux d’avec sa vocation première alors que tout destinait cet axe à jouer un rôle économique et social autrement plus important à cause de sa gestation difficile et des milliers de travailleurs qui y ont usé leurs forces ou laissé leur vie.

En effet, la construction d’un chemin de fer reliant la côte au bassin du Niger fut envisagée dès 1893 par le capitaine Marchand, mais ce sera en 1903 que le capitaine Crosson Duplessis aura pour mission d’étudier une ligne Abidjan-Ery Macouguie et de lever des itinéraires susceptibles de servir d’axe à un prolongement vers le Nord. Ainsi le premier coup de pioche de l’Abidjan-Niger est donné le 12 janvier 1904 par les troupes du génie.

En 1905, les rails atteignaient Azaguié (PK 41) et la section est aussitôt ouverte au trafic. Agboville, (PK 82) sera atteint en 1906 et Rubino (PK 101) en 1907. Il faut signaler que le nom Rubino donné à ce PK est celui d’un des ingénieurs du chantier assassiné sur ce site lors d’une révolte des autochtones. Le 20 septembre 1910, les rails arrivaient à Dimbokro (PK 183) et à Bouaké (PK 316) le 20 août 1912.

A Bouaké, le chantier fut suspendu à cause de la guerre (1914-1918) et ne fut rouvert qu’en juin 1919. Le 9 janvier 1932 c’est au tour de Banfora (PK 699) de fêter le rail tandis que Pény (PK 757) voyait le chemin de fer pour la première fois en 1933 et Bobo-Dioulasso, PK (796) et terminus provisoire devenait la première gare importante de Haute-Volta en 1934.

La main d’œuvre voltaïque et l’histoire du chemin de fer Abidjan-Niger

Tout au long de la construction du chemin de fer et particulièrement après la révolte qui aboutit à l’assassinat de Rubino en 1907, la main d’œuvre qui permit l’existence de l’Abidjan-Niger fut fournie par la Haute-Volta.
Le plateau Mossi alors très peuplé et surtout organisé et discipliné sous la houlette de chefs locaux enverra les travailleurs par milliers sur les chantiers. Le Moro Naaba d’alors qui était le Naaba Koom comprit très vite l’importance du rail pour son pays et s’investit au mieux pour que les rails arrivent à Ouagadougou. En effet, à partir de Bobo-Dioulasso, le prolongement de la ligne fut d’abord envisagé vers Koutiala au Mali mais le Naaba Koom, se rendit à Abidjan et plaida pour un prolongement de la voie vers Ouagadougou car elle était l’œuvre des Voltaïques.

C’est ainsi que les missions Jarres et Tande étudièrent le prolongement vers Ouagadougou. Il semble d’ailleurs qu’il est de tradition chez les cheminots de rendre visite chaque année au Moro Naaba en guise de reconnaissance pour l’action de ses pères à l’avènement du rail en Haute-Volta. Le prolongement fut décidé en 1938 mais les travaux furent interrompus en 1941 à cause de la seconde guerre mondiale (1939-1945). Ils furent repris à la fin des hostilités et le rail put ainsi atteindre Koudougou (PK 1052) le 15 mai 1953 et Ouagadougou (PK 1145) le 23 octobre 1954.

Le chemin de fer a été exploité par l’administration jusqu’à ce que fût créée la Régie du chemin de fer Abidjan-Niger le 1er août 1954, organisme à caractère industriel et commercial qui exploite les voies ferrées installées en Côte d’Ivoire et en Haute-Volta.

De la séparation de la gestion

En abrogeant, en mai 1989 la convention fixant organisation et fonctionnement du chemin de fer Abidjan-Niger, le Burkina Faso (ex Haute-Volta) et la Côte d’Ivoire ont marqué leur volonté de mettre en place la gestion séparée dudit chemin de fer. Ainsi, les deux pays ont également signé le même jour un accord-cadre de coopération ferroviaire dans le but d’accroître les échanges entre eux et consolider le rôle du chemin de fer comme l’un des facteurs privilégiés de développement des deux Etats.

Pour atteindre les objectifs de coopération définis dans l’accord-cadre, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont décidé de confier l’exploitation de l’axe ferroviaire Abidjan-Kaya à une société concessionnaire à capital privé majoritaire et la gestion des patrimoines à des sociétés de patrimoine.

A l’issue d’un appel d’offres international lancé à cet effet, le groupement SITARAIL composé des sociétés SICC, SAGA, SDV, SOFRERAIL, COFAMA et NEGOCE OP a été déclaré adjudicataire, autorités concédantes et concessionnaire convenant que le service public national et international sera exploité selon les principes de liberté tarifaire et commerciale. C’est la faille qui permettra à SITARAIL qui démarrera ses activités en 1995, de dégraisser ses effectifs avec une vertigineuse intransigeance et de miser sur le frêt parce qu’il rapporte plus. Ainsi, le tout business entrait de plain-pied sur un chemin pavé de la sueur, du sang et de l’espérance de milliers de nationaux.

Penser au social pour redonner toutes ses lettres de noblesse au chemin de fer

Le chemin de fer étant le seul moyen de transport totalement intégré, on en déduit que les infrastructures qui permettent son fonctionnement en constituent le patrimoine principal. Cependant en raison de son caractère national et surtout historique, ce patrimoine ne peut être vendu.

De ce fait, la concession de l’usufruit d’un tel patrimoine à des personnes morales à capitaux privés, si elle obéit au diktat des sociétés financières internationales n’en réfute pas moins dans le fond le caractère éminemment social du transport ferroviaire. Il n’est un secret pour personne que la plus petite des gares où le train fait une halte dans le hameau le plus désolé devient très rapidement un pôle économique pour toutes les agglomérations qui lui sont voisines. Tel producteur acheminera sa tonne d’oignons par traction asine jusqu’à cette gare d’où, transporté au centre urbain le plus proche, le fruit de son labeur lui rapportera de quoi subvenir à ses besoins.

Tel paysan abattra sa chèvre, en conservera boyaux, tête et pattes puis vendra la carcasse à des voyageurs de passage à un prix qui arrange tout le monde. Telle bande de gamins ayant fait la chasse au lièvre se rendra directement à la gare avec son gibier qui sera aussitôt acheté... Créer la vie, susciter l’activité, constituer un pôle de développement, c’est ça aussi le rail, c’est ça surtout le rail. Ils sont nombreux, les cheminots qui sont aujourd’hui sur le carreau ou qui ont une retraite « exploitable ».

Plutôt que de laisser une partie du patrimoine se désagréger et tomber en ruine, les anciens cheminots organisés au sein d’une association créée à cet effet peuvent faire revivre le rail et réveiller les petites gares en exploitant des créneaux que SITARAIL a laissés en jachère parce que peu rentables. Le train voyageur par exemple peut constituer une activité qui, menée adroitement par des vétérans, rapportera des bénéfices journaliers substantiels. Une formule juridique peut être trouvée et qui concilie les intérêts de tout le monde en mémoire de ceux qui ont usé leur vigueur à la construction de cet héritage.

Si une association de cheminots venait à voir le jour dans le but de faire revivre le rail et procurer des emplois, après avoir touché les personnes ressources nécessaires et les autorités en charge du rail, ne peut-elle pas, à partir d’accords spécifiques, disposer de locomotives et de wagons voyageurs qui feront une navette journalière vers les destinations les plus demandées ? Il ne s’agit en aucun cas de faire la concurrence à SITARAIL mais d’insérer dans les activités de cette dernière un supplément qui est délaissé alors qu’il peut faire vivre des cheminots professionnels. Où trouver les sommes d’argent nécessaires à la mise en place d’une telle activité ?

La réflexion doit être poursuivie. Mais, le rail doit revivre, c’est une infrastructure vitale pour l’économie burkinabè.

Luc NANA

L’Hebdo

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