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Gratuité des antiretroviraux : Vous avez dit arnaque ?

Publié le jeudi 6 mai 2004 à 11h19min

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Alain Yoda

Le coordonnateur national du Réseau Accès aux médicaments
essentiels (RAME), Simon Kaboré, a tiré la sonnette d’alarme
dans notre édition du 19 avril, sur la politique du gouvernement
visant à "fixer un prix à des médicaments offerts gratuitement par
la communauté internationale". Préparait-on ainsi une arnaque
 ? Interpellé, le ministre de la Santé, Alain Yoda, a décidé de
prendre sa plume. Voici ses explications .

J’ai lu avec intérêt dans la presse votre réaction relative à
l’annonce faite par son Excellence monsieur le Premier ministre
dans son discours sur la situation de la nation le 8 mars 2004
devant les députés "de rabattre les coûts de traitement des
malades du Sida à 8 000 F CFA par personne et par mois".

En
tant que 1er vice-président du Conseil national de lutte contre le
Sida, il est de mon devoir de vous apporter quelques réponses
aux inquiétudes soulevées dans votre écrit adressé au
président de l’Assemblée nationale.
En effet, l’ambition du gouvernement évoquée par monsieur le
Premier ministre est fondée sur le fait que les efforts déployés
par notre pays ont motivé plusieurs partenaires bilatéraux et
multilatéraux ainsi que des responsables du secteur privé à
nous appuyer pour rendre accessibles les ARV
géographiquement et financièrement au profit d’un nombre de
malades bien déterminé.

L’intervention du Fonds mondial de lutte contre le Sida, la
tuberculose et le paludisme à laquelle vous vous intéressez,
est de cela. Acquise sur la base d’une requête, elle est destinée
à la prise en charge et au suivi biologique pendant deux ans
d’environ 3570 malades, au coût actuel des ARV.
La convention y relative, a été signée avec le PNUD le 30
octobre 2003 pour un montant de 7 130 400 dollars soit 4,278
milliards de FCFA.

Le PNUD assure donc la gestion des
ressources du fonds pour le compte du Burkina Faso, sous la
supervision d’un comité de gestion(CCM) mis en place en mars
2002 et qui comprend entre autres , des représentants des
ONG/Associations de lutte contre le Sida et des personnes
vivant avec le VIH (PvVIH).

Cette requête a été acceptée sur la base d’un dossier soumis
au Fonds et qui prévoit la contribution de chaque malade
bénéficiaire. Ce qui permet de constituer un fonds de
pérennisation afin qu’au terme du programme, les malades
puissent continuer à s’offrir les ARV à moindre coût. Cette
démarche est d’autant plus pertinente que le traitement par les
ARV demeure encore un traitement à vie.

En rappel

1- La requête initiale introduite auprès du Fonds mondial en
mars 2002 puis amendée et réintroduite en septembre 2002,
prévoyait une contribution des malades de 18 000 F CFA/mois
sur un coût global de 90 000 F CFA/mois.
Pour la mise en oeuvre, et tenant compte de la baisse du coût
des médicaments, la contribution demandée est de 8 000
FCFA/mois sur un coût global estimé à 50 000 F CFA/mois.

Il est évident que cette contribution attendue des patients, qui
prend en compte les coûts des ARV et du suivi biologique,
pourrait encore diminuer si les prix des médicaments
continuaient à baisser.

2- Le Fonds mondial a approuvé la requête du Burkina Faso
pour un montant global de 19 281 548 USD pour quatre (04) ans
mais n’a accordé le financement que pour les deux premières
années soit 7 130 400 USD comme indiqué précédemment et
dont répartition suit :
- 45,2% soit 3 222 000 USD (1 933 200 000 F CFA) pour les
ARV et le suivi biologique, ce qui est loin des 5 milliards que
vous annoncez ;
- 37% soit 2 638 400 USD (1 583 040 000 F CFA) pour le
renforcement des capacités des formations sanitaires
(équipement, réhabilitation d’infrastructures, formations,
consommables et réactifs).
- 7,60 % soit 540 000 USD (324 000 000 FCFA) pour les
prestations des services communautaires (assurés par les
Associations et ONG) ;
- 5,5% soit 390 000 USD (234 000 000 F CFA) pour le
suivi-évaluation ;
- 4,7 % soit 340 000 USD (204 000 000F CFA) pour les frais
administratifs.

3- Je rappelle que la rédaction de la requête au Fonds mondial
à laquelle les associations ont participé à travers leurs
représentants, a prévu la contribution des malades pour
permettre la pérennisation de l’accès aux ARV, car les différents
projets et initiatives y compris le Fonds mondial sont limités
dans le temps ; en effet, la question que l’on peut se poser est
de savoir ce que deviendront ces malades après la fin des
différents projets.

Certes, cette contribution est faible pour
assurer une prise en charge mais il faut espérer que la baisse
continuelle des prix des médicaments sera telle que la somme
ainsi cumulée permettra de rechercher plus facilement le
complément au niveau du budget de l’Etat ou au niveau des
partenaires techniques et financiers.

4- A la date d’aujourd’hui, les ARV prévus dans la mise en
oeuvre du Fonds ne sont pas encore arrivés au Burkina. Les
traitements en cours sont faits sur d’autres initiatives (PPTE,
Banque Mondiale, Don TAN ALIZ, ESTHER, MSF, etc.). A toutes
fins utiles, il est bon de se souvenir que le gouvernement, dans
sa volonté de lutter contre la pandémie, s’est endetté auprès de
la Banque mondiale à travers le crédit IDA n°35570/BUR du 06
septembre 2001 pour le financement des activités de prévention
et de prise en charge dont l’accès aux ARV.

5- Je note, par ailleurs, que dans votre lecture du discours de
Monsieur le Premier ministre, vous semblez douter des
statistiques relatives au taux de prévalence de 4,2% enregistré
dans notre pays. Je profite alors de l’occasion pour vous
signifier que ce taux, validé par l’OMS et l’ONUSIDA, a été obtenu
par les techniciens sur les mêmes bases de calcul que partout
ailleurs.

"Nos portes sont grandement ouvertes"

Aussi, tout en comprenant l’esprit des préoccupations
soulevées par vous, et par bien d’autres avant vous, pour l’accès
gratuit des malades du Sida aux ARV, je vous invite à aborder
les choses avec plus de prudence en ayant toujours à l’esprit
que la gratuité est toujours payée par quelqu’un quelque part
dans un pays où les défis à relever par la santé sont multiples et
multiformes que ce soit le Sida, le paludisme (43% des causes
de décès), la poliomyélite, la méningite, etc.

Au regard du rôle que vous jouez à la tête du "Réseau Accès
aux Médicaments Essentiels", vous êtes mieux placé que
quiconque pour savoir que ces initiatives d’accès au traitement
ne suffisent pas pour couvrir les besoins de l’ensemble de nos
malades.

Donc, pour le moment et pour conclure, nous ne pouvons que
nourrir l’ambition de rabattre les coûts de traitement par les ARV
jusqu’au niveau indiqué par le chef du gouvernement.
En effet, les appuis annoncés étant limités dans le temps, il est
indispensable d’envisager dès maintenant les voies et moyens
qui permettront à nos malades de pouvoir continuer à bénéficier
de traitement à faible coût à la fin de ces projets.

La contribution
demandée aux malades n’est donc pas destinée à renflouer les
caisses de l’Etat et encore moins les poches d’un individu : il
s’agit tout simplement d’une démarche stratégique destinée à
rendre plus pérenne l’accès au traitement à moindre coût pour
nos malades.
En outre, vous ne semblez pas tenir compte des spécificités
des pays en voulant que ce qui est annoncé au Sénégal, en
matière de prise en charge médicale, soit annoncé au Burkina.

En effet, ni le contexte, ni le taux de prévalence dans les deux
pays en question ne permettent d’envisager des similitudes
dans le processus de prise en charge. De plus, au Burkina
Faso, nous faisons tout pour faire face à nos annonces.
C’est pourquoi il me plaît de vous inviter à tenir compte des
réalités de notre pays dans vos actions afin d’éviter de
cristalliser les opinions sur des promesses irréalisables.

Convaincu que rien de notable ne peut se réaliser sans les
personnes vivant avec le VIH, je vous assure de la disponibilité
des techniciens de mon département, pour toute information
utile pour une meilleure compréhension de la problématique de
prise en charge médicale des Pv VIH dans notre pays.

Naturellement, les portes du SP/CNLS-IST vous sont
grandement ouvertes pour les précisions que vous souhaiteriez
avoir sur les conditions de nos requêtes et de notre politique de
concertation avec les Pv VIH.

Veuillez agréer, Monsieur KABORE, mes meilleurs sentiments.

Bédouma Alain Yoda

Officier de l’Ordre National

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