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Procès de Charles Taylor : Procès d’un massacre par procuration

Publié le mardi 5 juin 2007 à 07h32min

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Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, l’ex-président du Libéria, Charles Taylor, devait être devant le tribunal pénal international (TPI) à la Haye, le lundi 4 juin 2007, pour répondre de ses actes.

Son procès s’est ouvert à la date prévue, mais sans lui. Dans une lettre qui a été lue par son avocat à l’ouverture du procès, le célèbre inculpé de Monrovia avoue n’avoir pas confiance au tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Il a, par conséquent, boycotté son procès. « Je ne peux participer à une parodie qui ne rendra pas justice aux peuples du Liberia et de la Sierra Leone », a-t-il souligné.

Le tribunal, par la voix de sa présidente, la juge ougandaise Julia Sebutinde, en a pris acte, estimant que l’accusé a renoncé à son droit d’assister au procès. Cette absence n’a cependant pas modifié la procédure.

Ancien chef de guerre redouté, Taylor, aujourd’hui âgé de 59 ans, est poursuivi pour 11 chefs d’inculpation : il s’agit notamment de meurtre, viol, terrorisme, pillage, esclavagisme et recrutement d’enfants soldats lors de la guerre en Sierra Leone aux débuts des années 1990.

Il a été l’un des principaux acteurs des conflits enchevêtrés de Sierra Leone et du Liberia, qui ont fait plus de 250 000 morts et choqué la communauté internationale avec les récits et images d’enfants soldats abrutis par les drogues, se livrant ainsi à des massacres et exactions indescriptibles.

Tout naturellement, il a plaidé non coupable des chefs d’accusation qui pèsent contre sa personne. L’acte d’inculpation affirme que Charles Taylor a voulu accaparer les richesses minérales de la Sierra Leone, essentiellement les mines de diamants.

Il a voulu également déstabiliser le gouvernement de Freetown, dans le secret espoir d’étendre sa propre influence dans la sous-région ouest-africaine. L’acte détaille en outre les horreurs commises par le Front révolutionnaire uni (RUF), le mouvement rebelle sierra-léonais, qui avait la bénédiction de l’ex-maître du Liberia.

Le procès de Charles Taylor, il faut le dire, est à tout point de vue historique. Des présidents africains ont déjà été jugés dans leurs pays respectifs pour x ou y raisons, mais c’est bien la première fois, sauf erreur de notre part, que le procès d’un d’eux est piloté par un tribunal international.

On peut citer par exemple le cas de Mengistu Haïlé Mariam, homme fort du régime révolutionnaire en Ethiopie de 1974 à 1991, jugé par contumace depuis décembre 1994, dans le cadre des procès dits de « la terreur rouge » ; il y a aussi le cas de Jean Bédel Bokassa, l’ex-empereur de Centrafrique, arrivé au pouvoir en 1965 et déposé en 1979, qui a été condamné à mort en juin 1987, notamment pour avoir ordonné le massacre d’enfants.

Chez nous, on se souvient encore de l’ère des tribunaux populaires de la révolution, les fameux TPR, qui ont vu défiler devant des juges tout aussi révolutionnaires, les anciens chefs d’Etat de la Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso, pour ce qu’on leur reprochait.

La conclusion qu’on pourrait alors tirer en rapport avec le cas Taylor, est que si nous, Africains, sommes aussi capables de faire le ménage dans nos propres pays, et ce, depuis 30 ans déjà, il n’y a pas lieu qu’on nous fasse la leçon aujourd’hui en se réfugiant derrière la sacro-sainte justice internationale et en brandissant parfois l’arme de l’aide.

Toutefois, si Taylor est fautif, qu’il soit jugé, car, s’il ya un procès qu’il faut saluer, c’est bien le sien, puisqu’il contribue à discipliner ceux de nos dirigeants qui sont encore aux commandes, en rappelant fortement à leur mémoire que si on est un sicaire pendant qu’on est au pouvoir, le monde deviendra forcément trop petit pour qu’on puisse s’y cacher lorsqu’on ne sera plus aux affaires.

Koestler ne croyait pas si bien dire lorsqu’il affirmait que : « La société brandit la tête pour que les futurs candidats au meurtre y lisent leur avenir et reculent ».

Mais qu’on ne se fasse pas d’illusions, le procès de Charles Taylor est un procès techniquement difficile. Il ne peut être qu’un procès qui consacre la justice des vainqueurs. Le principal concerné ayant opté pour le boycott, on se demande bien comment son jugement pourrait donner lieu aux grands déballages tant attendus, certains de ceux qui nous gouvernent étant souvent à tort ou à raison suspectés de rouler pour le célèbre rouquin de Monrovia. Ne nous risquons cependant pas à tirer des conclusions hâtives, car tout est à venir.

D. Evariste Ouédraogo

L’Observateur

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