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Médias : Liberté de la presse et solidarité de corps

Publié le mardi 4 mai 2004 à 07h02min

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Le monde entier a célébré hier lundi 3 mai, la journée
internationale de la liberté de la presse. Un rituel, qui est, le
moins qu’on puisse dire, appelé à s’inscrire dans la durée pour ne
pas dire dans l’éternité. Les raisons en sont multiples.

Il y a
d’abord ce réflexe récurrent et parfois bassement primaire des
pouvoirs (politiques, économiques et financiers) convaincus que
la presse les dérange. Aussi, dressent-ils de multiples entraves
au bon fonctionnement de la presse. Plus grave, ils violent
régulièrement les législations édictées par eux-mêmes et
inventent souvent des jurisprudences dignes d’un autre âge
pour museler la presse, le tout sur fond d’intimidations et de
menaces de mort à l’encontre des hommes de médias dont le
péché est d’avoir (c’est leur raison d’être) l’esprit constamment
chevillé à la défense de la liberté de la presse.

Ces
"médiaphobes" ne reculent devant rien, même devant les
prétextes les plus démentiels pour asséner le coup de grâce
aux journalistes qui refusent de participer à la loi du silence
érigée en système de gouvernement.

La situation est plus alarmante en Afrique où le culte du secret
est encore très fort. Sur notre continent, parler de l’état de santé
d’un chef d’Etat équivaudrait à un crime de lèse-majesté
passible d’une lourde peine de prison. Ailleurs où les
prétendants à la charge suprême doivent présenter un bulletin
de santé, en Afrique, on interdit de s’offusquer et de s’inquiéter
d’être conduits par de grands malades.

Le résultat est que notre
continent détient la palme peu glorieuse de fossoyeur de la
liberté de la presse. En effet, sur les 42 morts et les 130
journalistes embastillés selon le rapport 2003 de Reporters
sans Frontières, la part qui revient à l’Afrique est inquiétante.
Ces chiffres qui donnent le tournis permettent également de
prendre la mesure de l’état déplorable dans lequel se trouvent
les processus démocratiques en Afrique.

De toute évidence, et
nous l’avons régulièrement mis en exergue, il ne saurait y avoir
de démocratie sans liberté de la presse et réciproquement.
L’expérience a souvent d’ailleurs prouvé que la liberté de la
presse peut précéder la démocratie et servir de moteur à son
avènement et à sa consolidation.

A condition bien entendu que
la presse, quitte à plaider souvent coupable pour faire jallir la
vérité (c’est son devoir) et à essuyer la colère et la sanction de
ses censeurs, descende dans l’arène pour percer les murailles
derrière lesquelles sont dissimulés tant de secrets et de
non-dits qui sont le fait des princes. Des non-dits que l’opinion
publique est en droit de savoir, parce que cela relève de sa soif
de transparence, de bonne gouvernance et de son amour pour
l’exercice de sa pleine et entière citoyenneté sur laquelle les
gouvernants doivent veiller.

Si la presse, par démission, adoptait
le profil bas, combien de scandales liés par exemple aux
financements occultes des partis politiques, aux passations des
marchés publics et à l’enrichissement illicite de ceux qui ont
l’insigne honneur d’exercer une parcelle de pouvoir, combien de
malversations, d’abus et de crimes seraient restés cachés ?

Dans ce combat pour la liberté de la presse, si les principes
sont universels, il n’en demeure pas moins que chacun mène le
sien selon la réalité du terrain. S’il est vrai que la situation de la
presse diffère d’un pays africain à l’autre, il n’en demeure pas
moins que les hommes des médias africains ont ceci de
commun qu’ils évoluent dans un environnement hostile. S’ils ne
peuvent unir leurs forces, leurs expériences peuvent être au
moins interchangeables.

A ce propos, l’exemple du Bénin
(encore ce pays) mérite notre méditation. A l’occasion de la
commémoration de cette journée, les journalistes de ce pays,
toutes sensibilités confondues, ont organisé une marche
unitaire pour revendiquer le droit à la liberté et à la sécurité dans
l’exercice de leur mission. Pourtant, Dieu seul sait qu’au Bénin,
les différences d’approche dans l’exerce de ce métier sont
parfois énormes. Mais le mérite de la presse béninoise, c’est la
reconnaissance d’avoir le même adversaire et le sentiment
d’appartenir à la même corporation et d’être confronté aux
mêmes difficultés. Le sentiment aussi de réussir ensemble ou
d’aboutir au suicide collectif.

Au Burkina, il faut bien reconnaître
et déplorer cette absence de solidarité entre les différents
organes de presse. Il y a ce sentiment faux et malheureusement
dominant qu’on peut se construire seul un paradis médiatique
dans lequel on espère être à l’abri des ennuis. Au Burkina, loin
d’être synonyme de vitalité, la pléthore des associations
professionnelles portent la marque de leur profonde division.

Loin de nous l’idée de pourfendre ceux qui, en désespoir de
cause et par dépit, ont préféré prendre leur distance vis-à-vis de
regroupements qui les ont déçus sur tous les plans en
s’engageant dans des enjeux et des compromissions qui ne
disent pas leur nom. La plupart des associations sont devenues
tellement une rente pour certains et dont ils se servent pour
défendre égoïstement leur chapelle, que toute remise en cause
d’une telle incurie vous met sur la trajectoire d’une éternelle
inimitié.

Ainsi, certaines associations professionnelles de
presse qui devaient être des exemples achevés de
transparence, de solidarité et d’alternance sont devenues des
repaires où on tourne définitivement le dos à une presse
ethiquement et déontologiquement décente. Dès lors, le
pluralisme médiaque et mieux, la pluralité des opinions qui sont
la base de toute presse déontologiquement digne de ce nom,
deviennent un cauchemar pour ces hommes non par vocation
et qui se plaisent à tracer une ligne de démarcation artificielle
entre presse d’Etat et presse privée.

Aussi, de tels journalistes,
simples ombres décoratives de certains cabinets ministériels,
spécialistes de la médisance pour une petite place, ne
perdent-ils pas l’occasion pour nuire à des confrères. Or, en
Afrique les exemples sont légion où des hommes de médias
qui se sont prêtés à ce jeu malsain se sont retrouvés pris dans
leurs propres pièges et contraints de raser les murs, pour
n’avoir pas compris que le journalisme, respectable et
honorable métier, a besoin d’hommes respectables et
honorables et non d’individus sans relief, en quête de maigres
prébendes, du reste insuffisantes pour assurer leurs vieux jours
et que les hommes politiques utilisent pour uniquement les
besoins de leur cause.

En définitive, que peut-on retenir de cette
14e journée internationale de la liberté de la presse ? Le
Burkina n’est pas aujourd’hui un enfer en matière de liberté de
la presse.

Certes, on n’oubliera jamais, de mémoire de
journaliste, le drame de Sapouy qui a coûté la vie à notre
confrère Norbert Zongo. Grâce à la mobilisation de l’opinion, des
organisations de la société civile et des mouvements de
défense des droits de l’homme, ce triste scénario ne pourrait
certainement plus se répéter.

Mais on peut affirmer, sans risque
de se tromper, que le mérite de cette relative liberté de la presse
revient plus dans une certaine mesure aux autorités qu’aux
journalistes eux-mêmes qui, par leurs comportements, sont
responsables de l’altération de cette liberté. Il y a donc plus à
craindre des journalistes que des autorités en matière
d’assassinat de la liberté de la presse.

Le péril est plutôt en
notre sein et ce serait peine perdue de chercher les fantômes
ailleurs en évitant de regarder dans notre rétroviseur de peur de
voir notre face hideuse.
Cette propension à rejeter la responsabilité des maux dont
souffre notre presse sur les autres n’est que la manifestation
d’une hypocrisie car, c’est trop demander à l’Etat de nous
présenter la liberté de la presse sur un plateau d’argent.

Cette
liberté ne peut se réaliser qu’en menant nous-mêmes le
combat en dominant nos tares et nos insuffisances en matière
de solidarité. Il n’appartient pas aux pouvoirs publics d’être en
première ligne, à moins de vouloir d’une liberté en cage. Pour
nous départir de ce complexe que nous traînons comme un
boulet, nous devons nous affranchir de nos réflexes d’intrigants
et cesser de nous inféoder et de nous prostituer aux forces
occultes qui ne font que miroiter devant nous cette espèce de
charme de serpent.

En tous les cas, nous devons nous
convaincre définitivement qu’une liberté octroyée aux
journalistes n’est qu’une coquille vide. C’est certes un long
voyage qui implique un changement de mentalité au sein de la
profession. Malheureusement, tant que beaucoup de gens
trouveront leur compte en nageant en eau trouble et
s’autosatisfairont de cette exception burkinabè, notre presse,
incapable d’élaborer par exemple une convention collective pour
réglementer et discipliner la profession et une carte d’identité
nationale, brillera par son inconséquence.

En tout cas, ce n’est
pas demain la veille que nous aurons ce supplément d’âme
pour dépasser nos querelles de chiffonniers et éviter de nous
cantonner dans nos petites chapelles. On ne peut pas militer
pour la liberté de la presse en refusant de souscrire à l’idéal
d’un Etat démocratique où doivent coexister harmonieusement
plusieurs types de presse.

Or, au Burkina, certains confrères, il
faut avoir le courage de le dire, chaque fois qu’un organe est en
difficulté, sont plus soucieux de la date de sa messe de requiem
que de proposer le remède capable de le guérir. Certains
confrères n’hésitent pas à servir de guides à nos censeurs pour
enfoncer davantage un journal qui a maille à partir avec la
justice. On n’oublie ou feint d’oublier que la mort d’un confrère
réduit toujours notre espace de liberté.

Le Pays

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