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François Lonsény Fall : Courageux mais pas téméraire

Publié le mardi 4 mai 2004 à 06h54min

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La forme n’y était pas vraiment, mais elle ajoute au spectaculaire de l’événement. Car autant en bonne démocratie il n’est pas de bon ton de prendre de grandes décisions comme la nomination d’un Premier ministre, depuis l’étranger (1) autant la démission d’un chef de gouvernement hors de son pays jure avec les usages en la matière.

C’est pourtant ce qu’à fait François Lonsény Fall, qui a profité du sommet de l’Autorité du bassin du fleuve Niger, qui s’est tenu à Paris les 26 et 27 avril 2004, pour sortir de Guinée et présenter sa démission au président Lansana Conté. On aurait dit un de ses sportifs (ou pèlerins) africains qui disparaissent de plus en plus dans la nature europénne à la faveur d’une rencontre internationale, mais l’illustre démissionnaire a l’excuse de l’insécurité à laquelle il se serait exposé s’il avait rendu publique sa démission à Conakry.

Il n’aura fallu donc que deux petits mois à cet diplomate de carrière pour jeter l’éponge. Nommé le 23 février 2004 en même temps que les membres de "son" gouvernement qu’il découvrait comme tous les Guinéens, celui qu’on présentait alors comme quelqu’un de "discret, ouvert d’esprit, conciliant, mais aussi obstiné" pensait naïvement pouvoir changer le système de l’intérieur. Un système qu’il connaissait sans doute bien puisqu’il était ministre des Affaires étrangères et de la Coopération dans l’équipe de son prédécesseur, Lamine Sidibé.

Hélas, les désaccords avec le grabataire de Wawa ne vont pas manquer de s’accumuler. D’abord sur l’isolement diplomatique, depuis deux ans, de la Guinée, dont le président ne semble pas se soucier outre mesure comme tous ceux qui vivent en autarcie ; ensuite sur la gestion courante de l’économie guinéenne, plombée par une dépression du franc guinéen et une inflation vertigneuse ; enfin et surtout, sur cette ténébreuse histoire de "dîner subversif" dans un restaurant parisien où des opposants, parmi lesquels le leader de l’UFR, Sydia Touré, auraient échafaudé un plan de déstabilisation du régime de Conté. Une affaire pour le moins brumeuse qui a valu à l’ancien PM de passer la semaine dernière sa première nuit en prison.

Un dossier géré directement par la présidence, et le ministre de la Sécurité, qui a donc échappé complètement au chef du gouvernement qui, dès sa nomination, craignait déjà pour son autorité. Un nouveau vrai complot comme Conakry sait en découvrir presque tous les six mois, et qui est symptomatique des relations, particulièrement difficiles, que le pouvoir entretient avec son opposition. C’était plus que M. Fall ne pouvait en supporter.

Courageusement, sans être téméraire, il a donc choisi de rendre le tablier, et son réquisitoire est pour le moins accablant. "Le président bloque tout", écrit-il en effet dans sa lettre de démission datée du 24 avril, avant d’égrener un chapelet de griefs qu’il retient contre son ancien patron : "pratiques anarchroniques, manque de dialogue entre membres du gouvernement, tant avec les acteurs politiques nationaux qu’avec les partenaires internationaux".

François Lonsény Fall n’entendait pas être le simple faire-valoir d’un homme qui a plus l’allure d’un chef de village que d’un chef d’Etat, réfractaire à toute civilisation des mœurs politiques de son pays. "La preuve est faite qu’il est impossible de travailler avec Lansana Conté, et tous ceux qui persistent à soutenir le contraire l’apprennent à leurs dépens". A l’image du PM démissionnaire, qui était pourtant bien payé pour connaître les habitudes du milieu. Pour le malheur de la Guinée, le général Conté, buté jusqu’à l’extrême, ne peut pas changer, et Lonsény Fall a raison de ne pas se faire le complice d’un tel homme.

Et sa décision d’abdiquer ne manque pas d’honnetêté voire de panache sur un continent où, excepté dans quelques pays civilisés, le mot démission ne fait pas partie du dictionnaire politique. Qui plus est dans un Etat comme celui-là. Car il en va des régimes autoritaires, fermés, comme des sociétés secrètes ou des confréries de sorciers : quand on y entre, on n’en sort pas comme on veut sous peine de voir sa vie menacée.

Si fait que même quand les désaccords sont profonds, la plupart des responsables africains s’entêtent à rester, ne serait-ce que pour conserver leur part de gombo. Mais Lonsény Fall part d’autant plus facilement que son chômage risque d’être de courte durée, puisqu’avant sa nomination, il était pressenti par Kofi Annan pour occuper un poste prestigieux dans un organisme onusien. C’est alors qu’il portait à New York la réponse (négative) de Conté au secrétaire général de l’ONU, qu’il a été fait chef de gouvernement.

Fall parti, la question se pose maintenant de savoir si cet événement, inédit dans les annales politiques de la Guinée, va constituer un déclic salvateur pour une nation qui, après s’être tapée 26 ans de Sékou Touré, subit Lansana Conté depuis 20 ans.

Mais la possibilité que les mœurs politiques se policent est très faible dans la mesure où, avec cette atmosphère de fin de règne, qui a cours à Conakry, le président est comme pris en otage par une horde de courtisans qui se détestent et se neutralisent mutuellement et qui caressent, qui sait, le secret espoir de voir le vieux tirer sa révérence. Afin que tout le monde ait la paix.

En attendant, le pays vit au même rythme que son chef malade, c’est-à-dire au ralenti sans qu’on sache vraiment quand il sortira de cette torpeur qui confine au coma.

Ousséni Ilboudo
L’Observateur

Note :
Laurent Gbagbo, dans la foulée du sommet de Kléber qui le sommait de nommer un Premier ministre de consensus en la personne de Seydou Elimane Diarra, l’avait bien fait à Paris fin janvier 2003, mais c’est de l’ambassade de Côte d’Ivoire en France qu’il l’avait annoncé, un peu comme s’il était en territoire

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