LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Le Burkina et la Côte d’Ivoire : Condamnés à fusionner ou à se détruire

Publié le vendredi 30 avril 2004 à 09h56min

PARTAGER :                          

Albert Ouédraogo

La Haute-Volta est un pays qui a été créé contre toute logique et tout bon sens ; il est le seul pays enclavé à avoir le plus petit territoire.

En réalité, la France coloniale n’a jamais voulu d’une Haute-Volta viable et fiable. Le sous-sol du pays possède très peu de ressources naturelles connues à ce jour et le sol est pauvre dans sa grande partie.

La seule véritable ressource du pays est constituée de ses hommes qui vont servir de réservoir de main d’œuvre pour l’ensemble des colonies de l’AOF. Ceci explique la forte concentration de Burkinabè en Côte d’Ivoire au point de créer chez les « autochtones » un sentiment d’exaspération et de rejet. Si l’histoire récente des deux Etats permet de comprendre les causes d’un tel mal­ voisinage apparu surtout à la mort de Félix Houphouët-Boigny, il nous semble que le plus urgent et le plus important consiste à inventer les solutions durables devant assurer la survie de deux pays et des populations.

1. La colonisation a divisé les peuples de la Côte d’Ivoire et du Burkina.

La colonisation est parvenue à créer, d’une part, des murs de séparation entre des populations jadis unies et, d’autre part, à réunir des populations jadis ennemies. C’est par exemple le cas des populations des frontières du Burkina qui gardent des liens familiaux avec leurs parents en dépit des nationalités nouvelles. Après la conquête coloniale survenue en 1895, la colonie, créée le 1er Mars 1919, sera supprimée treize (13) ans plus tard (5 septembre 1932) par un décret qui la démantèle en trois entités rattachées aux colonies du Soudan, du Niger et de la Côte d’Ivoire.

Pendant quinze ans, de 1932 à 1947, le pays disparaît pour ne plus être qu’une des composantes de colonies jugées plus rentables et plus viables. Ainsi les ex-colonisés voltaïques devinrent des colonisés soudanais, nigériens et ivoiriens. Les populations de la Haute Côte d’Ivoire seront utilisées pour développer la Basse Côte d’Ivoire qui était particulièrement sous-peuplée. Sur les différents chantiers, les travailleurs voltaïques, déportés pour la plupart, ont payé le prix du sang pour bâtir la Côte d’Ivoire (construction du chemin de fer, des routes, des ponts, du port d’Abidjan, des plantations, etc.).

La Côte d’Ivoire est le produit du sacrifice des Côtedivoiriens du Nord du Sud L’exploitation d’une telle main d’œuvre a fini par créer un complexe de supériorité chez les populations ivoiriennes, tandis que se mettait en place insidieusement chez les populations voltaïques un complexe d’infériorité. La chefferie moaaga vécut douloureusement une telle humiliation et œuvra pour la reconstitution de la colonie de la Haute-Volta, en dépit de l’opposition du RDA et de certains membres du gouvernement français.

2. Et si la reconstitution de la Haute-Volta avait été une erreur historique !

Une guerre de leadership a opposé Félix Houphouet-Boigny, considéré comme le chef des Baoulé et le Moogo-naaba qui n’entendait pas mettre son pays sous la direction d’un autre chef. Le démantèlement de la colonie de la Haute-Volta tient au fait que le colonisateur s’est rapidement aperçu que la Côte d’Ivoire n’est pas viable sans la Haute-Volta et vice versa ! Sans chercher à condamner toutes les forces vives qui ont combattu pour la reconstitution de la colonie, il faut admettre que l’histoire des deux Etats aurait été différente si un tel combat n’avait pas été mené ! La Haute-Volta, en dehors du sentiment de fierté nationale a été le véritable perdant d’une telle opération.

3. Et si la Haute-Volta et la Côte d’Ivoire avaient eu tort de refuser la double nationalité ?

Fort des ressources de son pays et de sa grande influence politique, le président Houphouët-Boigny apparaît comme le leader incontesté de la politique régionale. Tout en se refusant de faire de son pays la vache à lait de la sous-région, le président Houphouët n’aura de cesse d’œuvrer pour une convergence des politiques entre son pays et la Haute-Volta au point d’envisager la possibilité d’une fusion des deux Etats.

C’est dans une telle perspective qu’il faut situer sa proposition de la double nationalité pour les ressortissants des deux pays en 1965 et qui fut dénoncée aussi bien par l’Assemblée nationale ivoirienne que par l’opposition voltaïque qui la présenta comme "l’acceptation officielle de la vassalisation : la coopération du cheval et du cavalier, voilà l’accord Yaméogo-Houphouët" ! La proposition de la double nationalité se présentait comme le premier pas de la constitution d’un ensemble fédéré où les citoyens se sentiraient chez eux. Mais le Vieux n’a pas été compris.

4. Et si la solution de la crise ivoirienne passait par une fusion des deux Etats ?

A en croire certains médias, le Burkina serait mêlé à la crise ivoirienne. Mais il faut également rappeler qu’à une certaine époque, la Côte d’Ivoire avait été accusée d’être le commanditaire des différentes tentatives de déstabilisation du régime du CNR dirigé par le capitaine Thomas Sankara. Les deux pays ont en partage de nombreuses réalités qui font que rien de tout ce qui touche la Côte d’Ivoire ne peut se faire sans une certaine implication du Burkina, et rien de tout ce qui touche le Burkina ne peut se faire sans une certaine implication de la Côte d’Ivoire.

La preuve vient une fois de plus d’être faite avec le récent procès de la tentative de coup d’Etat déjouée au Burkina ! Il nous semble que le destin des deux pays est de vivre ensemble l’enfer ou le paradis. C’est aux dirigeants de choisir. Mais il est un fait certain : une Côte d’Ivoire prospère ne peut pas se réaliser à côté d’un Burkina misérable, tout comme un Burkina paisible ne peut se construire à côté d’une Côte d’Ivoire en guerre. Il appartient à la nouvelle génération de dirigeants de tirer leçons des erreurs des pères-fondateurs des Nations pour inscrire leurs actions dans la durée et le bonheur de leurs peuples.

A l’instar des relations à plaisanteries qui sont survenues dans l’histoire des hommes, après la prise de conscience de ceux-ci de l’impossibilité à détruire la tribu voisine, il faut aux peuples burkinabè et ivoirien travailler à refonder leurs relations, après toutes ces blessures de l’histoire. Ne pas le comprendre serait suicidaire pour les deux peuples et les deux pays. Supposons que les Voltaïques aient eu tort d’avoir œuvré pour la reconstitution de la colonie ? Supposons que les Ivoiriens et les Voltaïques aient eu tort d’avoir rejeté la proposition de la double nationalité entre les deux pays ? Que nous reste-t-il aujourd’hui à faire ?

La crise politique ivoirienne, qui est consécutive à des difficultés économiques, s’est cristallisée autour de la question vénéneuse des origines douteuses. Le doute porte, comme tout le monde l’aura compris, sur le Burkina. Mais si (il est permis de rêver) le Burkina et la Côte d’Ivoire s’acheminaient vers la constitution d’un ensemble fédéré, avec la mise en œuvre d’une citoyenneté ouest-africaine, comme nous invite la construction des ensembles supra­ nationaux tels l’UEMOA et la CEDEAO, l’on s’apercevrait rapidement du ridicule de telles préoccupations ô combien funestes !

A l’heure de la constitution des grands ensembles, les pays africains devraient savoir se départir de tout nationalisme d’un autre âge et d’un autre temps. Les dirigeants du Burkina et de la Côte d’Ivoire devraient apprendre à vaincre ensemble l’adversité et savoir se montrer plus visionnaires que leurs prédécesseurs. Honnis tous ceux et toutes celles qui sont la cause du malheur de leur peuple et qui croient qu’il peut exister sur Terre des peuples heureux en face d’autres peuples malheureux !

Albert OUEDRAOGO,
Enseignant de Lettres, Université de Ouagadougou

Editorialiste du mois de Sidwaya

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique