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« Afrique, mondialisation et Francophonie » Blaise Compaoré

Publié le mercredi 28 avril 2004 à 15h18min

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Le 23 avril 2004, le président Blaise Compaoré a été fait docteur honoris causa de l’université Jean Moulin de Lyon 3 pour son soutien à l’essor de l’université et de la Francophonie. Dans son exposé de récipiendaire, il a traité du thème « Afrique, mondialisation et Francophonie ». Document.

Monsieur le Président de l’Université Jean Moulin,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Honorables invités,

C’est pour moi un très grand honneur d’être élevé aujourd’hui au grade de Docteur Honoris Causa de l’Université Jean Moulin qui fête cette année ses trente ans d’existence.
Cette journée est aussi porteuse pour moi d’un double motif de fierté. Fierté d’abord, Monsieur le Président, de recevoir une si haute distinction de votre prestigieuse Université à laquelle le Burkina est très attaché.
Fierté ensuite de me retrouver parmi tant d’esprits de haute valeur amis de mon pays.

Je voudrais vous exprimer mes remerciements après avoir écouté tout ce qui vient d’être dit avec talent et générosité à l’endroit du Burkina et de ma personne.
Je ne ferai pas ici l’analyse de ce que j’ai pu réaliser en faveur de l’Afrique. Je voudrais retenir que l’essentiel s’acquiert finalement par le travail, la persévérance, la conviction, et l’obstination dans les meilleurs choix au profit des populations.

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Le sérieux, la qualité des enseignements dispensés, l’ouverture internationale font la réputation de cette grande Université. Permettez-moi d’ajouter que la Francophonie et plus particulièrement la francophonie universitaire ont, et depuis longtemps, un compagnonnage très étroit avec Lyon 3.

En effet, les apports de Lyon dans l’émergence et l’affirmation de la francophonie universitaire sont très importants. En mars 1987, à l’invitation du Président de l’Université de Lyon 3, le professeur Jacques GOUDET, le conseil d’administration de l’Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), proposa la création en son sein de l’Université des Réseaux d’expression française (UREF).

En novembre 1994, aux Assises francophones de la recherche à Abidjan, le Professeur Christian Philip, député du Rhône, suggéra la mise sur pied de la conférence francophone des Ministres de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CONFEMER).

Enfin en février 2001, le Maire de Lyon Monsieur Raymond BARRE inaugura dans cette Université, une chaire consacrée à l’étude de la Francophonie en tant qu’espace géopolitique et l’Institut pour l’Etude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND).
C’est donc à Lyon que germèrent les fleurons de la coopération francophone.

La décision de l’ensemble de la communauté universitaire de Lyon 3, du Président GUYOT, des Doyens et de vous-même Monsieur le Président Lavorel, de faire de la Francophonie un axe prioritaire de son développement est une démarche visionnaire qui répond à la volonté de faire connaître davantage la communauté francophone, par les peuples et les décideurs.

Je salue l’idéal défendu par l’Université Jean Moulin, les valeurs qu’elle souhaite transmettre et faire partager à toute la communauté francophone. Son œuvre humaniste est aujourd’hui une référence.

Mesdames et Messieurs,

J’ai voulu traiter devant vous du thème « Afrique, Mondialisation et Francophonie », d’abord en tant qu’Africain, Chef d’Etat d’un pays pauvre qui s’attache à faire progresser son économie et à consolider l’Etat de droit. Ensuite, en tant que hôte du prochain Sommet de la Francophonie, le dixième, dont le thème porte sur « le développement durable ».

J’ai souhaité aussi évoquer cette thématique pour des raisons liées à vos propres engagements. Vous placez délibérément la Francophonie dans la Mondialisation avec un regard tourné vers les défis de l’avenir et non dans le rétroviseur du passé.
La solidarité, le dialogue et la diversité sont aujourd’hui, selon vous, la raison d’être du rassemblement francophone que vous concevez comme un laboratoire de l’autre mondialisation, celle du développement durable.

Dans un élan de solidarité et d’humanisme, vous n’oubliez pas l’Afrique. Votre Université mène une coopération active avec l’Université de Ouagadougou.
A la prochaine rentrée universitaire, elle envisage d’y délocaliser, dans une perspective sous-régionale, son master en Administration des Affaires et sa Chaire de la Francophonie. Ces deux formations seront inaugurées à l’occasion de la tenue du 10ème Sommet de la Francophonie en novembre prochain.

L’Afrique, continent de plus en plus marginalisé, continent perdu, entend-on dire ici ou là ! Quand le nombre de pays les moins avancés passe en trente ans de 25 à 49, et que l’Afrique seule en compte 34, il y a évidemment crise. Les reproches i faits à l’Afrique, à ses élites, à ses peuples en matière de conflits, de gouvemance, de démocratie et de droits de 1 ’Homme sont certes justifiés à bien des égards. Mais l’on peut aussi se demander si la Communauté internationale offre à l’Afrique des conditions propices à son nouveau départ.

Il faut, c’est certain, que les Africains se jettent à bras le corps dans la bataille du développement et du commerce, se rassemblent pour être forts plutôt que de se laisser aller à l’émiettement. Comme l’Asie le fait si bien, l’Afrique a besoin de faire de la croissance de son PIB une obsession permanente. Les pays du Nord, quant à eux, doivent en finir avec un libéralisme à sens unique et une fausse solidarité.

Dans les secteurs où l’Afrique est forte, en agriculture tout particulièrement, et le cas du coton à cet égard est exemplaire, les subventions données à leurs agriculteurs par les tenants du libéralisme le plus orthodoxe ruinent les efforts des paysans africains.

Dans d’autres secteurs où, pour devenir compétitive, l’Afrique a besoin de protection, les mêmes la lui refusent au nom des principes de l’économie de marché. Ce libéralisme ambigu, sinon hypocrite, va de pair avec une solidarité qui ne s’en donne pas les moyens. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre en compte la diminution générale observée, ces dernières années, de la part du PNB des pays du G8 consacrée à l’Aide publique au développement.

Je voudrais vous dire que si l’Afrique blessée des guerres et des massacres, de la corruption et du sous-développement existe bien comme le ressassent certains médias, il existe aussi une Afrique qui change, qui tourne la page, qui mue et renaît. Nous devons nous attacher, et les médias avec nous, à faire connaître, à mettre en lumière la restructuration politique, économique et sociale de l’Afrique qui est en marche et contribuer ainsi à l’amélioration de son image.

Je voudrais vous dire encore, puisque je m’exprime aujourd’hui en France, que nos destins sont structurellement et intimement liés. L’Afrique est, en effet, votre Sud incontournable : un Sud géographique, un Sud que vous avez colonisé en mêlant exploitation et assistance. Votre Sud religieux aussi où se côtoient, comme en Europe aujourd’hui ; la Chrétienté ; l’Islam et le Judaïsme. Votre Sud d’immigration, une immigration qu’il nous faut maîtriser dans l’intérêt bien compris de chacun.

Mais le contexte change. La mondialisation s’invite à la table. Réalité inévitable, fruit des progrès technologiques qui font de la mobilité et de l’échange les moteurs de l’évolution du monde dans toutes ses composantes, la mondialisation est irréversible et accélère sans cesse son mouvement.

Mesdames et Messieurs,

Ce qui est en cause, dans ce processus de mondialisation, c’est sa philosophie de mise en œuvre. Peut-on se satisfaire de l’actuelle « globalisation » libérale, financière et marchande ? Elle n’est pas bonne, même si elle encourage l’initiative. Ses dangers sont connus : uniformisation des cultures, des langues. C’est l’antidiversité. Elle laisse les pays pauvres, ceux d’Afrique en particulier, au bord du chemin.

Les événements tragiques du 11 septembre 2001, l’évolution dramatique du conflit israélo-palestinien, la crise irakienne, mettent en relief le péril des laissés-pour-compte d’un manque de justice et de solidarité internationale.
Ces événements nous interpellent tous sur le besoin de diversité linguistique et culturelle, sur l’urgence d’un dialogue entre le Nord et le Sud, entre l’Occident et les autres mondes, notamment arabe et musulman. On réclame une « autre mondialisation » plus solidaire et plus respectueuse de l’Homme. La montée et l’influence des mouvements alter mondialistes le montrent éloquemment.

En ce début de millénaire, le spectre d’un affrontement des cultures et des civilisations, ou disons plutôt, d’un affrontement des ignorances, annonce des temps dangereux.

Désamorcer les intégrismes, c’est, pour beaucoup, savoir répondre au besoin de
solidarité, de diversité qui apparaît aujourd’hui en pleine lumière. C’est à ce niveau que la mondialisation rencontre la Francophonie.

En ajoutant au volet liberté, la solidarité qui apporte une protection de l’individu par le groupe, en allant vers la civilisation de l’universel par la synthèse des différences, en préférant le multilatéralisme à l’unilatéralisme dans les relations internationales, la Francophonie intéresse le monde. Elle ajoute, à l’affirmation du droit à la différence, un mouvement vers la modernité. La solidarité qu’elle propose n’est pas l’assistance. Elle corrige l’économie de marché par une préoccupation sociale.

Regroupement organisé de pays d’un type nouveau, la Francophonie n’est pas un succédané d’empire mais une idée, un espoir, un projet collectif. Elle se dresse contre les tendances à l’uniformisation du monde. Elle refuse « un nouvel ordre international » dominé par un seul type de civilisation et une seule langue.

Elle s’emploie à mettre en œuvre un développement durable qui place l’Homme et la protection de son environnement au premier plan. La Francophonie est donc utile. La mondialisation a besoin du rêve francophone. Le Sommet de Beyrouth lui a donné sa feuille de route : se construire en tant que pôle géoculturel de diversité et de développement durable dans la mondialisation multipolaire.

Mais pour la mener à bien, elle doit s’en donner les moyens. En effet, on lui fait le procès récurrent de ne pas concrétiser les ambitions qu’elle affiche. Il lui faut d’abord une méthode. Celle des avancées permanentes est la bonne. Les Sommets francophones doivent en être les moteurs.

Il lui faut aussi une organisation institutionnelle efficace et évolutive en fonction des besoins, un mode de financement partagé à la hauteur des enjeux. Aucun tabou ne doit empêcher les évolutions nécessaires. Les difficultés du moment, en particulier financières, ne doivent pas stériliser et arrêter notre démarche.

La Francophonie doit donc être ambitieuse et ce sera le rôle du Sommet de Ouagadougou en novembre prochain, de dégager les stratégies et les programmes à mettre en œuvre pour qu’elle devienne effectivement un espace de développement durable.

Mesdames et messieurs,

Il ne peut, me semble-t-il, y avoir de développement durable sans un effort de solidarité et de partenariat dans trois couples de secteurs : l’éducation et la santé, les cultures et les langues, l’économie et la démocratie.
Je pense que nous pourrons tous nous accorder sur quelques considérations.
Le processus de développement est largement tributaire de l’éducation des
populations et de la compétence technique des ressources humaines. La santé est indispensable à tout progrès alors que la situation sanitaire de l’Afrique est catastrophique du fait en particulier du paludisme et de la pandémie du sida.

Les cultures et les langues doivent pouvoir vivre et exprimer leur diversité. La convention internationale sur la diversité culturelle en cours d’élaboration à l’Unesco est à cet égard, essentielle et indispensable.

II faut que les cultures et les langues échappent aux règles du marché édictées par l’Organisation Mondiale du Commerce. Pour être fortes et vivantes, les cultures et les langues ont besoin d’être soutenues par des industries culturelles puissantes, et leur dialogue suppose que soient données en Francophonie des préférences pour la circulation des produits, biens et services culturels.

Mais comment échanger sans une circulation facilitée des personnes ? Je connais les peurs qui nous freinent, mais il y a pour notre Communauté plus d’avantages que d’inconvénients à donner une réelle facilité de circulation aux artistes, aux entrepreneurs, aux intellectuels et aux étudiants. TI nous faut inventer un passeport et un visa francophones.

Mais ne nous trompons pas. Pour nous, pays du Sud, il ne s’agit pas de contenir la déferlante de la culture américaine pour la remplacer par une autre. Nous souhaitons solidairement affirmer et promouvoir l’ensemble de nos cultures avec et aux côtés, bien entendu, de la culture française.

Le développement économique est un passage obligé. Cela doit devenir dans les faits une préoccupation visible de la coopération francophone, comme l’a voulu le Sommet de Hanoï. Il faut avoir le courage de construire notre espace économique et d’affronter les difficultés qui s’y attachent vis-à-vis de nos engagements internationaux, en particulier des unions régionales auxquelles appartient chacun de nos pays, et de l’Organisation Mondiale du Commerce.

La Francophonie doit avoir l’obsession d’augmenter, par son action, la richesse des pays qui en sont membres. La Francophonie doit certes induire une flèche de progrès dans les domaines de la démocratie et des droits de 1 ’Homme tout en acceptant, là aussi, la diversité des situations. Mais on ne peut ignorer l’économie. Les faits le montrent, sans augmentation de la richesse produite, on constate une perversion de la démocratie et du multipartisme avec les pires reculs des droits de l’Homme. S’il convient que la Francophonie soit intransigeante quant à leurs respects, il faut concevoir pour y parvenir des approches pragmatiques en ne sacrifiant jamais le développement et l’économie.

Ce sera donc au prochain Sommet de Ouagadougou de dégager les actions permettant d’inscrire la Francophonie comme une force incontournable dans la mondialisation multipolaire et pacifique. Cette démarche indispensable ne sera pas sans difficultés, car il faudra affronter la réalité des situations acquises pour inventer, dans tous les domaines, des modes opératoires efficaces et adaptés.

A tous ceux qui pourraient s’offusquer de l’évocation de telles évolutions, je rappelle simplement l’exemple de l’enseignement supérieur et de la recherche. Chacun se félicite en effet aujourd’hui de l’existence de l’Agence universitaire de la Francophonie, un opérateur nouveau aux côtés de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Mais cette naissance, il y a quinze ans, se fit au prix d’énormes difficultés et dans un contexte de refus conservateur d’une évolution des pratiques et des institutions.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Je veux encore solliciter votre patience pour réitérer ma profonde reconnaissance devant le grand honneur et l’immense privilège qui me valent aujourd’hui d’être distingué par le grade de Docteur Honoris Causa que me décerne votre illustre Université. Mon sentiment d’honneur s’accompagne et se renforce de la grande fierté que je tire de deux considérations au regard de la ville de Lyon d’une part, et d’autre part, de l’Université Jean Moulin.

Ma présence ici aujourd’hui et les liens qui m’attachent désormais à vie à Lyon et à son Université me semblent constituer une symbolique forte de l’union scellée à un moment donné de l’histoire de France et d’Afrique entre combattants africains et français dans leur lutte héroïque contre l’Occupation en 1939-1945. Jean Moulin et de nombreux soldats africains reposant au TATA de CHASSELAY, ont donné leur vie pour le triomphe de la liberté et de la justice.
Permettez-moi de dédier à leur mémoire la distinction universitaire que vous me décernez.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Je termine mon propos en réaffirmant ma foi dans la Francophonie, et ma volonté de contribuer, dans la mesure du possible, à dégager avec mes homologues chefs d’Etat et de gouvernement, des pistes d’avenir pour un espace francophone solidaire au prochain Sommet de Ouagadougou.

Je vous remercie.

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