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Grippe aviaire au Burkina : Retour au foyer infectieux un an après

Publié le vendredi 13 avril 2007 à 06h41min

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Grippe aviaire. Début 2006, cette maladie des volailles qui a une forme humaine mortelle, on se rappelle, a créé la psychose au Burkina suite à l’annonce d’un foyer infectieux aux portes de la capitale.

Mais les autorités gouvernementales, qui avait préparé un plan de riposte depuis que le virus H5N1 a été signalé au Nigeria puis au Niger, ont permis de vite maîtriser la propagation de la maladie en procédant, entre autres, à une opération d’abattage de gallinacés à Gampéla, où le premier cas a été signalé, puis à Barogo. Un an après, quel est l’état des lieux ? Les promesses faites, notamment le dédommagement des populations, ont-elles été tenues ? Retour au foyer infectieux pour faire l’état des lieux.

Janvier 2006. Un virus, le H5N1 (son nom scientifique), qui avait déjà fait son apparition en Asie en 2003, provoqué l’abattage de milliers de volailles et causé le décès de plus de 90 personnes atteintes de la forme humaine de la maladie, refait surface. L’information, relayée par les médias internationaux, sème la psychose dans le monde. Mais l’Afrique était épargnée jusqu’en février 2006 où le virus a atterri au Sud du Sahara, dans le nord du Nigeria.

La communauté internationale lance un appel aux services vétérinaires des pays voisins du Nigeria pour éviter la propagation du virus. On craint le pire, à cause notamment du mode de vie de nos populations qui cohabitent bien souvent avec les animaux.

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, convoque une conférence régionale sur la question afin de mettre en place un plan d’urgence. Mais ce fut peine perdue, puisque le virus continuait sa progression fulgurante et dévastatrice pour atteindre le Niger.

Puis, un matin d’avril, on apprend que la grippe aviaire est aux portes de la capitale burkinabè, plus précisément à Gampéla, localité située à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou, sur la route de Fada N’Gourma, celle-là même qui mène au Niger. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre.

Prince Isaac échappe à un lynchage en règle

Les populations sont inquiètes, étant donné qu’elles sont de grandes consommatrices de gallinacés, et que beaucoup de gens tirent leurs revenus du commerce des volailles, estimées à 32 millions de têtes au Burkina Faso. Les regards sont tournés vers les autorités en charge des ressources humaines et vers Gampéla, notamment vers le camping "le Pharaon" de Prince Isaac, foyer de l’épizootie, déclaré officiellement.

D’ailleurs le propriétaire de cet espace de loisirs et d’hébergement, qui a, il est vrai, une réputation sulfureuse, a essuyé la colère des populations, selon lesquelles il aurait un jour affirmé qu’il amènerait la maladie au Faso. Et puisqu’il a vendu des canards et des pintades quelques jours auparavant au marché de volailles de la Cité An II, cela était une preuve suffisante pour l’accabler. Il a fallu d’ailleurs l’intervention de la police de Saaba pour lui éviter un lynchage en règle.

C’était le jeudi 6 avril 2006, jour de l’opération d’abattage des volailles, une des mesures prises par le ministère des Ressources animales, contenues dans le plan de riposte pour limiter la propagation du mal et dont le besoin de financement était estimé à plus de 5 milliards de FCFA. Mais, en fin de compte, l’Etat burkinabè n’a pu mobiliser que 1 milliard 389 millions de francs CFA avec l’aide des partenaires au développement.

En plus ce cela, il était prévu d’indemniser tous ceux dont les poulets devaient être abattus et jetés dans une fosse commune. Cela fait donc un an que la grippe aviaire est passée par là. Douze mois après, quelle est la situation sur le terrain ?

Les promesses faites par le gouvernement ont-elles été tenues d’autant plus que pour nombre de Burkinabè, ces gens qui nous gouvernent les ont habitués à ne pas tenir parole ?

Jeudi 29 mars 2007. Une équipe de notre quotidien s’est rendue sur place à Gampèla. Première destination : le camping le Pharaon, le foyer infectieux. Le patron des lieux, Prince Isaac, est absent. Il serait en déplacement à l’étranger. Nous avons d’ailleurs auparavant tenté vainement de le joindre. L’employé qui nous reçoit lit une petite déception sur nos visages. Comme pour ne pas nous laisser repartir bredouilles, il nous ouvre grandement les portes du camping pour une visite, mais ne peut répondre à nos interrogations.

A l’intérieur, le décor est resté inchangé pour ceux qui connaissent les lieux. Sur le mur et les portes, des dessins dont certains font sourire mais qui ont le mérite de livrer des messages de sensibilisation sur certains sujets tels que le VIH avec quelquefois des exagérations ou des préjugés, notamment sur les femmes. C’est l’œuvre du Prince Isaac pour qui connaît l’homme.

Nous n’avons pas fini d’observer les images que le roucoulement des pigeons nous attire. Perchés sur les branches d’arbres, ils semblent veiller sur la basse-cour, en pleine reconstitution ; car la grippe aviaire a entraîné la disparition des centaines de têtes dont disposait Prince Isaac. Le virus ayant disparu, il a repris petit à petit son élevage et on dénombrait une vingtaine de coqs et de poules avec de nombreux poussins qui, comme pour refuser qu’on les dénombre, se sont réfugiés dans leur case, sous deux hangars ombragés construits dans la cour qui leur est réservée.

"J’ai acheté un vélo pour ma femme avec l’argent de la grippe aviaire"

Après le camping, cap sur la première concession en face, à un jet de pierre. Les brûlures du soleil, ajoutées à l’air chaud et sec, intensifiaient la canicule. Dans un tel climat, il est difficile de rester dans une maison, fût-ce dans des maisonnettes en banco dont la toiture est faite en bois. Ainsi, Rasmané Kibsa Yoda, pour fuir cette chaleur insupportable, s’est réfugié sous un karité avec son épouse Zikoum Kouliga, fille du chef de Gampéla.

Torse nu, le bonnet blanc, qui a viré au "blanc sale" à force de ne pas être régulièrement lavé, sur la tête, Rasmané nous reçoit avec une joie non feinte quand, après nous avoir offert la traditionnelle eau de l’étranger qu’on ne saurait refuser, il s’enquiert de l’objet de notre visite. D’entrée de jeu, il déclare : "Cette fois, les autorités ont respecté leur parole". Puis, souriant, il laisse transparaître une dentition rougie par la cola, qu’il ne cessait de mâcher.

Le vieux Rasmané possédait plus de 60 têtes de poulets qui ont été payés à hauteur de 1 500 F l’une (les poussins sont aussi pris en compte au même montant). Quant aux œufs, ils étaient remboursés à 25 F l’unité. Ainsi, il a été dédommagé à plus de 90 000 FCFA ; ce qui lui a permis d’acheter un vélo à 40 000 FCFA et d’utiliser le reste de l’argent pour régler des problèmes familiaux et acheter des coqs et des poules pour tenter de reconstituer sa basse-cour.

Cela est une nécessité, soutient-il, dans la mesure où la volaille, surtout le coq, a des usages culturels, voire cultuels dans nos sociétés. "Je ne pouvais donc pas ne pas recommencer à élever des poules, ne serait-ce que pour cette raison". A 500 m de chez Rasmané se trouve le domicile de Marcel Nassa, une cour gardée par trois chiens méchants.

En avril 2006, leur maître avait reçu la visite des services vétérinaires allés abattre ses 65 poules et pigeons et lui remettre par la suite (le 26 avril précisément) 105 350 FCFA. Tout comme à Rasmané, l’argent du dédommagement a été utile à Marcel : il a acheté un mouton et une chèvre, des vivres et remis de l’argent à ses enfants qui ont vu également leurs volailles décimées.

Toutefois, il y avait un goût d’amertume chez M. Nassa ; car il dit avoir souffert de la situation, d’autant plus que le dédommagement ne peut pas, en réalité, compenser la perte et l’utilité de disposer en permanence d’un poulailler bien fourni. "Lorsque je suis coincé financièrement, je peux vendre immédiatement un ou deux coqs pour résoudre un tant soit peu mon problème, alors que l’argent que nous avons eu a été rapidement dépensé". Néanmoins, il supporte la situation avec un air de soumission en ces termes : "Dieu a dit de se soumettre aux autorités".

Boukaré Moussa Diandé dont le domicile est situé à côté de l’aire d’enterrement des volailles était également concerné par l’opération d’abattage. Il a, à l’instar des autres, reçu son "argent de la grippe aviaire" qui lui a permis d’augmenter son cheptel en achetant 4 chèvres. Cependant, il n’est pas content des services vétérinaires, qu’il a beaucoup aidés à l’époque et on lui avait promis une récompense, qui tarde à venir.

Plus de 20 millions de FCFA de dédommagement

Qu’à cela ne tienne, il salue la promptitude avec laquelle les promesses ont été tenues tout comme ce groupe de jeunes rencontrés sur place qui soutient que tout le monde a été dédommagé. Information confirmée par Emile Yanogo, le président de la commission villageoise de gestion des terroirs (CVGT) de Gampèla, rencontré au bar-restaurant Dawanziri.

Au total, 20 534 600 FCFA ont été distribués au titre des dédommagements de 1477 personnes dont 241 à Gampèla et Barogo à hauteur de 9 885 375 FCFA, 214 à Bilbalogho (secteur 2 de Ouagadougou) pour un montant de 2 298 650 FCFA. Le quartier Lafiabougou de Bobo-Dioulasso a bénéficié de 6 877 650 pour 882 individus. Enfin, le département de Tenado a obtenu 1 472 925.

Passé l’épizootie de la grippe aviaire, un an plus tard, tout serait rentré dans l’ordre au foyer infectieux hormis le froid qu’il a engendré entre les populations et Prince Isaac. En tout cas, c’est ce qu’ont affirmé certaines personnes dudit village. Mais les relations sont désormais au beau fixe, à en croire le propriétaire du Pharaon que vous lirez dans l’interview qu’il nous a accordée à son retour de voyage.

Adama Ouédraogo Damiss
Abdoul Karim Sawadogo


Prince Isaac : "Je doute qu’il y ait eu la grippe aviaire au Burkina"

C’est dans son camping dit du Pharaon que la grippe aviaire s’est déclarée dans notre pays en mars 2006. Ouédraogo Issiaka dit Prince Isaac, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été au centre de bien de supputations au sujet de l’épizootie. C’est un homme amer et sceptique que nous avons rencontré le mardi 10 avril 2007 dans son domaine de Gampèla, sur la route de Fada N’Gourma.

Un an après la grippe aviaire, comment se porte le "camping du Pharaon" ?

• L’image du camping a été écornée du fait que la soi-disant grippe s’y est déclarée l’année passée. Je dis soi-disant parce que jusque-là, les autorités du ministère des Ressources animales n’ont pas pu me certifier par un papier que c’est cette épizootie qui a décimé ma basse- cour.

Qu’à cela ne tienne, mon camping a été gardé par la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) et fermé pendant 48 jours. Après un tel dommage, je n’ai eu que 51 300 FCFA au titre du dédommagement. Et partout où je passe, on me présente comme étant celui qui a introduit le virus H5N1 dans notre pays. C’est de la diffamation ; ce qui n’a pas été sans conséquence pour mon camping.

Parlant de diffamation, les populations des villages environnants vous avaient accusé d’avoir introduit volontairement la maladie au Burkina. Qu’en dites-vous ?

• Est-ce qu’une personne de bon sens peut volontairement amener une maladie chez elle ? J’ai fait preuve de bonne foi en demandant aux autorités de venir voir ce qui se passait chez moi et d’en chercher les causes.

Les populations avaient en son temps demandé qu’on fermât le camping ; est-ce que vos relations sont redevenues normales ?

• Nous avons toujours vécu en bonne intelligence. Il y a eu un malentendu, mais les villageois ont vite compris que je n’y étais pour rien. Cela dit, beaucoup m’ont félicité en disant que par mon geste citoyen, ils ont eu qui 100 000 FCFA, qui 150 000 FCFA, puisque le plus jeune poussin a coûté 1500 F pendant le dédommagement. Dans tout ça, c’est moi qui suis perdant, car les vétérinaires sont intervenus au moment où ma basse- cour avait été décimée. Ce qui a été pris en compte, c’est quelques poulets que j’avais dans mon réfrigérateur.

A combien évaluez-vous la perte engendrée par la fermeture du camping durant la crise.

• Pendant les 48 jours qu’elle a duré, j’ai perdu entre 5 et 6 millions de nos francs. A l’époque, on faisait 200 000 à 300 000 F CFA de recettes journalières. J’ai écrit au ministre des Ressources animales qui m’a fait savoir qu’il n’est pour rien dans la longue fermeture de mon camping. C’est dire que personne n’a voulu en assumer la responsabilité. Actuellement, les recettes ont chuté à première vue de 90%.

Des personnes sceptiques ont estimé que la grippe aviaire était une invention de l’Etat pour avoir des financements de l’extérieur. Qu’en pensez-vous ?

• Comme je le disais plus haut, je n’ai reçu aucun procès-verbal de l’analyse des laboratoires d’Europe sur lequel je peux me fonder pour affirmer qu’il y a eu la grippe aviaire dans notre pays. Si fait que j’en doute fort. Certains avaient laissé entendre que je me suis entendu avec les autorités moyennant une grosse somme d’argent pour décréter l’existence de la maladie. C’est ce qui m’écœure.

J’ai plutôt été victime d’un complot. Comme je voyage beaucoup, on a dû dire de venir décrété l’existence du virus chez moi en m’accusant de l’avoir importé. Au lieu de me féliciter pour ma coopération exemplaire, on me fait subir l’injustice. C’est tout simplement absurde.

Vous voyagez beaucoup à travers le monde, est-ce dans le cadre des activités du camping ?

• Mes voyages n’ont rien à voir avec le camping. Je viens de rentrer d’Allemagne d’où j’ai ramené 8 chiots dont des bergers allemands, des dobermans et des pit-bulls. Avec ces chiens, je suis sûr qu’on ne reviendra pas dire qu’il y a la grippe aviaire chez moi. Je n’ai pas que le camping à gérer et mes multiples activités m’amènent à voyager constamment.

Qu’avez-vous à dire à vos clients ?

•Je leur demande de faire confiance à mes prestations qui, même si elles sont chères, sont de qualité. Nous travaillons à restructurer le camping et j’invite tout le monde à venir nous voir.

Propos recueillis par Abdou Karim Sawadogo

L’Observateur Paalga

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