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Balufu Bakupa-Kanyindé : le trublion du cinéma africain

Publié le jeudi 15 mars 2007 à 08h27min

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Balufu Bakupa

Chaque famille a son enfant terrible. Balufa Bakupa-Kanyindé est le mouton noir de la famille du cinéma africain. Sociologue, historien et philosophe, ce cinéaste est un intellectuel engagé qui a préféré les chemins de traverses aux raccourcis menant à la gloriole et aux salons feutrés tant convoités par l’élite du Continent.

Balufu Bakupa-Kanyindé fait partie de cette escouade d’intellectuels panafricanistes qui pensent le cinéma comme un divertissement et surtout comme un art subversif. Sa filmographie accouchée aux forceps, sans subvention, car traitant d’une thématique « coup de coup » qui dérange est un chapelet de bijoux artistiques malgré leurs sujets éminemment politiques.

Ce sont des courts-métrages comme « Thomas Sankara (1991), « Le damier-Papa national oyé ! (1996) », « Article 15 bis(1999) ». Ces petits joyaux sont comme des galets blancs du petit Poucet semés sur le chemin, qui mènent au Grand Œuvre. Juju Factory, dernière réalisation et premier long-métrage de Balufu Bakupa-Kanyindé est une étape majeure dans le parcours du réalisateur.

Dans ce long-métrage porté à bout de bras par une équipe d’une vingtaine d’individus dont une grande partie de novices faisant leur premier pas au cinéma, Balufu Bakupa-Kanyindé poursuit son travail de reconstitution de la mémoire africaine. A ce travail de reformulation de l’Histoire, il adjoint tous les questionnements dont l’intellectuel africain peut être le foyer.

Avec "Thomas Sankara" le réalisateur congolais de 50 ans rageait de ne recevoir que des fleurs, aucune critique désobligeante. Avec« JUJU FACTORY » Balufu Bakupa-Kanyindé continuera à porter sa croix, car nul reproche ne peut lui être formulé. C’est le prix que doivent payer les génies ! En effet, avec "Juju Factory" Balufu Bakupa-Kanyindé offre un diamant du Congo aux cinéphiles du Continent.

Comment rendre avec des mots "les minutes supérieures" évoquées par Maeterlinck, ces instants d’intenses bonheurs que vous font vivre certaines œuvres ? Les mots pouvant difficilement traduire le saisissement, l’émerveillement, ces moments extatiques qu’offre "Juju factory".

Ce premier long-métrage de Bakupa-Kanyindé est une pure merveille, un diamant tombé d’un écrin Luba dont les multiples facettes brillent d’un égal éclat.

Le générique est un morceau d’anthologie à montrer dans les écoles de cinéma : les noms s’impriment sur des tissus traditionnels aux motifs et aux coloris multiples ainsi que sur des bijoux de l’artisanat d’Afrique. Irréprochable aussi sur le plan technique, ce film.

Caméra jubilatoire, plongeante, mouvements panoramiques à la Orson Welles de "Cityzen Kane", plans osés, montage elliptique, surimpression, collages de t"i, après avoir patiemment fait ses gammes avec le court-métrage, déroule ici tout son talent de cinéaste. Et le jeu des acteurs, précis, intimiste parfois, sans ostentation, donne force à la fiction du Congolais. Le casting réunit une brochette de comédiens talentueux : Dieudonné Kabongo Bashila, Carole Kemara, Dontien Ki Bakomba...

L’histoire ? Un écrivain émigré, qui vivote à Matongé, quartier noir de Bruxelle, se voit proposé par un éditeur délégué un contrat. Il doit écrire des chroniques sur son quartier, en montrer l’exotisme de sorte à faire la concurrence à tous les guides du routard. Vendre une image d’Epinal politiquement correcte, en somme.

C’est à partir de cette mince trame que Balufu Bakupa-Kanyindé va construire un microcosme de l’émigration congolaise et mettre au jour tous les thèmes qui ont nourri son imaginaire de créateur africain.

Le romancier Kongo Congo est submergé par une histoire autre, qui n’a rien à voir avec celle promise, au grand désespoir de son éditeur. Sous sa plume se convoque l’histoire occultée du Congo : les sept tombes congolaises sans sépulture qui témoignent d’un passé douloureux et qui justifient l’existence de Matongé, l’Exposition universelle où des villageois congolais sont montrés comme des curiosités de foire ; la Figure tutélaire de Patrice Lumumba, ce rêve de Liberté et d’Espoir assassiné.

Et aussi la détresse des Divinités exilées loin de leurs fidèles, ces masques trônant dans la solitude des musées d’Europe. Sont aussi matériaux de son livre les hommes et femmes de son entourage. Et défilent aussi les citations hommages pleines de poésie de W. Sassine, F. Fanon et D. Achkar.

Kongo Congo est une métaphore qui pose à l’intellectuel et au créateur africain la question du contenu de son discours. Parler est un privilège. Peut-il se payer le luxe de dilapider ce privilège, de ne pas témoigner pour son peuple ? Pour Balufu Bakupa-Kanyindé qui a écrit « Que la mémoire soit notre anneau de fer », c’est évidemment NON.

Si le thème est sérieux, son traitement évite la tritesse ; et Balufu Bakupa-Kanyindé nous promène dans une galerie de personnages qui nous arrachent des rires. C’est l’éditeur Joseph Désiré qui se compose un rôle de Caïd en rabrouant les écrivains en herbe et qui est un véritable NGM (nègre génétiquement modifié) tant il se comporte en assimilé.

Le voir questionnant La statue de Léopold II ou la Vierge Marie, dit l’importance de la pensée de Frantz Fanon. C’est aussi le cousin étudiant Kinsasha, « sapeur » qui achète une paire de chaussures à 450 euros et qui quémande 5 euros pour sa course en métro.

C’est enfin la figure inoubliable du conteur Karamoko qui se promène avec un cahier vierge parce qu’il refuse d’enfermer ses histoires dans le sarcophage de l’écriture, prompt cependant à les narrer au premier venu. Il est un pendant de Kongo et leur rencontre annonce la sauvegarde du patrimoine de l’oralité. Les épousailles de la Lettre et du Verbe.

Signalons enfin la musique de So Kemara qui est très entraînante et la bande son très éclectique qui se savoure avec délice. Bref, ce film est un chef-d’œuvre ! Et tous ceux qui rêvent d’un cinéma africain majeur sont reconnaissants à Balufu Bakupa-Kanyindé de tutoyer la Perfection et de leur faire entr’apercevoir les voies qui mènent à celle-ci.

Cette quête passe sûrement par la fidélité au continent et en ces vers du poète Matala Mukadi Tshiakatumba que le réalisateur aime à réciter : « Si je trahis cette terre, Terre Kongolaise, terre africaine, Que la foudre et le feu pulvérisent mes os ».

Barry Alceny Saidou

L’Observateur Paalga

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