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Sénégal : Wade, tel un lutteur dans l’arène

Publié le mercredi 28 février 2007 à 08h28min

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Il est tout à fait probable que le président sortant du Sénégal, Me Abdoulaye Wade gagne son pari : vaincre ses 14 adversaires à l’élection présidentielle du 25 février dernier, dès le premier tour. De l’interrogation de savoir comment il allait y parvenir, personne ne saurait y répondre, sauf Wade lui-même, même si toute victoire d’un candidat politique est d’abord comptable de la qualité de l’organisation mise en place par le parti, le PDS du "Sopi" en l’occurrence.

Car, en fait, de nombreux indicateurs sociaux, politiques et économiques seraient au rouge pour le "vieux". Bilan économique globalement mitigé (chute du cours des arachides , échec des politiques de privatisation...) scandale politico-judiciaire (affaire Seck), problèmes sociaux avec la question de l’immigration mal gérée, situation de la Casamance non-résolue... au point que l’opinion sénégalaise avait fini par espérer revendiquer un autre Sopi, mais cette fois contre son géniteur historique des années 2000.

Tout le problème reste donc de savoir comment cela a pu se réaliser dans l’équité, la transparence et une participation populaire jamais égalée dans le pays de Léopold Sédar Senghor. Personne bien sûr ne pourra lire dans l’esprit de Wade ce qu’il a pu bien faire. Reste donc à analyser, avec tous les risques possibles de se tromper, les raisons du succès de Wade ou celles de l’échec de ses challengers, dans le contexte global de l’Afrique noire en politique contemporaine.

D’abord les raisons que l’histoire autorise à considérer comme structurelles : la multiplicité paradoxale (théoriquement parlant) des partis politiques et surtout des candidats et l’incapacité de ceux-ci, se réclamant tous de l’"opposition", à s’unir (tant leurs motifs de divergence sont superficiels et subjectifs), à unir leurs forces et moyens forcément plus dérisoires que ceux du parti au pouvoir, de surcroît candidat "unique" qui sera présenté au peuple comme porteur du changement attendu. Comme toujours ! Les candidats de l’opposition (chacun se croyant le premier, le plus méritant et le plus populaire du groupe) optant de partir dispersés, pour s’unir au deuxième tour et ce , derrière le premier d’entre eux.

En oubliant beaucoup de considérations qui, pour être probables (la politique étant aussi un calcul de probabilité), ne sont pas moins déterminantes quand elles adviennent : création de troubles et de confusions dans la tête des électeurs, pour la plupart analphabètes et tenus à l’écart de ces "négociations" au sommet, émiettement de forces, dispersion des énergies, exacerbation des crises de confiance et des manifestations d’hypocrisie, risque, en conséquence, qu’il n’y ait pas de second tour pour la réalisation de l’union sacrée nécessaire pour battre l’adversaire au pouvoir, comme ce qui, selon toute vraisemblance, pourrait se produire au Sénégal.

Les mêmes causes ont ici aussi produit les mêmes effets, et les partis de l’opposition sénégalaise vont l’apprendre à leurs dépens.

Viennent ensuite , les raisons spécifiques, circonstancielles.

Le bilan du président candidat n’aura jamais, sous nos tropiques, suffi à le faire apprécier par l’électorat pour qui le vote-sanction n’existe pas encore : autant on ne l’avait pas élu sur la base d’un programme explicitement écrit et présenté, autant on ne le laissera pas tomber parce qu’il n’a pas fait ce qu’il avait dit. Il eût fallu pour cela, un corps électoral très différent de celui qui prévaut en Afrique au sud du Sahara.

Le vrai challenger de Me Abdoulaye Wade, à savoir son ancien Premier ministre, Idrissa Seck, paraît à plusieurs égards, un "produit électoral" du président. Celui-ci pourrait l’avoir "fabriqué" de toutes pièces pour jouer le rôle qu’il a joué : divertir l’opposition et l’empêcher de trouver en son sein, un leader suffisamment fédérateur pour résister au président-candidat. Car, il n’y avait pas longtemps, M. Seck était présenté comme le dauphin, le remplaçant naturel du "vieux", tant sa jeunesse, sa popularité dans son fief à Thiès et un réel charisme au sein du PDS sont autant d’atouts pour une brillante carrière politique au Sénégal. Cela aussi, c’est connu en Afrique. Utiliser son "bras droit" pour fragiliser l’ennemi commun. S’il a effectivement vampirisé les élections en faisant étalage des "affaires sales" de son ancien - mais peut-être - futur camarade du PDS, Seck a certainement servi les causes de son ancien parti. Et il n’est pas exclu qu’il le rejoigne à un moment ou à un autre du nouveau mandat de Wade. D’autant plus que "sage" comme il l’est, celui-ci pourrait prendre sa retraite politique dans 5 ans.

Tous les calculs sont bons en politique et l’expérience personnelle de Wade ne dira pas le contraire. Dans le cas sénégalais, beaucoup d’opposants ont fait leurs preuves, parfois aux côtés de Wade, ce qui réduit leur crédibilité auprès du peuple qui peut ne pas très bien comprendre. De plus, l’expérience politique africaine montre que les gouvernements d’"Union nationale" ainsi que les regroupements de même nature, ont toujours servi la cause du président du moment et, par conséquent, desservi celle de l’opposition.

Somme toute, Wade et les candidats de l’opposition ont eu chacun, ce qu’ils méritaient. Qu’il y ait eu des achats de conscience (auprès des marabouts en l’occurrence), des actes d’intimidation à l’égard de l’opposition (les menaces pendant la campagne présidentielle), peu importe : M. Wade a toutes les chances de remporter les élections dès le premier tour, clouant au pilori des adversaires médusés et condamnés à attendre un deuxième tour qui n’arrivera sans doute jamais. Réélu dans la "transparence" et en toute démocratie, il aura les coudées franches pour tenir les mécontents en laisse. Et de récompenser ceux de sa famille politique qui se seraient momentanément égarés. A ce sujet, il ne serait pas politiquement aberrant que Seck, premier des perdants avec 18% des votes, soit rappelé à réintégrer son ancien et vrai parti, celui qui a fait de lui ce qu’il est, en attendant peut-être, en héritier réhabilité, de remplacer le père.

Assurément, Me Wade, fort de sa longue tradition d’opposant (près de 40 ans) est un véritable stratège, un lutteur émérite des arènes... sénégalaises, doublé d’un redoutable spécialiste de la rhétorique : savoir quoi dire, à qui le dire, à quel moment et comment le dire. Peut-être, est-ce là, le secret de son succès !

"Le Pays"

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