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Evariste Bassolé, fondateur de Forages burkinabè : "L’arsenic est un phénomène naturel"

Publié le mercredi 7 février 2007 à 07h57min

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Evariste Bassolé

Evariste Bassolé reste un pionnier de son secteur d’activités au Burkina Faso, les "puits et forages". Ses camarades le désignent par "vieux père". Après avoir engagé et gagné la farouche concurrence aux multinationales, il réussit à asseoir la société "Forages burkinabè" dans les années 80.

Aujourd’hui, il se bat pour la qualité des ouvrages dans son domaine. L’apparition de l’arsenic dans des forages de la région du Nord a mis le secteur des puits et forages au-devant de la scène. "Vieux père", Evariste Bassolé, décrit le paysage et se prononce sur cette substance chimique.

Sidwaya (S.) : Forages burkinabè est l’une des premières sociétés de forage au Burkina Faso. Comment vous est venue l’idée de mettre en place une telle structure ?

Evariste Bassolé (E.B.) : J’ai fait mes débuts dans le domaine du forage en 1975 en France. Je ne suis pas foreur de formation mais plutôt constructeur de matériel de forage. C’est mon expérience sur le terrain qui m’a permis de devenir foreur. Pour nos travaux, nous utilisons des machines que nous avons nous-même techniquement modifiées et ce depuis 1981, date de la création de mon entreprise. Elle s’appelait à l’époque SIF-Volta. Ce n’est qu’en 1984 que le nom est devenu Forages burkinabè. Depuis, la société ne fait que grandir.

Mais le démarrage n’a pas été facile. Quand nous nous installions, il y avait en face les multinationales. Elles n’étaient pas du tout favorables à notre arrivée. Mais le plus gros handicap, c’étaient certaines autorités burkinabè. Elles ne croyaient pas qu’une société locale pouvait tenir la route. J’ai été arrêté à plusieurs reprises et emprisonné à la police, à la gendarmerie. J’ai fait le sous-sol.

Certains dirigeants m’ont dit à l’époque, qu’il me suffisait de fermer mon entreprise pour avoir la paix. Tout ceci parce que j’ai tenu tête à des multinationales. Ces derniers, à part, "Forafrique", sont toutes parties. C’est moi d’ailleurs qui ait acheté leur matériel. Question de rapport de force. Je n’ai cedé à aucune pression. Je me suis battu corps et âme car j’étais convaincu que je suis sur la bonne voie. Si j’avais recours aux dessous de table, je n’aurai pas tenu toutes ces années. J’ai eu tous les déboires, mais je suis toujours là, efficace et toujours prêt pour le combat.

Je ne me décourage pas. C’est ce qui fait ma force de frappe aujourd’hui. Tous ces déboires que j’ai connus sont à mettre au compte du passé. Je les ai oubliés. Quand on veut mettre en place une entreprise, il faut être un battant. Au début on ne peut pas avoir des amis fiables pour créer une société. L’expérience l’a prouvé. Au départ les associés emmènent leurs parents. Chacun veut se positionner dans l’entreprise. En moins d’un an, les difficultés abondent. Combien de sociétés existent au Burkina Faso ? Beaucoup sont devenues des entreprises familiales.

Je me suis battu pour sortir la tête de l’eau. Il y a trente-cinq (35) sociétés de forages dans ce pays et 90% de leurs personnels ont été formés dans mon entreprise.
Nous entretenons de très bonnes relations avec toutes les sociétés de forage. Les jeunes m’appellent tous "vieux père", parce que je suis le plus ancien dans le domaine. Ils sollicitent mes conseils et je leur en prodigue chaque fois que de besoin. De 1984 à nos jours, j’ai fait plus de 250 forages gratuitement pour des parents, des amis à travers le pays. Ces forages ne profitent pas à eux seuls mais à des centaines de personnes. Beaucoup de personnes viennent me solliciter et je fais ce que je peux. C’est pourquoi je suis très fier de moi.

S. : Face à la floraison de sociétés de forages quelle est aujourd’hui la part de marché de votre entreprise ?

E.B. : Forages burkinabè occupe 65% du marché burkinabè. Nous avons construit plus de sept mille (7 000) forages. Mais le rythme a augmenté. Par jour nous pouvons construire en moyenne 7 forages. La technologie a beaucoup évolué de nos jours. Nous avons sept équipes sur le terrain et une seule peut construire en moyenne 200 forages par an. Il faut tenir compte du fait que nous avons 4 à 5 mois d’arrêt par an compte tenu de la saison des pluies.

Et comme nul n’est prophète chez soi, nous intervenons aussi au Mali, au Togo et bientôt au Bénin. Nous sommes en train d’implanter des représentations dans ces pays. Mais mon objectif n’est pas de conquérir ces pays. Je veux plutôt aider des ressortissants de ces pays à voler de leurs propres ailes. Ainsi, nous pourrons nous regrouper en une association et faire le bonheur de la sous-région.

S. : Existe-t-il un cadre légal de concertation où toutes les sociétés de forage se retrouvent pour la défense de leurs intérêts et constituer une force de proposition ?

E.B. : Nous travaillons en ce moment pour la création de l’association. Nous allons mettre sur pied un cadre légal pour défendre nos droits et assurer nos devoirs. C’est à travers une association que nous pourrons mieux collaborer avec l’Etat. Chaque partie pourra faire connaître ses attentes à l’autre. Lorsqu’un forage sera mal exécuté, l’association pourra par exemple le reprendre. L’entreprise qui construira un forage sans respecter les normes, peut aussi être sanctionnée par l’association.
Nous demanderons à l’Etat et aux bailleurs de fonds de suspendre toute relation avec ladite entreprise pendant une certaine durée.

Le Burkina Faso a les meilleures entreprises de la sous-région. Il faut travailler à mettre de l’ordre dans la maison afin de conquérir aisément d’autres contrées hors de nos frontières. Par ailleurs, le matériel que nous utilisons coûte cher. Il faut que l’Etat nous épaule en tant que pourvoyeurs d’emplois à avoir du matériel fiable. Avec des machines plus performantes, nous pourrons mieux travailler et progresser davantage.
C’est un problème crucial sur lequel on ne peut fermer les yeux sinon les multinationales vont revenir et les prix des forages vont tripler ou quadrupler au détriment des populations.

S. : Rencontrez-vous des problèmes avec l’administration ?

E.B. : Je n’ai rien à reprocher à l’administration. Elle a beaucoup évolué. Les arriérés existent partout. Mais l’administration met tout en œuvre pour nous satisfaire. Ceux qui sont aux commandes actuellement sont des jeunes. Les gens de mon âge n’y sont plus. Avec ces jeunes, il faut être souple. Nous nous comprenons. Ils ont la théorie et cherchent à compléter leurs connaissances avec la pratique du terrain. Ceux qui ont des problèmes avec l’administration, c’est plutôt les jeunes à qui les parents ont acheté des entreprises parce qu’ils ont des diplômes. Malheureusement quand il y a malversation, on met tout le monde dans le même sac. Il faut mettre en place des entreprises fiables pour mériter la confiance de l’administration.

S. : Malgré les efforts de l’Etat et les Organisations non gouvernementales le pays n’est pas totalement desservi en forages. N’est-ce pas parce que le coût d’un forage n’est pas à la portée de tout le monde ?

E.B. : Oui, c’est exact. Le coût de construction d’un forage n’est pas à la portée de tout le monde.
Le forage est évalué au Burkina Faso entre 7 à 10 millions de F CFA. Mais grâce aux efforts de l’Etat et des Organisations non gouvernementales (ONG), nous sommes en train de desservir tout le pays. A mon avis, le problème n’est pas autant le coût élevé du forage que la gestion du forage.

Parfois le suivi n’est pas à la hauteur. Je pense qu’on peut arrêter des dégâts au niveau de certains ouvrages. Je souhaite que le ministère de tutelle qui se bat pour que les populations aient des forages fonctionnels, les privatise. Il faut confier la gestion des forages à des privés. Chaque gérant devra se battre pour entretenir le forage. En cas de panne, c’est à lui de remplacer la pièce défaillante.

Ainsi les forages seront bien suivis contrairement, aux comités locaux dont la gestion est à dénoncer. Sinon comment comprendre qu’on mette de l’argent dans les caisses pour gérer les forages et qu’en cas de panne, on cherche les responsables et les fonds en vain. Dans un tel contexte qui incriminer ?

Parfois, un forage est abandonné à cause d’une panne de six mille (6 000) F CFA et au moment où l’Etat décide d’intervenir, les dégâts atteignent des millions parce qu’entre temps, la panne a pris de l’ampleur. Contrairement à ce que certains prétendent, je puis vous dire sans ambages que les pièces de rechange ne manquent pas. Tout le monde attend que l’Etat, "le bienfaiteur", vienne remplacer les pièces usées. Une pièce qui tourne six heures par jour a une durée de dix ans. Si elle est utilisée 24h/24 elle n’excède pas une année de vie.
Du reste, les pannes sont aussi dues à l’avancée de la sécheresse. C’est un problème. Parfois, à une certaine profondeur il n’y a plus d’eau. Il y a des forages de 40m de profondeur avec un gros débit. Au fur et à mesure, le débit va baisser à cause de la sécheresse.

S. : Comment faire pour que l’eau potable, notamment les forages, soit accessible à tous ?

E.B. : Le problème ce sont les démarcheurs. Ils accourent parce qu’ils croient qu’ils peuvent se faire facilement de l’argent dans le secteur. Ils reçoivent des marchés alors qu’ils ne connaissent rien du métier. Ils prennent des marchés, ils courent au port de Lomé, achètent des machines et reviennet pour forer. Leur souci c’est de creuser. Ils construisent des forages d’une profondeur parfois insuffisante parce qu’ils veulent en tirer le maximum de profit. Dans ce cas, comment voulez-vous que l’eau potable soit accessible à tout le monde ? Et quand il y a un problème, c’est moi qu’on indexe parce que le technicien en question était chez Bassolé. Je subis, il m’est arrivé de refaire des puits.

S. : L’arsenic menace la santé des populations dans le Yatenga. Certains forages ont même été fermés. Où situer les responsabilités dans cette affaire ?

E.B. : L’arsenic est une affaire très délicate. Il apparaît par zone. Généralement il n’apparaît pas au début. Avant de construire les forages, nous faisons des analyses. Le rôle d’une entreprise dans ce domaine, c’est de trouver de l’eau, de faire les analyses et après, confier le forage à l’Etat. C’est à l’administration d’équiper le forage. Il ne faut pas confondre les choses. Nous ne sommes que des exécutants. Que le forage soit positif ou négatif l’entreprise est payée. Après, l’administration en fait ce qu’elle veut. Mais il faut retenir que ni l’Etat, ni l’entreprise ne sont responsables de la présence de l’arsenic dans l’eau.

L’arsenic a deux origines : géologique et industrielle. Dans le cas du Yatenga, il ne s’agit pas de pollution industrielle mais d’une toxicité naturelle. L’arsenic existe dans les roches qui datent de millions d’années. Il s’associe avec le fer et le soufre pour former le mispickel ou arsénopyrite. Dans le Yatenga, l’eau se retrouve dans les failles, les fractures. Alors que ce minerai aussi se retrouve dans les filons c’est-à-dire les fractures. C’est ainsi que l’eau, dans son évolution, dissous le mispickel. On ne peut pas le dissocier. Il y a cependant une nouvelle technique pour détecter l’arsenic. La solution actuelle consiste à faire des mesures de teneur à partir d’un dispositif spécifique.

La teneur de l’eau doit répondre aux normes internationales. Autrement, les travaux du forage sont suspendus. Par ailleurs, lorsque le forage est exécuté, un autre contrôle est fait lors de l’installation de la pompe. Ce ne sont pas les même techniques qui sont utilisées pour les forages en zone urbaine et ceux construits en zone rurale. Mais il faut dire que le contrôle prend en compte plusieurs substances pouvant nuire à la santé des populations. Et très souvent, le reflexe consiste à rechercher les substances les plus fréquentes.

S. : Quel diplôme faut-il pour travailler dans votre entreprise ?

E.B. : Mes techniciens sont de très bons foreurs aujourd’hui. J’ai pris le soin de les former en "Bantare" (ndlr : alphabétisation en langues nationales). Ils ont des noms qu’ils donnent en patois aux clefs, aux pièces. 80% des foreurs ne sont pas allés à l’école. Ici, nous avons des schémas sur les chantiers pour harmoniser le travail. Moi, je m’en tiens à mon rôle. Je dis aux techniciens à quelle profondeur se trouve l’eau.

Après ce sont eux qui font le reste. La construction de forages est un travail d’équipe. C’est comme les dents et la langue. Nous sommes complémentaires. Parfois on voit des annonces d’offres d’emplois qui exigent tel out tel diplôme. Je puis vous assurer que la construction de forages n’est pas une question de diplôme uniquement mais de pratiques. En 1988, j’ai reçu six ingénieurs de forage. Ils ont étudié au Niger. Ils avaient de gros diplômes. Mais ils ne savaient même pas démarrer une machine.

Beaucoup de jeunes diplômés veulent forer mais ils ont peur de se salir. Pourtant c’est un travail très salissant. Ils ont peur d’aller à la boue parce qu’ils ne veulent pas que leurs copines les voient dans un tel état. Par contre, les paysans, sont prêts à le faire. Ici, ils n’ont pas moins de 200 000F CFA par mois et ils sont fiers de posséder des connaissances. Mais le problème avec eux, c’est qu’ils n’acceptent pas transmettre leur savoir de peur que les nouveaux venus ne les remplacent.

S. : Après tant d’expériences cumulées, quels conseils donnez-vous aux jeunes qui veulent suivre votre exemple ?

E.B. : Il faut qu’ils refusent la manipulation. Qu’on les laisse en retour faire leur chemin. Les gens créent des entreprises fantômes. Ils mettent les jeunes devant et restent dans l’ombre pour se faire des sous. Et quand il y a des problèmes, ce sont les jeunes qui en pâtissent. Comment voulez-vous que les jeunes progressent ?

Le Burkina Faso peut bien décoller à condition qu’on ne manipule pas la jeunesse. Lorsqu’il y a un remaniement ministériel ou le renouvellement de l’Assemblée nationale, certaines sociétés disparaissent laissant les jeunes dans le désarroi. Tout simplement parce que le pourvoyeur de marchés n’est plus à même de le faire. Nous sommes en partie tous responsables. Si des gens acceptent de céder 10% d’un contrat d’un milliard à un démarcheur il y a problème. L’ouvrage ne sera pas bien construit.

Propos recueillis par Hamadou TOURE
Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA
Jolivet Emmaüs

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 7 février 2007 à 17:39, par injuried time En réponse à : > Evariste Bassolé, fondateur de Forages burkinabè : "L’arsenic est un phénomène naturel"

    Chapeau M.Bassolé. Vous êtes d’une intégrité à faire palir certains de nos hommes politiques et "opérateurs économiques". Vous transpirez la dignité du burkinabé vrai. Courage ! avec des hommes comme vous, le pays est dans de bons rails.

    • Le 7 février 2007 à 22:44, par sylvie En réponse à : > Evariste Bassolé, fondateur de Forages burkinabè : "L’arsenic est un phénomène naturel"

      Bonjour,je lis de France avec plaisir vos articles qui me raprochent de votre pays que j’aime tant et qui me reçois toujours avec une grande générositée.
      Je suis très attachée à la provence du Yatenga et il me semblait avoir lu sur votre site que des problèmes importants dus à la présence d’arcenic dans l’eau se posaient dans cette région et que c’était lié à l’extraction d’or.Là, je crois comprendre que la présence de ce produit toxique serait naturelle !Veuillez excuser mon ignorance et m’éclairer de votre savoir !Merci de bien vouloir donner suite à mon questionnement.Respectueuses salutations de france.
      SYLVIE

  • Le 26 juin 2016 à 09:52, par henou En réponse à : Evariste Bassolé, fondateur de Forages burkinabè : "L’arsenic est un phénomène naturel"

    Monsieur Evariste Bassolé,
    j’ai trouvé votre analyse du forage d’eau très pertinente,
    J’ai contrôlé des centaines de forages en Afrique (Sénégal, Togo, Cameroun, Maroc). par ailleurs j’ai aussi mis au point une méthode pour localiser les zones ou les roches sont susceptibles de contenir de l’arsenic
    Je suis hydrogéologue conseil retraité et je suis de passe à Ouagadougou du 17 juillet au 1 er aout

    Si vous souhaitez que l’on se rencontre afin d’échanger nos expérience dans la recherche d’eau souterraine, merci de me donner vos coordonnées. Bien à vous

  • Le 9 février 2017 à 10:13, par Inside En réponse à : Evariste Bassolé, fondateur de Forages burkinabè : "L’arsenic est un phénomène naturel"

    Bonjour Henou,
    Faisant suite à votre message relatif à l’arsenic. Nous sommes bien intéressé d’en discuter. Nous réalisons des forages en milieu rural et la présence d’arsenic est notre plus grande crainte. Vous pouvez nous contacter sur : info@srgea.com

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