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Djibrill Yipènè Bassolé, discret et déterminé représentant de Blaise Compaoré dans le "dialogue inter-ivoirien"(2/3)

Publié le mercredi 7 février 2007 à 08h20min

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Militaire, officier de gendarmerie, Djibrill Yipènè Bassolé a été nommé ministre de la Sécurité alors que le Burkina Faso, encore secoué par les "effets collatéraux" de "l’affaire Zongo" se trouvait confronté à la "crise ivoirienne" (cf. LDD Burkina Faso 0121/Mardi 30 janvier 2007).

Nous nous sommes rencontrés à Paris, pour un long petit-déjeuner, le jeudi 5 décembre 2002 alors que tout, en Côte d’Ivoire, était encore possible. Nous nous retrouvons à Ouaga et ailleurs au Burkina Faso tout au long de la semaine du 13 au 20 février 2003. Je suis reçu par le président Biaise Compaoré et je peux m’entretenir avec Guillaume Soro de passage dans la capitale burkinabé.

La donne a changé. Les accords de Marcoussis ont été signés.
De mes multiples entretiens, il ressortait alors que Ouaga entendait rester ferme sur sa ligne et ne se déterminer que par rapport aux intérêts du peuple burkinabé, c’est-à-dire, aussi, des ressortissants burkinabé présents en Côte d’Ivoire. Compaoré entendait laisser le Comité de suivi jouer le rôle qui lui avait été confié en pleine indépendance. Sans jamais perdre de vue que, sans pression diplomatique, sans pression militaire et sans pression politique, il était indéniable que Gbagbo refuserait d’assumer sa part de responsabilité. A Ouaga, beaucoup pensaient d’ailleurs que si Paris avait laissé s’exprimer pleinement le rapport de forces sur le terrain, la situation ivoirienne aurait été rapidement dénouée.

Dans les premières semaines de l’année 2003, Ouaga avait pris en compte que Guillaume Soro, qui se présentait désormais comme le secrétaire général du MPCI, s’était imposé, au fil des jours, comme un authentique leader politique. Soro et son équipe constituaient, dès lors, un pôle politique sur lequel les acteurs extérieurs de la crise ivoirienne ne manquèrent pas de s’appuyer et de compter (on se souvient que le président gabonais Omar Bongo Ondimba n’avait pas manqué de lancer une OPA sur le jeune leader ivoirien, tentant de s’imposer comme un médiateur dans la "crise ivoirienne").

En ce qui concerne Alassane Ouattara, le président du RDR, on m’affirmait que son horizon électoral se situait non pas en 2005 mais en 2010 : il se refusait à aller à la confrontation, ce qui expliquait son refus d’assumer des positions tranchées vis-à-vis de Henri Konan Bédié d’abord, de Gbagbo ensuite. Mais on soulignait, également, à Ouaga, qu’il y avait le risque que le MPCI mette à profit le temps qui passe pour renforcer ses positions nationales et internationales. Se structurant véritablement en parti politique, il viendrait mordre largement sur l’électorat RDR, ce qui rendrait le PDCI majoritaire dans le pays. On ajoutait, cependant, que Ouattara était incontournable : il a l’expérience, la compétence, les réseaux relationnels internationaux et une fortune personnelle qui, étant faite, n’est plus à faire.

Il s’agissait donc, alors, de renforcer l’un (le MPCI) sans amoindrir l’autre (le RDR). Un jeu politico-diplomatique délicat. Rien n’aurait été pire que de laisser penser qu’on voulait tirer les ficelles à Bouaké dans la perspective de les tirer à Abidjan en (juste ?) réponse à la politique de Gbagbo qui ne cessait de dénoncer Ouaga. J’écrivais alors : "Cela a entraîné l’effondrement de la Côte d’Ivoire. Sa reconstruction ne se fera pas sans Ouaga. Il y a plus d’investisseurs burkinabé en Côte d’Ivoire que d’investisseurs ivoiriens partout ailleurs dans le monde !".

Dans un contexte tendu (les exactions contre les ressortissants burkinabé ou considérés comme tels ne cessaient pas alors, provoquant un début d’exode vers le Burkina Faso ; l’ambassade à Abidjan sera détruite), Compaoré va s’efforcer de calmer le jeu, rencontrant, chaque fois qu’il le fallait, son homologue ivoirien, s’expliquant avec lui sans jamais manquer d’être ferme dans son discours mais se refusant à jeter de l’huile sur le feu. La fermeté de Ouaga ne visera pas à s’immiscer dans les affaires intérieures ivoiriennes, ni à soutenir le mouvement des "mutins". Il s’agissait alors seulement de mettre fermement en garde Abidjan contre toutes les atteintes aux droits de l’homme à l’encontre des "Burkinabé" de Côte d’Ivoire en se situant, toujours, dans le cadre légal international.

Tout au long de la crise ivoirienne, le rapport de forces sera en faveur de Ouaga. Je vais le constater au printemps 2004 lors d’un nouveau séjour au Burkina Faso. Gbagbo, qui se vantait de pouvoir asphyxier son voisin du nord dès lors que la liaison ferroviaire entre Abidjan et Ouaga serait interrompue, s’est lourdement trompé. Les Burkinabè ont été capables de gérer, aussi positivement que possible, tous les aspects de la crise ivoirienne.

Je passe plusieurs heures avec Compaoré et Bassolé ; cela me conforte dans la certitude que le pays ne cesse d’avancer d’une République à l’autre depuis son indépendance. C’est ce qui explique, également, que le pays a su résister à toutes les actions de déstabilisation qui ont été menées contre lui depuis que la Côte d’Ivoire est en crise. Assassinat de Balla Keita, tentative de putsch du capitaine Ouali, sans compter les mises en cause systématiques et répétées (mais jamais avérées) du Burkina Faso dans les événements de la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre 2002, exclusion et liquidation des "Burkinabé" de Côte d’Ivoire, destruction de l’ambassade, etc. sont autant de situations dramatiques qui pèsent sur la société burkinabé dans ses rapports avec Abidjan, mais sans jamais parvenir à faire perdre la sérénité et la détermination des hommes de Ouaga. La fermeté est de mise mais il leur faut, parfois, beaucoup de sang froid pour ne pas sortir de leurs gonds. Ce qui est la meilleure contribution à une solution pacifique de la crise.

Pas facile quand, partout, en Afrique, on montre du doigt Ouaga dès lors qu’il s’y passe quelque chose. En Mauritanie. Au Togo. En Guinée (et même en Guinée équatoriale). Hermann Yaméogo va apporter sa voix à ce concert (cf. LDD 040 à 048/Lundi 20 septembre à Vendredi 15 octobre 2004).

Je retourne à Ouaga à l’automne 2004. J’écris ceci : "Blaise Compaoré, Djibrill Bassolé et Yéro Boly [le ministre de la Défense] ne sont pas dupes. Ils savent ce qui se trame à Abidjan, Nouakchott, Conakry et Lomé. Ils savent aussi les contraintes internes et externes qui pèsent sur les leaders de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, de la Guinée et du Togo. Ce qui ne les empêche pas d’être vigilants et déterminés". J’ajoutais : "A Ouaga, les veilleurs veillent ou, quand ils dorment, "dorment en gendarme " (il est peu probable que le Burkina Faso puisse être pris a u dépourvu !) tandis que les politiques se consacrent à l’essentiel. Ils savent que la crise ivoirienne a brisé, pour toujours, le carcan qui enserrait l’Afrique de l’Ouest. Qui ne sera plus jamais ce qu’elle a été par le passé. Les équilibres sous-régionaux doivent être repensés. Le centre du pouvoir n’est plus Abidjan (d’où se sont retirées les institutions internationales et africaines dont la BAD).

Ouaga, peu à peu, se fait à l’idée que, la politique comme la nature ayant horreur du vide, il lui faut assumer les responsabilités qui sont désormais les siennes. Cela heurte la mentalité mossi (qui n’est pas naturellement hégémonique). Mais ne peut que satisfaire la population burkinabé qui est, compte tenu de la diaspora sous-régionale, la plus importante d’Afrique de l’Ouest".

Il n’empêche que la crise ivoirienne pèse sur l’évolution du pays et, plus encore, de la sous-région. Bassolé est conscient que, de Bobo Dioulasso à Ouagadougou, les "rebelles" ivoiriens tendent à "criminaliser" une partie de l’économie en recyclant un argent sale. Dans le même temps, l’insécurité liée aux agressions et aux meurtres (parfois particulièrement sauvages) ne cesse de s’aggraver. Il va lui falloir donner aux forces de police bien plus de moyens qu’ils n’en n’avaient jusqu’alors (ce qui explique, en partie, les affrontements police-armée de décembre 2006).

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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