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Laurent Sédogo (ministre de l’Environnement) : « Le reboisement n’est pas un phénomène de mode »

Publié le mercredi 24 janvier 2007 à 07h21min

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Laurent Sedogo

Dans ce premier numéro des Pages du développement consacré à l’environnement, la part belle a été faite au ministre de l’Environnement. Dans cet entretien, le premier responsable du département, Laurent Sédogo, aborde la problématique des sachets plastiques, la culture du coton, le reboisement et la pollution...

Sidwaya : Pouvez-vous nous éclairer un peu sur les missions du ministère de l’Environnement ?

Laurent Sedogo : Notre ministère a une mission extrêmement lourde. L’environnement, c’est d’abord une question de société. Lorsqu’il y a un péril environnemental, cela devient automatiquement un problème global. Une mission de ce genre dont l’impact rejaillit sur l’ensemble de la société, n’est pas une mince affaire. Notre action est diffuse et se retrouve partout. L’environnement, c’est tout ce qui nous entoure ou nous touche : l’air, l’eau, la terre, le vécu quotidien.

Le cadre de vie quant à lui, constitue non seulement des aspects techniques tels que faire en sorte qu’il y ait moins de pollution dans l’air, mais aussi tout ce qui concerne la vie du citoyen. Nous avons une mission assez complexe. Mais nous essayons de tout mettre en ouvre pour être à la hauteur de la confiance en nous placée.

S : Ces derniers temps, votre département a engagé une lutte contre les sachets plastiques. Pourtant, on ne voit pas jusqu’à présent ce que vous proposez comme alternative.

L. S. : La question des sachets plastiques est très complexe. Le plastique à l’origine visait à agrémenter notre cadre de vie. De plus en plus, il fait partie de notre vie. Il a contribué à élever qualitativement le niveau de vie des citoyens. Aujourd’hui, le problème donc se pose une fois que nous avons fini de l’utiliser. Que faire alors pour qu’après l’utilisation, le produit ne se retourne contre nous-mêmes ? C’est là toute la question des plastiques. Au-delà de l’aspect dégradation de l’environnement, le plastique a également un aspect négatif sur la santé. D’ailleurs, il a été démontré qu’une grande partie de la mortalité du cheptel est due à l’indigestion de plastiques avalés par les bêtes. En campagne, et autour de nos villes, lorsque vous creusez jusqu’à 25 a 30 centimètres vous pouvez y trouver du plastique. Toute chose qui imperméabilise les sols.

Le plastique représente un véritable danger pour l’agriculture. Pour s’en débarrasser, certaines personnes le brûlent. Et cela est encore dangereux dans la mesure où sa combustion dégage des gaz plus dangereux et nocifs pour la santé. Dans le cadre de la lutte contre le plastique, nous n’avons pas voulu procéder aussitôt à une interdiction. Ce serait trop facile. Malgré tout, le plastique est utile. Même en campagne, on remarque que, beaucoup d’ustensiles ont été remplacées par le plastique. Le vieux canari se voit de moins en moins. Ce serait dépasser le cadre de notre mission que de vouloir interdire l’usage des plastiques sans toutefois proposer des mesures de rechange. En attendant, nous travaillons à conscientiser et à responsabiliser les citoyens sur un problème que lui-même est en train de poser. C’est donc dire qu’il s’agit là d’une campagne visant à éveiller la conscience des citoyens face au péril plastique. Nous devons ensemble, trouver des solutions.

Car la recherche de solutions n’est pas l’apanage du seul ministère de l’Environnement. En tout état de cause, il est hors de question, au stade où nous sommes, qu’on interdise le plastique au Burkina Faso. La répercussion sera grande aussi bien au plan social qu’économique. Nous sommes en train de finaliser une stratégie qui consistera dans un premier temps, à asseoir toute une chaîne de récupération, de stockage et de recyclage des plastiques afin de les remettre à la consommation. Dans un second temps, nous verrons également, avec les autres ministères (Commerce, Santé, etc.) pour interdire ce qu’il faut interdire, dans la mesure où tous les plastiques ne sont pas inutiles.

S. : Y a t-il des actions qui sont menées pour encourager ceux qui font déjà de la récupération et de la transformation des plastiques en objets utilitaires ?

L. S. : A l’heure actuelle, il existe un soutien, mais qui reste très faible. Nous avons par exemple encadré les femmes de Bobo-Dioulasso qui se sont investies à travers leur association, « Le gafré », dans ce domaine. Nous leur avons permis de participer à des foires, d’avoir quelques outils de travail et même d’entrer en contact avec des bailleurs de fonds. A Ouagadougou également, nous soutenons les artisans dans la mesure de nos possibilités. C’est le cas de Philippe Yoda, qui est un exemple pour nous.

Notre ambition, c’est d’ouvrir des portes à la fabrication industrielle à base de plastique récupéré. C’est d’ailleurs ce qui a motivé la tenue, au mois de septembre 2006 avec les opérateurs économiques, d’un symposium sur ce sujet. Nous avons suffisamment de matière première au Burkina Faso aujourd’hui, en terme de plastique, pour en faire une activité industrielle. J’encourage de ce fait, les opérateurs économiques à s’y investir, car c’est un secteur très porteur.

S. : La culture du coton constitue une menace pour notre environnement. Que fait votre ministère pour limiter les dégâts ?

L. S. : En ce qui concerne le coton, je pense qu’il faut démystifier le débat. Car nous parlons trop souvent du coton avec beaucoup d’a priori. Beaucoup de gens affirment que le coton est dangereux sans savoir exactement où se situe le danger. Il est indiscutable que le coton est un produit stratégique pour le Burkina Faso. Le coton à lui seul, représente 5 à 10 % du PIB. Il fait vivre des millions de personnes. Dire donc d’arrêter la production du coton serait un suicide collectif, car le Burkina aura reculé de plusieurs années.

A partir de ce constat, moi en tant que premier responsable du ministère de l’Environnement, je dois poser le problème du coton autrement. Le département de l’Environnement fait partie d’un ensemble, qu’est le gouvernement et qui promeut la culture du coton. Notre rôle est donc d’accompagner le gouvernement dans cette politique, tout en travaillant à minimiser les risques.

La culture du coton est dangereuse dans la mesure où elle fait appel à un usage très poussé de pesticides. A partir de ce premier constat, il s’agit pour nous de faire en sorte que les pesticides soient bien gérés. Posée en ces termes, la question du coton peut trouver des solutions. Car il y a bien des pays qui, depuis plus de 300 ans cultivent le coton sans pour autant rencontrer de graves problèmes. Cela signifie qu’ils ont pu trouver des moyens pour accompagner ces cultures. Nous devons nous inspirer de ces exemples.

En la matière, nous avons un certain nombre d’instruments sur lesquels nous sommes en train de jouer, en collaboration avec le ministère de l’Agriculture pour contrôler la situation. Deuxième constat, on dit que le coton assèche le sol. Ce qui n’est pas faux. Surtout lorsqu’on sait que dans les années 50, 60, le coton était cultivé dans le Plateau central. Aujourd’hui, la culture cotonnière s’est déplacée dans des zones plus propices au plan écologique, agricole, etc. Il s’agit de l’Ouest, du Sud-Ouest, et de l’Est).

Là également, nous devons ouvrer à faire en sorte que la culture du coton n’assèche pas le sol. Si cela est possible ailleurs, nous également, nous pouvons intensifier la culture du coton sans dégrader notre environnement. En la matière, des mécanismes ont été mis en place par la recherche. Ce sont les mesures de protection que les paysans prennent lors de l’application des pesticides, le système de rotation des cultures, etc. Ce sont ces mesures que nous devons promouvoir. Car si le coton est un secteur stratégique pour le pays, l’accompagnement aussi doit être stratégique.

S. : Chaque année, des millions d’arbres sont plantés au Burkina Faso. Toutefois, les résultats restent mitigés sur le terrain. N’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert ?

L. S. : Non, pas du tout ! C’est Vrai que lorsqu’on fait le bilan, on est un peu déçu. Mais, l’on doit se dire que pour les questions d’environnement, les choses ne changent pas du jour au lendemain. Détruire est très facile. Mais pour construire, il faut beaucoup de temps. La question du reboisement doit être abordée dans le cadre global de la lutte contre la désertification et la dégradation des terres.

Sinon, posée de façon isolée, la question du reboisement, devient comme un phénomène de mode. Ce qui n’est pas le cas. Nous reboisons parce que cela est essentiel et vital pour notre pays. Au Burkina Faso nos terrains sont extrêmement dégradés et nos sols très fragiles. Nous avons également une population dont la majeure partie des activités repose sur l’exploitation des ressources naturelles. Vu de cette manière, il s’agit alors pour nous, de trouver des solutions pour accompagner l’exploitation des terres. Nous avons d’abord essayer les reboisements industriels dans les années 75. De grandes forêts ont été déboisées puis replantées. Les résultats parlent d’eux-mêmes aujourd’hui. Ensuite, nous sommes passés à de grands projets.

Les communautés villageoises ont été responsabilisées sur la gestion de leur forêt. Les résultats obtenus sont en dessous des attentes. Aujourd’hui, nous encourageons les populations à planter et surtout à planter pour elles-mêmes. D’une manière ou d’une autre, les résultats que nous avons atteints nous permettent de dire que nous avançons, même si l’on ne s’en rend pas toujours compte. Ces dernières années, nous avons mis l’accent sur la responsabilisation des citoyens dans la protection de l’environnement. Je pense que cela commence à porter fruit. Il y a de l’espoir, car tout le monde s’est lancé dans la bataille.

S. : Un travail de fond est-il fait en terme de sensibilisation des populations pour que les plantations d’arbres ne soient pas un simple effet de mode ou un divertissement ?

L. S. : Bien sûr ! Un travail de sensibilisation est mené. C’est pourquoi nous avons dit qu’il ne s’agit pas d’un phénomène de mode. Désormais, il faut savoir qui doit planter, quoi planter et pourquoi planter...

A notre niveau, nous essayons toujours de bien identifier les acteurs, leurs intérêts avant de les accompagner. Ainsi, dans la zone de Koudougou, vous verrez des familles qui ont planté des hectares d’eucalyptus. Cela leur rapporte chaque année quatre à huit millions de F CFA. Il est évident que ces gens-là protégeront bec et ongle, leur terrain. Il s’agit donc de savoir toucher l’intérêt des populations concernées. C’est ce que nous nous évertuons actuellement à faire avec les populations. L’autre facteur important, c’est la décentralisation. Désormais, on ne peut plus faire les choses n’importe comment.

Les communes rurales sont désormais une réalité. Il y a maintenant une personne morale qui est garante de l’intégrité du territoire où se mène une activité. Si le maire et son conseil communal choisissent un endroit pour reboiser, il ne tient qu’à eux de prendre toutes les mesures pour que ces plants ne soient pas détruits par les animaux et même par les hommes.

S. : Le Burkina Faso est-il à l’abri d’une situation de pollution comme celle que la Côte d’Ivoire a connue ces derniers temps ?

L. S. : (Rire et hésitation). Le risque zéro, comme vous le savez, n’existe pas. Nous faisons de notre mieux pour que de telles situations n’arrivent pas. Concernant les produits dangereux, il y a des instruments au niveau international qui, en principe, devraient nous éviter de vivre ces genres de situations malheureuses. Plus près de nous, il y a la convention de Bamako, qui interdit la libre circulation de produits dangereux. Malgré toutes ces bonnes intentions, il y a la fraude.

Et contre la fraude, c’est l’histoire du voleur et du policier. Des deux, qui se lève avant qui ? c’est là la question. Nous savons qu’il y a des brebis galeuses dans nos troupes mais nous y veillons. Notre code de l’environnement est très clair là-dessus : pas de produits dangereux chez nous. Si ces produits dangereux sont indispensables, l’importateur doit avertir le service concerné pour qu’on l’aide à manipuler son produit en toute sécurité. Dans le cas contraire, si cela n’est pas fait, l’intéressé est puni conformément à la loi. En plus de cela, nous avons pris un certain nombre de dispositions pour nous protéger.

Il s’agit entre autres de la création d’un laboratoire qui nous permet d’analyser un certain nombre de substances et faire ressortir leur degré de dangerosité. Nous avons aussi des textes, notamment sur la classification des établissements, et tout ce qui est manipulation de produits dangereux. A la suite de cela, nous avons créé un corps d’inspecteurs, chargés de faire des sorties terrain pour contrôler des établissements à risque. Grâce au travail abattu, les langues commencent à se délier. Il y a des dénonciations à chaque fois que l’environnement est dégradée. Et quand nous mettons la main sur les auteurs, une amende leur est collée conformément à la loi. Toutefois, il faut souligner que par rapport aux pays côtiers, nous sommes un peu plus protégés d’une situation comme celle de la côte-d’Ivoire.

S. : Pour le cas précis de cette société qui a déversé des déchets plastiques dans la nature vers Ziniaré et sur la route de Pô, est-ce que le principe du pollueur payeur a été respecté ?

L. S. : Le principe du pollueur payeur a bien été respecté. Je peux vous le garantir. Je ne veux pas jeter l’anathème sur l’entreprise en question parce que dans nos investigations, nous nous sommes rendus compte qu’il y a méconnaissance des dangers liés à tel ou tel produits. Les questions environnementales, sont des questions émergentes. Ceux qui polluent l’environnement, ne le font pas toujours dans l’esprit de nuire. Mais cela m’empêche qu’ils devront quand même avoir le réflexe de se rapprocher des services techniques pour avoir des conseils, qu’il s’agisse des déchets biomédicaux ou ménagers.

Interview réalisée par Rabankhi Abou Bâkr ZIDA
et Fatouma Sophie OUATTARA

Sidwaya

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